Les Trente-Neuf Marches - Страница 25

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On peut imaginer quel poids cela m'ôta de l'esprit. Je me sentis de nouveau un homme libre, car je n'avais plus à lutter que contre les ennemis de mon pays, et non plus contre sa justice.

– Et maintenant, voyons ce petit calepin, dit sir Walter.

Son examen nous prit une grande heure. Je lui expliquai le chiffre, et il sut s'en servir tout de suite. Il corrigea ma lecture en divers passages, mais ma traduction se trouva correcte en gros. Dès avant la fin son visage revêtait un sérieux extrême, et il resta ensuite quelque temps silencieux.

– Je ne sais que faire, dit-il enfin. Il a raison sur un point – à savoir: ce qui va se passer après-demain. Comment diable cela a-t-il pu transpirer? Voilà déjà qui est assez mauvais. Mais tout ce qui concerne la guerre et la Pierre-Noire – cela me fait l'effet du pire mélo. Que n'ai-je plus de confiance dans le jugement de Scudder! L'ennui avec lui c'est qu'il était trop romanesque. Il avait le tempérament artiste, et il prétendait embellir la vérité toute nue. Il avait en outre quelques travers bizarres. Les Juifs, par exemple, le faisaient voir rouge. Les Juifs et la haute finance.

«La Pierre-Noire, reprit-il. Der Schwarzstein. C'est comme dans les livraisons à deux sous. Et tout ce bourrage concernant Karolidès. C'est la partie faible de l'histoire, car je sais pertinemment que le vertueux Karolidès est capable de durer plus longtemps que nous deux. Aucun pays en Europe ne désire le voir disparaître. De plus, il vient de déployer ses talents à Berlin et à Vienne et de procurer à mon chef quelques mauvais moments. Non! Scudder a perdu la piste là-dessus. Franchement, Hannay, je ne crois pas cette partie de son histoire. Il se brasse quelque vilaine affaire, il en a découvert trop, et il y a perdu la vie. Soit. Mais je suis prêt à donner ma parole qu'il s'agit là de simple espionnage. Une certaine grande puissance européenne est entichée de son système d'espionnage, et ses méthodes ne sont pas des plus scrupuleuses. Comme elle paye aux pièces, ses émissaires n'iront pas reculer devant un meurtre ou deux. Ils veulent nos instructions navales pour leur collection du Marinamt [7]; mais ces instructions seront classées dans un cartonnier – voilà tout.

À ce moment le majordome pénétra dans la pièce.

– On vous demande au téléphone, de Londres, sir Walter. C'est Mr Heath, qui désire vous parler personnellement.

Mon hôte s'en alla au téléphone.

Il revint au bout de cinq minutes, tout pâle.

– Je fais mes excuses aux mânes de Scudder, dit-il. Karolidès a été tué d'un coup de revolver, ce soir, quelques minutes avant 7 heures.

8 Où la pierre-noire apparaît

Le lendemain matin, après huit heures d'un sommeil sans rêves, je descendis pour déjeuner, et trouvai devant les rôties et les confitures sir Walter occupé à déchiffrer un télégramme. Ses fraîches couleurs de la veille semblaient un peu atténuées.

– J'ai passé une heure au téléphone après votre coucher, dit-il. J'ai engagé mon chef à parler au Premier Lord et au secrétaire de la guerre, et ils font venir Royer un jour plus tôt. Cette dépêche le confirme. Il sera à Londres à 5 heures. Bizarre que le mot du code pour sous-chef d'état-major général soit «Porcher».

Il me désigna les plats chauds et reprit:

– Je ne crois d'ailleurs pas que cela serve à grand-chose. Si vos bons amis ont été assez malins pour découvrir le premier arrangement, ils le seront encore pour découvrir sa modification. Je donnerais un an de ma vie pour savoir où est la fuite. Nous croyons qu'il n'y avait en Angleterre que cinq personnes au courant de la visite de Royer, et vous pouvez être certain qu'il n'y en avait même pas autant en France, car là-bas ils prennent mieux leurs précautions.

Tandis que je mangeais il continua de parler, et à mon étonnement, il me favorisa de son entière confiance.

– Ne peut-on changer les dispositions? demandai-je.

– On pourrait, répondit-il. Mais nous voulons l'éviter, si possible. Elles sont le résultat d'un travail infini, et aucun succédané ne les vaudrait. D'ailleurs, sur certains points, tout changement est impossible. Néanmoins on pourrait faire quelque chose, si c'était absolument nécessaire. Mais vous voyez la difficulté, Hannay. Nos ennemis ne vont pas être stupides au point de dévaliser Royer, ou autre truc enfantin du même genre. Ils savent que cela ferait du bruit et nous mettrait sur nos gardes. Ce qu'ils veulent, c'est obtenir les détails à l'insu de nous tous, de façon à ce que Royer retourne à Paris persuadé que toute l'affaire est demeurée absolument secrète. S'ils ne peuvent arriver à ce résultat, ils ratent leur coup, car ils savent que dès l'instant où nous avons des soupçons, tous les plans vont être modifiés.

– Alors nous devons nous attacher aux pas du Français jusqu'à son retour chez lui, répliquai-je. S'ils croyaient pouvoir obtenir l'information à Paris, c'est là qu'ils essaieraient. Autrement dit, ils ont préparé à Londres quelque dessein machiavélique, dont ils escomptent le succès.

– Royer dîne avec mon chef, après quoi il vient chez moi, où quatre personnes le verront: Whittaker de l'amirauté, moi-même, sir Arthur Drew, et le général Winstanley. Le Premier Lord, un peu souffrant, est parti à Sherringham. Chez moi, Royer recevra de Whittaker un certain document, après quoi il sera transporté en auto à Portsmouth, d'où un torpilleur l'emmènera au Havre. Son voyage est trop sérieux pour user du paquebot ordinaire. On ne le perdra pas de vue un seul instant jusqu'à ce qu'il soit rendu sain et sauf sur la terre de France. De même pour Whittaker jusqu'à sa rencontre avec Royer. C'est tout ce que nous pouvons faire de mieux, et je ne vois pas la moindre anicroche possible. Mais je n'en avoue pas moins que je ne suis aucunement rassuré. Cet assassinat de Karolidès va faire un bruit de tous les diables dans les chancelleries d'Europe.

Après le déjeuner, il me demanda si je savais conduire une auto.

– Eh bien! vous me servirez de chauffeur pour aujourd'hui et vous porterez la livrée de Hudson. Vous avez à peu près sa taille. Vous êtes intéressé dans cette affaire et nous ne devons rien laisser au hasard. Nos adversaires sont des hommes résolus à tout, qui ne respecteraient pas la retraite campagnarde d'un homme d'État surmené.

Lors de mon arrivée à Londres, j'avais acheté une auto, et je m'étais amusé à parcourir le sud de l'Angleterre, de sorte que je connaissais un peu la géographie du pays. J'emmenai sir Walter à la ville par la route de Bath et marchai bon train. C'était une matinée de juin, tiède et sans un souffle, qui promettait de s'alourdir par la suite, mais en attendant il faisait délicieux à rouler par les petites villes aux rues arrosées de frais, et le long des jardins de la vallée de la Tamise. Je débarquai sir Walter à son hôtel de Queen Anne's Gâte à 11 heures et demie précises. Le majordome suivait par le train avec le bagage.

Son premier soin fut de me conduire à Scotland Yard. Un correct gentleman à figure rase de notaire nous y reçut.

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