Levadee de Saint-Lazare (Побег из Сен-Лазар) - Страница 65
— Coûte que coûte, il faut les rejoindre, hurlait-il, j’épingle mille francs sur les coussins de la voiture, c’est pour vous, c’est votre prime, si seulement vous m’amenez à la hauteur de la voiture que je poursuis.
Avenue de Suffren, la voiture de Fantômas redoubla de vitesse. Cette fois, on arrivait dans de grandes allées désertes où les chauffeurs pouvaient faire rendre le maximum à leur moteur. Mais les distances demeuraient égales, Fantômas ne gagnait ni ne perdait sur la voiture de Juve.
Et puis, brusquement, un événement que n’avait probablement prévu ni le bandit ni le policier, finissait par survenir. Au détour d’une rue, au moment où il pensait tourner pour rejoindre le quai d’Orsay, un peu en avant du pont d’Iéna, le taxi-auto de Fantômas heurtait la roue d’un tombereau qui ne s’était point rangé à temps. L’automobile s’émietta contre la lourde carcasse du pesant chariot.
Chauffeur et bandit roulèrent sur le sol, Fantômas se releva, s’enfuit. Déjà, Juve, au risque de se rompre le cou avait sauté de son propre taxi, courait sur les traces du monstre.
Fantômas, toutefois, avait toujours de l’avance sur Juve. La distance qui séparait les deux hommes, n’excédait certainement pas une cinquantaine de mètres, c’était suffisant cependant pour que Juve, qui venait de perdre son revolver en sautant de voiture, fût absolument impuissant face au bandit.
— Que diable va-t-il inventer encore ? se demandait le policier.
Juve avait raison de se méfier. Fantômas, en effet, venait de concevoir une ruse suprême : il traversa, courant de toutes ses forces, l’esplanade des Invalides, il atteignit, toujours courant, le pilier nord de la tour Eiffel. Un bond l’amena par-dessus la grille au pied de l’ascenseur.
Mais il était trop tard, Fantômas venait de déclencher le mécanisme. L’ascenseur, lentement, montait au long du pylône, emportant le bandit.
Mais si Fantômas avait eu idée de génie en pensant échapper à Juve en se perdant dans l’ombre des étages supérieurs de la tour Eiffel, il avait cependant négligé de compter avec l’incroyable ténacité du policier.
Au moment même où l’ascenseur partait, Juve, au risque de se tuer, saisit à bout de bras les poutres formant le plancher de cet ascenseur et là, suspendu dans le vide, invisible pour Fantômas, narguant le vertige, se cramponnant avec la seule crainte de ne pouvoir tenir jusqu’au bout, épuisé de fatigue, il se laissa enlever.
L’ascension du premier étage dura peut-être dix minutes. Juve, sans souci du vide immense, du vide attirant, qui déjà, se creusait sous ses pieds, entendit la porte de l’ascenseur s’ouvrir, se refermer. Fantômas venait de sortir.
Qu’allait faire le bandit ?
Au prix d’une acrobatie qui était un véritable défi à la mort proche, Juve venait d’atteindre la charpente métallique de la tour. Lui aussi quittait l’ascenseur. Il se hissa par-dessus le garde-fou, prit pied sur la plate-forme même du premier étage, assez à temps pour voir Fantômas s’engouffrer dans le nouvel ascenseur qui l’emportait vers le second étage.
— M’a-t-il vu ? se demanda Juve.
Comme un fou, le policier se précipita dans l’étroit escalier qui mène au second étage. Juve grimpait en désespéré. C’était quelque chose d’insensé que cette poursuite qu’il tentait. À peine de perdre irrémédiablement Fantômas, Juve, par l’escalier, devait aller aussi vite que l’ascenseur qui emportait le bandit dont le visage contracté s’apercevait collé aux vitres. Nul bruit d’ailleurs. Au fur et à mesure que Juve s’élevait dans la tour Eiffel, complètement déserte à cette heure, les clameurs de Paris s’effaçaient peu à peu, le vent se faisait plus âpre. Une impression de solitude pesait sur le prodigieux monument. Seul, le vent, gémissant sur les innombrables parois métalliques, troublait ce silence chargé.
Ce que tentait Juve était évidemment fou, irréalisable. Cependant, le grand policier, qui par moments, semblait presque, tant il avait d’intrépidité et de courage un surhomme, un génie, cette fois encore, réalisa l’impossible. Il n’atteignit pas le second étage en même temps que l’ascenseur, mais sans doute, Fantômas avait été retardé par le maniement des appareils, car, au moment où Juve débouchait sur la plate-forme, l’appareil s’enlevait lentement, très lentement, droit devant lui.
— Miséricorde, s’exclama le policier.
Une échelle était là, qui pointait vers le ciel, Juve la gravit. Comme pour le premier étage, il eut l’audace de s’agripper à l’extérieur des poutres du plancher de l’ascenseur. Juve, cramponné dans cette situation invraisemblable, risquant la mort à toutes les secondes, exposé au plus affolant des vertiges, se laissait emporter dans l’espace.
L’ascenseur montait vite. Quelques secondes après, Juve le sentit s’immobiliser. De même que Fantômas quittait l’appareil pour sauter dans celui qui devait l’emporter jusqu’au troisième étage, Juve, audacieux jusqu’à la folie, parvint à s’agripper une troisième fois, à se laisser une troisième fois encore emporter, suspendu dans le vide.
— Il ne montera pas plus haut, que diable ! songeait le policier.
À ce moment des crampes douloureuses commençaient à faire terriblement souffrir le malheureux Juve. Il baissa la tête. Dans la nuit, à plus de deux cents mètres sous lui, Paris n’était plus qu’une auréole de lumière, perdue dans le brouillard, croulant rapidement, si rapidement qu’un vertige prenait le policier à considérer les monuments minuscules dans un vide immense. Le froid, d’ailleurs, devenait terrible. Juve avait l’impression que ses pauvres mains, crispées dans une posture incommode, se crevassaient, que le sang giclait, et que, un par un, ses doigts allaient lâcher prise.
— Ce serait une jolie fin, pensa Juve.
Mais, il se roidissait, il se faisait plus fort que sa propre souffrance, il ne voulut pas sentir son mal, il tint bon.
Maintenant, l’ascenseur parvenu à la hauteur des dernières travées de la tour, montait presque perpendiculairement. Les immenses chaînes à contrepoids, emplissaient presque en entier la robuste armature que Juve par moments se prenait à trouver bien fragile.
— Décidément, pensa Juve, mesurant d’un regard le gouffre de trois cents mètres qui béait sous ses pieds, décidément, je ne m’en tirerai pas.
Au même instant, l’ascenseur s’arrêtait.
— Ouf, pensa Juve, je me souviendrais de ce petit voyage.
Avec des précautions extrêmes, car le brouillard rendant toutes choses humides pouvait lui faire manquer sa prise, le policier abandonnant le dessous de l’ascenseur, gagna les poutrelles métalliques.
À ce moment, au-dessus de lui, il n’y avait plus que le plancher de la troisième plate-forme et certainement, Fantômas se trouvait là, à quelques centimètres.
Juve, quelques secondes, se tînt coi, serrant entre ses bras et ses jambes une barre de fer, son seul appui. Le policier s’accordait une seconde pour reprendre haleine. Indifférent au danger, il surveillait seulement les portes de l’appareil, prenant garde à ce que Fantômas ne se jetât à l’intérieur de l’appareil, n’entreprît de descendre à l’improviste.
Après quelques secondes d’attente, dans le silence de la nuit, Juve entendit des pas :
— C’est lui, se dit-il, il doit se demander où je puis être.
Juve se débarrassa de son chapeau qui le gênait, en l’accrochant à un croisillon de l’architecture. Puis, plus libre de ses mouvements, il se glissa, au risque de se faire broyer, entre l’ascenseur et le plancher de la plateforme. Un dernier effort et il atteignait, enfin sauvé du gouffre, le troisième étage de la tour. Au-dessus de lui, brillait un phare automatiquement commandé, qui promenait sur la nuit un pinceau lumineux. La plate-forme, tour à tour, était noyée d’ombre et baignée de clarté, éclairée a giorno.
Juve avait pris pied sur le plancher, profitant d’une éclipse. Quand la lumière revint, Juve fouilla du regard le balcon où il se trouvait.