Levadee de Saint-Lazare (Побег из Сен-Лазар) - Страница 66
Où avait passé Fantômas ?
Juve l’aperçut aussitôt. Le bandit était à moins de trois mètres de lui, tête nue, le vent agitait les mèches de sa chevelure, il était pâle, il tenait dans ses doigts crispés la serviette où Juve lui avait vu enfermer la liasse de ses billets de banque, il se penchait au-dessus du vide. Il semblait halluciné, hypnotisé.
— Fantômas, rends-toi, hurla Juve.
Au même instant, le phare tourna, l’ombre à nouveau envahissait la plate-forme. Juve, par précaution, s’adossa à l’ascenseur qui, étant abandonné sans mécanicien, redescendit lentement, pour s’immobiliser sans doute à mi-hauteur, à l’endroit où son contrepoids le mettait en équilibre.
— Il ne peut pas s’enfuir se dit Juve et si nous devons lutter ici, eh bien, j’aime autant cela, ou j’arriverai à le mettre hors d’état de nuire ou il me lancera dans le vide.
Continuant à tourner cependant après une éclipse qui semblait interminable au policier, le phare de la tour, à nouveau, baigna de lumière l’étroite plate-forme. À ce moment Juve pensait s’élancer sur le bandit. Or, la lumière n’avait pas réapparu que Juve poussait un cri de rage : Fantômas n’était plus sur la plate-forme.
Juve eut beau explorer celle-ci, d’ailleurs peu étendue. D’un bout à l’autre, il n’apercevait plus le bandit.
Une fois encore, l’insaisissable bandit avait trouvé moyen de s’enfuir. Qu’était-il devenu ? Comme un fou, Juve courait à l’endroit où Fantômas lui était en dernier lieu apparu. Juve se hissa, insouciant du danger, sur le garde-fou très élevé qui termine le dernier étage de la tour. Il se pencha sur l’abîme. Et soudain, Juve poussa un cri de triomphe : où était Fantômas, Juve le savait. Profitant du moment d’obscurité qui avait suivi l’arrivée de Juve, Fantômas, en effet, aussi téméraire que l’avait été le policier, avait enjambé la balustrade, tenant entre ses dents la serviette bourrée de billets de banque. Souple et leste, il s’était, en se cramponnant aux moindres points d’appui, évadé de la troisième plate-forme. Le bandit maintenant étreignait la charpente même de la tour, et là, cramponné aux formes métalliques, renouvelant les prouesses des constructeurs de gratte-ciels américains, il s’efforçait de descendre, furtif, inaperçu.
— Miséricorde ! s’écriait Juve, ou il va se tuer ou il va m’échapper ?
Une seconde, peut-être, pas davantage à coup sûr, Juve hésita.
— Que faire ? Quel parti adopter ? Comment rejoindre Fantômas ?
— Bah, murmura Juve, où il a passé, je passerai bien, moi aussi. Et quand je devrais me casser les os, je descendrai plus vite que lui, je le rejoindrai.
Faisant preuve à son tour d’une folle témérité, d’une audace inouïe, Juve enjamba le garde-fou, saisit les derniers montants de la charpente et, suspendu dans le vide, se lança à la poursuite du bandit.
D’abord, Juve s’occupa de choisir des points d’appui où s’accrocher sûrement. Puis, une étrange hâte de prit, il négligea les précautions élémentaires, de barreau en barreau, il se laissa tomber. À ce moment, le sang bourdonnait dans ses oreilles, son cœur battait à coups précipités, le vide semblait vouloir le happer. Et puis, brusquement, à l’improviste, comme ses mains se coupaient à une scorie des montants, voilà que Juve aperçut Fantômas.
La lune, sortie des nuages, inondait le sommet de la tour d’une lumière blafarde. À sa pâle clarté, Juve découvrit, juste en face de lui, de l’autre côté du vide, formant en quelque sorte la cage de l’ascenseur, Fantômas, cramponné au montant de la tour, livide, tremblant, yeux fixes, air affolé.
— Fantômas, rendez-vous ?
Fantômas répondit d’une voix saccadée, haletante, inhumaine :
— N’essayez pas de me prendre, Juve, je suis armé, j’ai mon revolver, si vous bougez, je tire.
Juve, en effet, vit le bandit diriger vers lui le canon d’une arme qui luisait.
Mais, alors, que lui-même n’avait plus son revolver, alors qu’il ne pouvait rien pour se défendre, si d’aventure Fantômas faisait feu, ce n’était point l’arme braquée vers lui que Juve considérait.
Ce qui l’émouvait, c’était le son de la voix de Fantômas, c’était l’attitude anéantie du bandit.
Et Juve, avec un sourire froidement railleur, répondit :
— Allons donc. Tirez si vous l’osez, Fantômas. Mais prenez garde de lâcher prise, je vois vos mains qui glissent. Trois cents mètres. Songez-y bien.
Et certes, Juve ne parlait pas au hasard. À l’attitude du monstre, il avait deviné le drame effroyable qui se débattait en son âme, Fantômas pouvait bien avoir un revolver, pouvait bien le menacer, c’était lui, Juve, le plus fort. Si Fantômas s’était arrêté dans sa fuite, il était là immobile, livide, défaillant, c’est que le vertige, un épouvantable vertige s’était emparé de lui.
Certes, la situation de ces deux hommes suspendus à trois cents mètres de haut, dans l’inextricable forêt métallique que constituent les montants de la tour, était épouvantable. Mais Juve méprisant le vertige, ne connaissait pas la peur. Fantômas, au contraire, ne pouvait dompter l’attirance de l’abîme. Incapable de répondre aux seules paroles de Juve, il fixait de ses yeux hallucinés, le sol lointain, creusé, indistinct.
Le Maître de l’Effroi qui jusqu’alors avait ignoré l’épouvante, maintenant suait l’angoisse.
— Il va lâcher prise, pensait Juve, il va se tuer.
L’horreur était si bien marquée, d’ailleurs, sur le visage de Fantômas, que Juve éprouvait, sans même sans rendre compte, une véritable commisération pour son ennemi épouvanté.
— Fantômas, cria Juve, lâchez votre revolver, il tombera au second étage où il n’y a personne. Tenez-vous bien je vole à votre secours.
Mais que se passa-t-il alors dans l’âme du tortionnaire ? Aux paroles de Juve, Fantômas tressaillait violemment. On eût dit qu’il se réveillait d’un cauchemar épouvantable. Une crispation atroce défigurait ses traits.
— Juve, Juve, râlait le bandit, vous ne m’aurez pas vivant. Jamais.
En même temps, Fantômas jeta dans le vide, non seulement son revolver, mais encore la serviette bourrée de billets de banque.
Un rire effroyable, un rire où des cris passaient, s’échappait de sa gorge. Et Juve, impuissant, vit le bandit se dresser sur les montants de la tour, se jeter dans le vide.
— Le malheureux, s’écria le policier.
Mais le cri de compassion qui s’échappait des lèvres du policier se changea en cri de rage.
— Ah malédiction !
Le bandit venait d’inventer une ruse dernière, une ruse qui le sauvait. Fantômas ne s’était pas renversé en arrière dans l’abîme, il avait, au contraire, bondi en avant, vers la cage de l’ascenseur. C’est sur le toit de l’ascenseur, arrêté à quelques mètres de là, que le misérable tomba. Le poids de son corps ébranla l’appareil qui, lentement descendit vers les étages inférieurs. Et Juve, la rage au cœur, le désespoir dans l’âme, ne put que hurler :
— Il s’enfuit. Il s’échappe. Il va rattraper à coup sûr le portefeuille aux billets de banque.
Juve était toujours cramponné aux poutrelles de fer. Avec des yeux où s’amassaient des larmes de dépit, il voyait Fantômas qui, sur le toit de l’ascenseur continuait à crouler, à disparaître dans la nuit.
29 – LE DERNIER MOT
M me Granjeard, ce matin-là, le 31 du mois, jour de l’échéance, pénétrait, effroyablement pâle, dans le bureau où son fils Paul, blême, lui aussi, alignait fiévreusement des chiffres sur une longue feuille de papier blanc.
— Bonjour, Paul.
— Bonjour, ma mère.
M me Granjeard, la porte fermée, traversa le cabinet de travail de son fils, s’approcha de son bureau et là, debout, hautaine et autoritaire, froissant rageusement dans ses mains divers documents annotés au crayon bleu, elle rit :
— Tu vérifies l’échéance ?
— Oui, ma mère. Je faisais le total des créances que nous devons solder aujourd’hui.