Levadee de Saint-Lazare (Побег из Сен-Лазар) - Страница 63
— Vous avez des crampes ? lui demanda tout bas Fandor.
— Non, fit Juve, mais je veux le voir.
Le policier parvint à se mettre sur le côté, mais, ainsi que Fandor, il éprouva soudain une grosse émotion. Il avait trop remué, le sofa avait bougé, si l’on s’en était aperçu, c’en était fait d’eux. Mais, par bonheur, à ce moment Œil-de-Bœuf et Bec-de-Gaz qui commençaient à être ivres, avaient voulu protester mutuellement de leur inaltérable amitié et avaient cherché à s’embrasser. Ils étaient tombés sur le canapé, au grand éclat de rire de l’assistance.
Cela sauvait Juve et Fandor, mais cela contusionnait aussi le policier, car, sous le poids des deux ivrognes, les ressorts fatigués du divan avaient très violemment comprimé Juve entre le dessous du canapé et le plancher.
Juve, en écartant insensiblement le volant de cuir qui garnissait le bas du divan, avait vu Fantômas et s’était aperçu que, malgré la température élevée de la pièce, le bandit avait conservé son pardessus.
— Pourquoi ? se demandait-il, ne le quitte-t-il pas ?
Fandor se faisait machinalement la même question, et, Juve, le pressentant, expliqua à l’oreille de son ami :
— Parbleu, je comprends tout. C’est très simple. Tu sais ce que je t’ai raconté tout à l’heure à savoir que le Bedeau, lorsqu’il a tiré à bout portant sur Fantômas a cru que le bandit était invulnérable, lorsqu’il a vu que la balle de son revolver ricochait sur son pardessus au lieu de pénétrer dans le vêtement ou dans le corps. Cela tient tout simplement à ce que Fantômas a sur lui quelque chose à la fois d’assez mince et d’assez épais pour intercepter tout projectile. Seules des feuilles de papier en nombre suffisant peuvent avoir constitué semblable bouclier.
— Possible, et alors ?
— Alors, Fantômas porte sur lui en ce moment, sous son pardessus, les billets de banque qu’il a escroqués à la famille Granjeard.
— Soit. Alors ?
— Alors, il va s’agir de l’obliger à retirer son pardessus, pour que nous puissions nous en emparer et voler ce voleur.
Fandor pensa :
— Juve est fou. Il a complètement perdu la tête. Ce séjour sous ce sofa ne lui vaut absolument rien.
Le journaliste ne répondit rien. Il se contenta de regarder les gestes bizarres qu’accomplissait son ami. Juve s’était remis à plat ventre. Il se refoula aussi loin qu’il le put, sous le canapé et parvint à atteindre, de sa main droite, le robinet permettant de doser le chauffage. Progressivement, Juve l’ouvrit. La vapeur pénétra dans les radiateurs qui entouraient la salle, et, peu à peu, la température s’éleva encore dans la pièce.
Les apaches, qui, s’ils redoutaient Fantômas, n’avaient guère cependant de formules respectueuses à son égard, commençaient à le plaisanter de conserver obstinément son pardessus.
Ces railleries devaient gêner Fantômas. Rester couvert et vêtu comme il l’était dans un lieu surchauffé ne pouvait être que suspect. Et Fantômas connaissait bien trop son monde pour ne pas savoir que ses complices allaient se douter de quelque chose.
On blaguait Fantômas. On insistait lourdement :
— C’est-y murmurait-on, qu’il a froid dans les moelles pour rester comme ça avec sa pelure.
— Ou alors, suggérait un autre, c’est-y qu’il a des nippes cousues d’or à l’intérieur du manteau.
Le policier qui suivait la scène du coin de l’œil, tout d’un coup, laissa presque échapper un petit cri de triomphe :
Fantômas, en effet, cédant aux moqueries dont il était l’objet, d’un geste brusque et décidé, venait d’ôter son pardessus et l’avait jeté pêle-mêle avec les autres vêtements qui se trouvaient entassés sur une chaise, tout à proximité du divan :
— Bravo, murmura Fandor en pinçant le bras de Juve, voilà qui est bien travaillé.
Le policier secoua la tête et il murmura :
— Ce n’est pas fini.
Juve, en effet, tentait maintenant d’attirer à proximité du divan le pardessus de Fantômas et de le fouiller sans que nul ne pût s’en apercevoir. Comment allait-il faire ?
Le moindre geste inopportun, le moindre bruit insolite, et c’était la mort.
Ce fut l’inénarrable Bec-de-Gaz qui, sans s’en douter, vint en aide au policier. Bec-de-Gaz était complètement ivre, on pouvait lui tendre les embûches les plus grossières, il était incapable d’en deviner la nature ; Juve attendit le moment précis où Bec-de-Gaz en titubant passerait à proximité du divan. Ce moment se présenta enfin, et, comme les gros souliers de l’apache traînaient sur le plancher, tout à côté du canapé, Juve allongeant brusquement le bras, accrocha la jambe de l’ivrogne et le fit s’étaler de tout son long. Le policier avait bien calculé son geste. Bec-de-Gaz en proférant un juron épouvantable, tomba la tête en avant, le nez sur la chaise surchargée de vêtements, la chaise s’écroula, les vêtements tombèrent par terre, le pardessus de Fantômas, entraîné dans la chute, vint se placer à portée de main de Juve.
Téméraire, Juve attira d’un geste brusque le vêtement sous le canapé. D’une main fiévreuse, il palpa la doublure. Elle était vide, Fantômas se méfiait sans doute de ses amis. Mais le dépit de Juve devait se transformer en une inquiétude beaucoup plus grave. Malgré tout son courage et son imperturbable sang-froid, le policier tressaillit, de même que Fandor ; les deux amis sentaient leur cœur battre à rompre dans leur poitrine, un événement grave venait de se produire : les mouvements involontaires de Juve et de Fandor avaient remué le canapé, de façon si anormale que Fantômas et ses invités ne pouvaient plus ne pas s’en apercevoir :
— Nom de Dieu, avait juré quelqu’un, voilà le canapé qui bouge.
Juve, qui désormais ne cherchait plus à se dissimuler, fit encore un mouvement brusque, pour extraire son revolver de sa poche. Hélas, il ne put y parvenir.
— Dans une seconde, pensa-t-il, nous sommes découverts et assassinés.
Mais, à ce moment, on entendit plusieurs coups de sifflets à l’extérieur. Sans se donner le mot, les apaches s’étaient rués sur la fenêtre, l’avaient brisée, passaient au travers des carreaux brisés, mis en fuite.
Juve et Fandor s’étaient relevés, renversant le canapé, qui oscillait un moment, sur leurs épaules. Dehors, des coups de feu éclataient.
Juve bondit par la fenêtre, Fandor allait l’imiter, un revolver soudain appuya contre sa poitrine.
— Halte, ordonna une voix rude, impérative.
Fandor, instinctivement, obéit. Deux mains s’abattirent sur ses épaules. Le journaliste regarda puis éclata de rire :
— Ah, par exemple fit-il, ça n’est pas ordinaire. C’est vous, monsieur Havard, qui jugez bon de m’arrêter ?
— Fandor, s’écria le chef de la Sûreté. Ah, naturellement. J’étais sûr de vous trouver là, du moment que Juve était dans les parages.
— Ah ça, fit le journaliste interloqué, vous aviez donc rendez-vous ?
— Pas le moins du monde, déclara le chef de la Sûreté, mais je savais que Fantômas devait venir ici demain, et, avec quelques hommes, j’ai eu l’idée d’étudier la disposition des lieux afin de préparer plus sûrement sa capture.
— Les grands esprits se rencontrent, lui répondit Fandor. Voilà deux heures que nous sommes ici. Juve avait eu la même idée que vous, et il faut croire aussi que Fantômas avait formé les mêmes projets, car il nous quitte à l’instant.
— Fantômas ? Fantômas était ici ?
— Voilà son manteau, fit-il, quant à l’homme…
M. Havard l’interrompit pour dire d’un air désespéré :
— L’homme, parbleu, il est loin. Fantômas s’est échappé, mais Juve est sur ses traces.
28 – LE VERTIGE QUI SAUVE
— Qu’est devenu Fantômas ? Malédiction, où est-il passé ? Fouillez les caves. Fouillez les greniers. Il faut qu’on le retrouve.
Tandis que M. Havard hurlait des ordres à ses agents et que cette fois, contrairement à son habitude, il perdait un peu la tête, tandis que Fandor grimpait l’escalier de l’immeuble sinistre, forçait les portes, vociférait des jurons épouvantables, Juve, plus sage, plus rassis, n’avait pas hésité. Juve, au moment même où les bandits s’échappaient par la fenêtre, avait tranquillement ouvert la porte, et sans même trop se presser, gagné la rue. Les trottoirs étaient déserts, l’ombre clignotante des réverbères ne révélait aucun passant suspect. Juve n’avait pas perdu courage pour si peu.