Levadee de Saint-Lazare (Побег из Сен-Лазар) - Страница 2
À ce moment, le gamin se trouvait au centre même de l’incendie, perdu derrière les murs noirâtres, en équilibre sur une travée de fer surplombant le vide des caves. Et, dans le lointain il avait cru apercevoir une ombre rapide.
— Alors, on serait deux, murmurait-il dépité, on serait deux à s’offrir la ballade. Ah ! mais, pas de ça. Chasse réservée. J’aime pas les braconniers.
Quittant sa poutre, le gosse voulait se diriger vers le coin des ruines où il avait cru qu’un autre curieux avait réussi à passer. Mais comme le gosse avançait, comme il se courbait pour éviter une énorme poutre réduite à l’état de brasier ardent qui se dressait vers lui, une exclamation d’horreur fusa de ses lèvres :
— Sainte Vierge, ma mère. C’est tout de même épouvantable. Sûr que c’est Juve.
Il venait de faire une horrible trouvaille. Tombée entre deux pans de mur, coincée là, une tête humaine grillée, rôtie, les chairs en lambeaux, les os noircis de suie, à l’horrible rictus, apparaissait.
La victime avait dû tomber d’un étage élevé, ses os avaient glissé jusque dans les caves, et seul le crâne plus volumineux s’était accroché à ce pan de muraille, où les flammes, en le léchant, l’avaient dépouillé, séché, lui avaient donné cet aspect terrifiant.
— Eh bien, celui-là, il est pas beau. Et dire que c’est Juve, que ça ne peut être que Juve. Eh bien, c’est rigolo tout de même, il avait pas la tête plus grosse que moi.
Et en même temps, avec cette inconscience de l’épouvantable, qui est particulière aux très jeunes gens, il tendait la main, comme pour prendre le crâne.
Mais l’enfant n’acheva pas son geste. Au milieu même du bruit des éboulements continuels, des claquements du foyer, des crépitements des flammes, une voix énergique lui ordonnait :
— Ne touche pas. Laisse ça.
Et dans le désert des ruines, il était si surprenant d’entendre parler que, stupéfait, l’enfant se retourna. À moins de cinq mètres, debout sur un muretin à demi écroulé, il y avait un homme. Ni un pompier, ni un agent.
C’était un bourgeois, habillé de vêtements confortables sinon cossus, la silhouette grande, mince, robuste, il tenait sur ses lèvres, un mouchoir blanc, à travers lequel il respirait. Et il poursuivait :
— Laisse cela, petit. Tu ne sais pas qui c’est, et il ne faut pas y toucher. D’abord, que fais-tu là ?
— J’sais pas qui c’est ? commença-t-il. Eh bien vous en avez de bonnes, vous. C’est de Pékin ou de New York que revient monsieur, ou p’t’être qu’il n’a pas été à la laïque. Monseigneur ne sait pas lire ? Je n’sais pas qui c’est ? Pour un sou, monsieur peut se procurer au choix tous les grands canards de Paris, et monsieur verra qu’on sait bien qui qu’est mort : c’est Juve.
— Tu crois que c’est Juve ?
— Dame.
— Le policier Juve ? tu crois cela, petit ?
— Je le reconnais.
— Ah ça, comment es-tu là ? comment es-tu venu jusqu’ici ?
— Et vous ?
— Est-ce que tu ne te rends pas compte, maudit garnement, que d’une minute à l’autre, tu peux te faire écrabouiller par une muraille, par une pierre, par une poutre ?
— Vous m’embêtez.
Et comme l’homme le regardait d’un air furieux, comme il allait l’atteindre, d’un bond le gosse se mit hors de portée. Il sauta par un prodige d’équilibre sur une poutrelle fumante, là, prenant son élan, agrippa la saillie d’un mur, n’y toucha qu’une seconde puis, se trouva à califourchon assis au sommet d’une cloison dont un des angles brûlait encore, et qui, sous son poids, pourtant léger, se prit à trembler dangereusement :
— Dites donc, continua le gosse, et vous ? qu’est-ce que vous fichez là ? Vous ne m’avez pas répondu. Coucou, il est parti le fils à sa mère.
L’homme, pourtant, debout près du crâne, considérait toujours le gamin :
— Comment t’appelles-tu ?
— Et vot’ sœur ? rallia-t-il, est-ce qu’elle porte des corsets ou des soutiens-gorge ?
— Ne parle pas si fort, les pompiers peuvent venir d’un instant à l’autre.
— Et alors ?
— Dis-moi comment tu t’appelles ?
— Zut.
— Ah, tu vas voir.
— Je ne vais rien voir du tout. D’abord y a trop de fumée et puis ensuite si vous approchez, je me laisse dégringoler sur vous avec ma muraille.
Évidemment, il n’y avait rien à faire pour intimider un pareil gavroche.
L’inconnu qui ne semblait plus prêter la moindre attention au danger qui l’environnait de tous côtés, haussa les épaules, et reprit sur un ton plus doux :
— Réponds-moi donc… d’abord, comment se fait-il que tu ne travailles pas aujourd’hui ? Tu es ouvrier ? Apprenti ?
— Oui, mon prince.
— Alors ?
— Alors, mon prince, on ne travaille pas aujourd’hui, parce que, mon patron a clamecé, on l’enterre. L’usine est fermée. Et comme ça et vous ?
— Écoute, petit, fit-il, je suis ton ami et tu vas le voir… Mais il faut me répondre. Dis-moi seulement ce que tu es venu faire ici ?
— C’que je suis venu faire ? De la police. Oui, mon prince. N’ouvrez pas des yeux si grands, vous allez tomber dedans. Parfaitement. On sait ce qu’on sait. Fantômas est une crapule et Juve, tout carbonisé qu’il est, était un grand homme. Tiens, j’ai lu toutes ses histoires. Je connais toutes ses aventures à lui et à son poteau, Fandor. Hier soir, on annonce sa mort. Bon, que je me suis dit, c’est extraordinaire que Juve se soit fait rôtir, s’agit d’aller voir si c’est vrai, et me voilà. Je suis venu. Tout à l’heure, on ne voulait pas me laisser passer. Bah, je ne suis pas si gros qu’un flic puisse m’empêcher de me glisser sous ses pattes. Et en avant la fanfare, monseigneur, je suis entré dans les décombres, pour y faire une enquête comme on dit. J’voulais savoir si Juve était mort. Voilà sa tête à ce pauv’ vieux. Juve est mort : dommage.
L’homme haussa les épaules, derechef :
— Juve n’est pas mort, déclara-t-il simplement. Viens, Juve, c’est moi. Viens. Nous avons à causer.
— Vingt dieux, c’est pas du boniment à la graisse d’oie ? vous êtes Juve ? C’est bien vous ?
— C’est moi.
***
La main sur l’épaule du petit, le policier se frayait un chemin à travers les décombres.
Deux heures plus tard, dans un cabaret des quais, attablés devant des verres où fumait un mélange noir pompeusement intitulé « café » Juve causait encore avec l’enfant.
Mais ce n’était plus deux ennemis qui s’entretenaient et le titi parisien était désormais bien loin de railler.
Adroitement questionné par le maître-policier, il avait confessé toute son histoire :
— Mon nom, c’est Riquet. Je suis apprenti à l’usine Granjeard, une riche tôle. C’est des marchands de fer, à Saint-Denis. Je gagne bien ma vie, mais ça m’embête, le métier. Ce que j’aime par-dessus tout c’est la police. Tout ce que vous avez fait, monsieur Juve, je le sais par cœur. Enfin, bref, comme je vous l’ai dit, quand hier soir j’ai appris votre mort, je me suis dit, sauf vot’ respect : pas possible qu’il se soit fait griller comme une andouille. Et tout de suite, j’ai cavalé par ici. Mais tout de même j’avais bien peur que vous ne soyez dans l’autre monde. Ah mince, très peu de stupéfaction, quand je vous ai aperçu. Et comme ça, puisque vous n’êtes pas mort, il y aurait pas moyen que vous me fassiez entrer dans la police ?
— Hé, hé, tu vas vite en besogne, Riquet. Je ne suis pas mort ? Oui, sans doute, mais je suis mort tout de même. Quel âge as-tu, Riquet ?
— Quinze ans.
— Bon. Tu es un homme. Tu sais garder un secret ?
— Comme une tombe.
— Alors, je t’embauche dans ma police personnelle. Voilà : c’est un miracle que j’aie échappé à l’incendie. Tout le monde me croit mort, tout le monde doit me croire mort. Tu comprends que cela me facilitera énormément la recherche de Fantômas. Très bien. Riquet, tu vas rentrer à ton usine. Si. Exactement comme si tu ne savais pas ce que tu sais maintenant. Tu ne diras à personne que tu connais Juve, et tu me présenteras à tous tes amis, pour un de tes compagnons d’atelier. Je m’appellerai, voyons, je m’appellerai : Lambert. Cela te va-t-il ? Et tu verras, continuait-il, qu’à nous deux, le Fantômas n’aura qu’à bien se tenir. Riquet, tu voulais faire de la police, nous allons en faire ensemble, et de la bonne. J’ai confiance dans les gamins comme toi. Seulement, et c’est mon devoir de te prévenir, car tu le vois je te traite en homme, c’est la mort que l’on risque, à lutter contre Fantômas. Tu n’auras pas peur ?