Les Trente-Neuf Marches - Страница 32

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Comme 8 heures approchaient, j'allai retrouver Scaife pour lui donner ses instructions. Je convins avec lui de la façon de disposer ses hommes, et sortis ensuite faire un tour, car je ne me sentais aucun appétit. Je longeai le terrain de golf désert, puis gagnai un point de la falaise situé plus au nord derrière la rangée de villas. Sur les jolis petits chemins tout neufs je croisai des gens en villégiature qui revenaient du tennis ou de la plage, et un garde-côtes du poste de T. S. F., plus des baudets et leurs conducteurs qui rentraient chez eux. Au large, dans le crépuscule bleu, je vis des feux s'allumer sur l'Ariadne, et plus au sud sur le torpilleur; et au-delà du banc de Cock, les feux plus puissants des vapeurs qui se dirigeaient vers la Tamise. Tout ce spectacle était si paisible et si normal que ma confiance décroissait à chaque minute. Vers 9 heures et demie, je dus prendre mon courage à deux mains pour m'en aller vers Trafalgar Lodge.

Chemin faisant je repris confiance à la vue d'un lévrier qui marchait d'un pas élastique derrière une bonne d'enfant. Il me rappela un chien que je possédais en Rhodésie, et l'époque où je l'emmenais sur les monts Pali chasser le bouquetin de la variété grise. Or, un jour que nous en poursuivions un, nous le perdîmes subitement tous les deux. Un lévrier se fit à sa vue, et j'ai moi-même de bons yeux; mais ce bouquetin s'évanouit purement et simplement du paysage. Par la suite je me rendis compte de sa manœuvre. Sur la roche grise des kopjes il ne se détachait pas plus qu'un corbeau sur une nuée d'orage. Il n'eut pas besoin de courir: il lui suffit de rester immobile pour se confondre avec le terrain.

À peine ce souvenir m'eut-il traversé l'esprit que je l'appliquai au cas présent et tirai la conclusion. Les gens de la Pierre-Noire n'avaient pas besoin de fuir. Ils se résorbaient tranquillement dans le paysage. J'étais sur la bonne piste; et m'enfonçant cette vérité dans la tête, je me jurai de ne plus l'oublier. Le dernier mot restait à Peter Pienaar.

Les hommes de Scaife devaient être maintenant à leurs postes; mais on ne voyait âme qui vive. La maison se livrait comme une place publique aux regards des passants. Une barrière de trois pieds de haut la séparait du chemin de la falaise; toutes les fenêtres du rez-de-chaussée étaient ouvertes, et des lumières voilées, avec un murmure de voix, indiquaient où ses habitants achevaient de dîner. C'était réellement la maison de verre. Avec l'impression d'être le plus grand sot de la terre, j'ouvris le portail et sonnai.

Un homme dans mon genre, qui a parcouru le monde à la dure, s'entend très bien avec deux catégories de gens, que l'on peut nommer la supérieure et l'inférieure. Il les comprend, et eux le comprennent. Je me trouvais en pays de connaissance avec des paysans, des chemineaux et des cantonniers; j'étais également assez à l'aise avec des hommes comme sir Walter et ceux que j'avais rencontrés le soir précédent. J'en ignore la cause, mais c'est là un fait. Mais ce qu'un type de ma sorte ne comprend pas, c'est le monde béat et satisfait de la haute bourgeoisie, les gens qui habitent dans les villas et dans la banlieue. Il ignore leur façon de voir, il ne partage pas leurs préjugés, et il est aussi intimidé par eux que par un ours brun. Quand une pimpante soubrette vint m'ouvrir la porte, j'eus peine à recouvrer la parole.

Je demandai Mr Appleton, et fus introduit. Mon plan était de marcher droit à la salle à manger, et par ma brusque apparition de provoquer chez ces hommes, qui devaient me connaître, le sursaut révélateur qui eût confirmé mon hypothèse. Mais lorsque je me trouvai dans cet élégant vestibule, son aspect me dompta. Il y avait là ces crosses de golf et ces raquettes de tennis, ces chapeaux de paille et ces casquettes, cet assortiment de gants, ce porte-cannes garni, que l'on rencontre dans dix mille demeures d'Angleterre. Un tas de pardessus et d'imperméables correctement plies garnissait le couvercle d'un coffre de chêne ancien; une horloge de nos aïeux tiquetaquait; des bassinoires de cuivre fourbi ornaient les murs, avec un baromètre et une lithographie représentant Chiltern gagnant le Saint-Léger. Cet intérieur était aussi orthodoxe qu'une église anglicane. Lorsque la fille me demanda mon nom, je le lui donnai machinalement, et elle me fit entrer dans le fumoir, sur la droite du vestibule.

Le fumoir était pire encore. Je n'eus pas le temps de l'examiner en détail, mais je pus voir au-dessus de la cheminée plusieurs photographies encadrées, et j'aurais juré que ces groupes représentaient des collèges ou des universités anglaises. Je n'y jetai qu'un regard, et parvenant à me ressaisir, je suivis la fille. Mais j'arrivai trop tard. Elle avait déjà pénétré dans la salle à manger et dit mon nom à son maître: je manquai ainsi l'occasion de voir l'effet qu'il produisit sur les trois hommes.

À mon entrée, le vieillard, placé à l'autre bout de la table, se leva pour venir au-devant de moi. Il était en habit de soirée – smoking et cravate noire – comme l'autre, que j'appelais en moi-même le gros. Quant au troisième, l'individu brun, il portait un complet de serge bleu, un col blanc souple, et les couleurs d'un club ou d'un collège.

L'accueil du vieillard fut parfait.

– Mr Hannay? dit-il, avec hésitation. Vous désirez me causer? Un instant, mes amis, et je reviens. Voulez-vous passer dans le fumoir?

Bien que je n'eusse pas pour un liard d'assurance, je m'efforçai de jouer la partie. Sans obéir à son invitation, je pris une chaise et m'y installai.

– Je pense que nous nous sommes déjà rencontrés, dis-je, et vous devez connaître l'affaire qui m'amène.

La pièce était peu éclairée, mais je pus néanmoins voir, à la physionomie des trois hommes, qu'ils jouaient à merveille l'incompréhension.

– Possible, possible, répartit le vieillard. Je n'ai pas très bonne mémoire, mais je vous prierais néanmoins, monsieur, d'exposer le but de votre mission, car en vérité je l'ignore.

– Eh bien! voilà, repris-je (cependant que je me faisais tout l'effet de raconter de pures inepties), je suis venu vous dire que rien ne va plus. J'ai en poche un mandat d'arrêt contre vous trois, messieurs.

– Un mandat d'arrêt! fit le vieillard, d'un air authentiquement scandalisé. Un mandat d'arrêt! Juste ciel, et pour quel crime?

– Pour l'assassinat de Franklin Scudder, à Londres, le 23 du mois dernier.

– C'est la première fois que j'entends ce nom, répliqua le vieillard, d'un air abasourdi.

L'un de ses compagnons prit la parole:

– C'est l'homme assassiné à Portland Place. Je me rappelle l'avoir lu. Mais bon Dieu! monsieur, c'est de la démence! D'où sortez-vous donc?

– De Scotland Yard, répondis-je.

Il y eut alors une minute de parfait silence. Le vieillard, les yeux baissés sur son assiette, tripotait une noix. Il incarnait la stupeur de l'innocence.

Puis le gros parla. Il hésitait un peu, comme s'il cherchait ses mots.

– Ne vous tourmentez pas, mon oncle, fit-il. Ce n'est rien qu'une absurde méprise, comme il en arrive parfois; mais nous n'aurons pas de peine à rétablir les faits et à démontrer notre innocence. Je puis prouver que, le 23 mai, je n'étais pas en Angleterre, et que Bob était dans un sanatorium. Vous étiez à Londres, il est vrai, mais vous pouvez dire ce que vous faisiez ce jour-là.

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