Levadee de Saint-Lazare (Побег из Сен-Лазар) - Страница 7
— Ça, c’est une autre affaire. Du moment qu’il s’agit d’une aminche.
Avec des gestes difficultueux, l’infirme tira du fond de sa poche une vieille bourse en cuir où il prit deux pièces d’or.
— Ça fera-t-y le compte ?
Tout joyeux Riquet s’empara de l’argent :
— C’est tout ce qu’il y a de bien, c’est même mieux que ce que j’aurais pensé. Attends, Taxi, que j’aille lui porter ça tout de suite, sûr que pour te remercier elle voudra t’embrasser.
— Pas besoin de remerciement, fit-il d’abord, il est temps que j’aille au turbin. J’ai fait le lézard ce matin, faudra rattraper ça tantôt. Aide-moi à arriver jusqu’à l’escalier.
Riquet s’empressa de rendre service à Taxi. Au surplus, c’était pour le gavroche un amusement toujours nouveau que de voir l’infirme descendre ses six étages. Taxi commençait par s’assujettir le chariot autour des reins, par une solide courroie. Puis, ayant traversé l’étroit palier qui le séparait des premières marches, il laissait rouler le véhicule supportant tout son poids jusqu’au bas des étages, en ayant soin de se maintenir pour en modérer l’allure, en se cramponnant aux balustres de fer de la rampe de l’escalier. Cette descente quotidienne faisait grand tapage et ameutait généralement les locataires de la maison. Mais cela n’était pas pour déplaire à Taxi, qui était la gaieté en personne, ayant toujours une blague à dire ou à faire aux commères et aux camarades sur son passage.
Taxi, lorsqu’il atteignit le trottoir, roula jusqu’à la rue de la Chapelle, puis, tranquillement, il attendit le passage du tramway, se hissa sur la plate-forme à la portée de ses bras et, dès lors, attendit d’arriver dans les quartiers élégants où il allait faire sa collecte habituelle.
Auparavant, Taxi avait dû accepter d’entrer un instant chez la jeune femme. À toute force, celle-ci voulait le remercier. Elle était rougissante et honteuse d’accepter de semblables avances.
— Didier ne tardera pas à venir et je pourrai rembourser.
— J’y compte bien, d’ailleurs, avait déclaré Taxi, et je sais que tu rends toujours l’argent qu’on te prête. C’est pour ça que je ne me fais jamais prier pour t’en donner, lorsque j’en ai, il faut s’entraider.
Blanche, toutefois, avait quelque chose à demander à l’infirme. Profitant d’un moment où Riquet jouait avec le petit Jacques dans la pièce voisine, elle s’agenouilla sur le sol pour être à la hauteur du quasi-cul-de-jatte et interrogea :
— Toi qui circules beaucoup dans Paris, Taxi, as-tu pu faire ma commission ?
— Quelle commission ? demanda-t-il.
— Tu sais bien, poursuivit Blanche, il s’agissait d’aller porter une lettre au domicile d’une jeune fille que j’ai connue autrefois lorsque j’habitais à Belleville. Une fleuriste, on la surnomme La Guêpe à cause de sa jolie taille, mais de son vrai nom, c’est Hélène.
— Non, j’ai pas pu faire ta commission, j’ai toujours ta lettre dans ma poche. C’est très difficile pour moi d’aller à Belleville, c’est loin, ça monte et les clients y sont rares. D’abord, qu’est-ce que tu lui veux, à cette fille ?
— Oh pardonne-moi, Taxi, ça n’est pas pressé. J’aurais simplement voulu avoir de ses nouvelles, mais je vois que ça t’ennuie. N’en parlons plus.
Taxi, en effet, devait être ennuyé par cette conversation, car il avait froncé les sourcils, mais, surtout, une vive rougeur lui était montée au front et il avait tressailli comme malgré lui.
— Je suis en retard, je suis en retard, grommela-t-il.
Et, en hâte, il se fit rouler sur le palier, commença à dégringoler les marches, ce qui attira aussitôt Riquet qui, portant le petit Jacques, n’eut aucune peine à le faire éclater de rire :
— Regarde le bonhomme, vois comme il dégringole les escaliers. Écoute sur les marches, boum, boum. Non, mais ce qu’il est rigolo, ce Taxi.
Mais brusquement, Riquet rentra dans le logement de Blanche Perrier, déposa l’enfant à côté de sa mère, et murmura à l’oreille de cette dernière :
— Je me débine, Blanche Perrier, v’là ton homme !
— Vrai ? s’écria la jeune femme, dont les yeux pétillaient de joie.
— Puisque je te le dis. Je l’ai vu, comme je te vois… Il montait l’escalier pendant que Taxi dégringolait en bas. Même qu’il a failli y avoir un abordage. Au revoir, ma vieille, à bientôt, on viendra prendre de tes nouvelles.
Riquet s’était à peine éclipsé qu’entrait Didier Granjeard.
— Blanchette, ma pauvre petite Blanchette, murmura-t-il, quel malheur, que de choses, que de tristesses.
Mais avant de s’en entretenir, il tendit des billets de banque à Blanche :
— Ce sont mes économies. Avec ça, tu peux parer au plus pressé. Après, on verra.
Et il lui expliqua où en était ses affaires.
Attentivement, Blanche Perrier l’écouta : les chiffres que Didier lui avait donnés l’étourdissaient un peu, elle en comprenait mal l’importance, n’ayant jamais ouï parler d’aussi fortes sommes d’argent. Mais elle était intelligente et se rendait compte qu’il s’agissait d’intérêts énormes et que la fortune de Didier dépendait de son attitude à elle.
Blanche Perrier n’hésita pas :
— Didier, fit-elle, écoute bien ce que je vais te dire : tu vois que je te parle sans arrière-pensée. Je me suis donnée à toi librement, voici deux ans, non point parce que tu étais le fils du patron de la maison dans laquelle je travaillais comme ouvrière, et que j’espérais tirer de nos relations un bénéfice. Je n’aurais d’ailleurs pas agi de la sorte. C’est au-dessus de mes forces. J’ai été ta maîtresse simplement, parce que je t’aimais, mon Didier, je ne t’ai jamais rien demandé, tu ne m’as rien promis, et nous n’avons d’engagement ni l’un ni l’autre. Si tu restes avec moi en dépit de ta famille, tu auras les pires ennuis et la plus grande misère. Si tu me quittes, au contraire, c’est pour toi la richesse et le bonheur. N’hésite pas, Didier, va-t’en, oublie-moi, comme je m’efforcerai de t’oublier.
Mais Didier l’interrompit. Il prit la main de Blanche Perrier, obligea la jeune femme à se retourner à demi. Et comme celle-ci obéissait, tous deux se trouvèrent face à face avec le petit Jacques qui jouait paisiblement sur le plancher avec sa vieille poupée :
— Blanchette, murmura doucement Didier, je me demande à quoi tu penses ? Mais, même si nous devions agir ainsi l’un et l’autre, si nous pouvions nous séparer comme cela, froidement, quelque chose devrait nous retenir, quelqu’un nous retiendrait, notre enfant, Blanchette… Nous sommes désormais l’un à l’autre, unis pour toujours. Je ne t’abandonne pas, tu ne me quitte jamais.
— Je ne suis qu’une pauvre ouvrière, murmura-t-elle, et je ne sais pas dire de beaux mots comme toi, mon Didier, mais je comprends à tes paroles combien tu m’aimes.
***
Les deux amants avaient passé, après leurs tendres effusions du matin, une journée très douce et très calme. Il avait fait beau dans l’après-midi et comme un rayon de soleil était venu vers quatre heures rompre la monotonie pluvieuse du temps, ils avaient été en bons bourgeois paisibles, promener le petit Jacques au Square de la Chapelle. L’enfant y avait joué, puis, on était rentré, Blanche Perrier avait fait en cours de route quelques emplettes pour le dîner que les amants méditaient de partager dans leur modeste logis. Didier, un peu moins triste, était allé acheter une bonne bouteille de vin.
Dans l’atmosphère tiède du petit logement, Blanche avait rapidement préparé son dîner, mis le couvert cependant que Didier, étudiant la position de quelques meubles qui garnissaient à peine le logement bien simple et bien exigu pourtant,, s’était dit qu’il lui faudrait acheter une armoire et une table pour ses propres affaires. Entre-temps, il avait expliqué à Blanche qu’il trouverait certainement du travail. Un de ses amis lui avait promis de le faire entrer comme courtier dans une compagnie d’assurances. Blanche se placerait dans quelque industrie, après tout, on ne vivrait pas trop mal, on pourrait être heureux.