Levadee de Saint-Lazare (Побег из Сен-Лазар) - Страница 9

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Ils entouraient qui ? Ils entouraient Taxi, renfoncé dans son petit chariot, qui refusait de boire de l’absinthe, et « ses boniments », ainsi que familièrement on dénommait ses discours, égayaient l’assemblée :

— Plus souvent, criait le paralytique, de sa voix chevrotante, plus souvent que j’en boirai de votre truc. J’suis pas retombé en enfance, moi. Garçon, un demi-setier d’aramon.

Un demi-setier d’aramon ? À c’te heure-ci, ça ne valait rien, il prendrait bien une fine ? un marc ? un calvados ?

— Eh bien, va pour le calvados. D’abord ça me rappellera la Normandie et la Normandie, il n’y a que ça. Bon Dieu de sort, merci messieurs, restez couverts. Ça fait du bien par où qu’ça passe.

— Ça te donne pas envie de danser, Taxi ?

— Tu cherres, c’est de la paralysie que j’ai. Pas la danse de Saint-Guy.

Peut-être aurait-on causé encore longtemps si le gros Hilaire, ayant achevé un compte fort embrouillé avec celui de ses clients qui venait d’offrir la dernière tournée, n’était sorti subitement de son apathie coutumière pour taper à gros coups de poing sur le zinc de son comptoir :

— Et puis c’est pas tout ça, les gars, faudrait voir à vous tirer des pattes. Allez ouste, décanillez ! V’là presque une heure. J’ai pas de permission, si les cognes venaient à passer, il y aurait du gras pour tout le monde. Magnez-vous dans la sorgue.

— Quoi ? verse encore une tournée.

— Ouste les gars, trottez-vous, que je vous dis, l’heure c’est l’heure et j’connais qu’ça, fichez le camp, par la fenêtre ou par la porte, comme vous voudrez, allez vous pieuter ! L’heure c’est l’heure. Vous trouverez bien le temps de revenir demain, tas de licheurs que vous êtes. Du balai, que j’vous dis ou j’m’en vas sonner.

Sonner, dans l’argot spécial du père Hilaire, c’était se mettre dans une colère épouvantable ; or, nul ne se souciait, pour des raisons diverses évidemment, d’exciter le courroux du cabaretier. Quand Hilaire sonnait, lui qui d’ordinaire était le plus doux des hommes, il devenait terrible. On se rappelait qu’un jour, dans une dispute, un certain Gras-Double, un mec à la redresse pourtant, avait été balanstiqué par lui dans la vitrine, si rudement, qu’il s’était cassé les deux bras. Une autre fois, à lui seul, Hilaire avait si bien secoué les puces à deux rouspéteurs, qu’on les avait retrouvés à dix mètres du cabaret à moitié morts, l’un le crâne fendu, l’autre le ventre défoncé.

Taxi était déjà parti. Le bruit de son chariot, vigoureusement poussé, s’était perdu dans la nuit. Un à un, les compagnons se retirèrent.

Hilaire croyait la salle vide. Il étouffa un juron en s’apercevant qu’il y restait deux joueurs de dominos.

— Et vous, commença le patron, quèque vous faites là encore ? j’ai donc pas dit qu’il était l’heure de fermer ? allez, raquez voir votre dû ! C’est quatorze sous que vous me redevez et puis, videz, nom de Dieu, c’est compris ?

L’un des deux hommes leva la tête, toisa le patron avec un sourire ironique. Il ordonna :

— La paix, cabaretier, et pas de cris comme ça ! On s’en ira quand on voudra.

— Tout de suite ! hurla Hilaire.

— Cela dépend, répondit l’homme.

Sans affectation, avec un calme imperturbable, il avait mis la main dans sa poche et maintenant à la lueur du seul bec de gaz demeuré allumé dans le bouge, le bronze d’un revolver miroitait sur ses genoux.

— Un instant, dit encore l’homme.

En même temps, de sa main gauche il fouilla sous sa veste boutonnée, au col relevé, prit dans son gousset une montre en or :

— Une heure, murmura-t-il. Il ne peut plus être loin. C’est bien le moment.

Hilaire n’avait pas encore eu le temps de fulminer contre l’inconnu qui ne semblait tenir aucun compte de ses ordres, que celui-ci s’adressait à son compagnon :

— Paie et viens.

— C’est l’heure ?

— C’est l’heure.

Le second inconnu paya. Il se leva. Les deux hommes, sans un mot, traversèrent la salle basse pour sortir sur l’avenue de Saint-Denis.

Au sortir du cabaret les deux hommes, après avoir semblé hésiter une seconde, avaient traversé la grande avenue, puis, à petits pas, ils remontèrent dans la direction de Paris.

— Si j’ai bien calculé mon affaire, disait l’homme à la montre en or, si je ne me suis pas trompé, il faut à peu près un quart d’heure pour venir de la barrière jusqu’ici. Le dernier tramway part à une heure moins le quart, il a dû le manquer. S’il l’a manqué, il ne peut que revenir à pied. S’il revient à pied il va être là.

— Et s’il ne revenait pas à pied ?

— C’est la chance à courir.

— Arrête, écoute… Tu entends ?

— Rien du tout. Non ?

— Le voilà.

— Tu crois ?

— Regarde.

La main tendue, il désignait au lointain une ombre qui s’avançait.

— C’est peut-être un passant ?

— C’est lui, je t’assure, je reconnais son pas.

En même temps il forçait son compagnon à s’aplatir contre la balustrade qu’ils longeaient.

— Écoute, reprit l’homme à la montre, tu as bien compris ? J’ai mûrement réfléchi, c’est nécessaire et c’est forcé. En tout cas, ne m’appelle pas par mon nom, à aucun prix, on ne sait pas. On se croit seul, et puis…

— Je ne sais pas pourquoi, j’ai peur.

— Idiot. Tiens, je te disais de m’appeler… voyons… Albert, Albert ? tu y penseras ? Moi, j’t’appellerai, hum, Louis. Albert et Louis, des noms comme tout le monde. Maintenant, silence, ne bouge plus, je vais regarder où il en est.

À cinquante mètres, le passant arrivait, marchant vite, les mains dans ses poches. Alors brusquement Albert se renfonça dans la nuit.

D’un coup de coude il attira l’attention de son compagnon. Il avait pâli. C’est d’une voix blanche qu’il souffla :

— Attention.

— C’est lui ?

— C’est lui.

Les pas se rapprochèrent. L’homme qui venait fut à la hauteur des deux hommes embusqués.

Au moment où le passant allait s’éloigner, Albert avança de deux pas au milieu du trottoir, tournant le dos au réverbère voisin, il avait le visage dans l’ombre et ne pouvait pas être vu, mais il discernait parfaitement l’individu qu’il allait accoster.

— Monsieur ?

Le passant s’arrêta.

— Monsieur ? continua Albert.

L’homme se retourna.

— Quelle heure est-il ?

Le passant, peut-être, allait répondre. Mais comme il ouvrait la bouche, Albert le frappa d’un coup de poing à la tempe. Sans pousser un cri, sans un gémissement, tant l’attaque avait été soudaine et prompte, le passant tomba. Et ce fut Albert, qui appela à mi-voix :

— À moi. Il en tient.

Comme son compagnon arrivait à la rescousse, Albert se jetait à genoux sur la poitrine de l’homme qu’il venait d’abattre, il levait son poing, armé d’une sorte de massue de fer, il allait frapper encore. Albert, cependant avait mal calculé son affaire. Il croyait l’homme tué, l’autre n’était qu’étourdi. Au même moment, tandis que Louis accourait, le passant parut reprendre ses esprits. Son corps eut un brusque soubresaut. Il échappa à l’étreinte de son agresseur, para son nouveau coup de poing, parvint à se remettre debout, étreignit Albert à la gorge.

— Misérable ! canaille !

— Nom de Dieu, fit l’autre.

Albert, pourtant repoussait l’homme, parvenait à frapper encore :

— Crève donc.

Atteint à la tempe cette fois, le malheureux passant s’écroula derechef.

La victime, décidément, avait du coffre. D’autres eussent été assommés par les deux terribles coups qu’il venait de recevoir, lui n’en était encore qu’étourdi. Pour la seconde fois il parvint à se redresser. En même temps il tirait un revolver de sa poche, il allait le braquer sur son agresseur.

— Bougre de bon Dieu, jura le compagnon d’Albert, il va faire du pétard.

Et il se précipita en avant, saisit l’homme aux épaules, le secoua.

— Hardi Albert, hardi, qu’est-ce qui te prend ? t’es donc devenu cossard ? assomme-le, cré matin !

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