Les Trente-Neuf Marches - Страница 17

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À la brune, je m'engageai dans une vallée transversale qui, d'après mes souvenirs de la carte, menait vers une partie déserte de la montagne. Bientôt les villages se raréfièrent, puis les fermes, et puis même les dernières cabanes. À la fin, nous atteignîmes une lande solitaire où la nuit obscurcissait peu à peu le couchant reflété par les mares fangeuses. En ce lieu nous fîmes halte, je tournai obligeamment la voiture, et restituai ses effets à Mr Jopley.

– Mille remerciements, lui dis-je. Vous êtes plus utile que je ne le croyais. Maintenant, filez prévenir la police.

Je m'assis sur le versant de la hauteur, et tout en regardant décroître les feux arrière, je réfléchis aux divers genres de crimes que j'avais déjà collectionnés. Contrairement à l'opinion générale, je n'étais pas un assassin, mais j'étais devenu un infâme menteur, un éhonté imposteur, et un voleur de grand chemin avec une prédilection marquée pour les autos de prix.

6 L'aventure de l’archéologue chauve

Je passai la nuit à l'abri d'un rocher sur une terrasse du versant de montagne où la bruyère poussait molle et fournie. Gîte plutôt froid, car je n'avais ni veste ni gilet. Ceux-ci se trouvaient sous la garde de Mr Turnbull, comme le petit calepin noir de Scudder, ma montre et – le pis de tout – ma pipe et ma blague à tabac. Seul mon argent m'accompagnait dans ma ceinture, avec une bonne demi-livre de pains d'épices dans ma poche de pantalon.

Je soupai d'une moitié de ces gâteaux, et en m'insinuant profondément dans la bruyère, je réussis à me réchauffer un peu. J'avais repris courage, et commençais à goûter cette folle partie de cache-cache. Jusque-là, une chance miraculeuse m'avait favorisé. Le laitier, l'aubergiste lettré, sir Harry, le cantonnier, et ce crétin de Marmie, tout cela était l'œuvre d'une bonne fortune immédiate. Ce premier succès me donnait en quelque sorte l'impression que je finirais bien par m'en tirer.

Mon principal tourment était une faim abominable. Quand un Juif de la City se tire un coup de revolver et qu'on fait une enquête, les journaux racontent toujours que le défunt avait «mangé un repas copieux». Je me fis la réflexion qu'on n'en dirait pas autant de moi, si je me cassais le cou dans un trou de marais. Je me mettais à la torture – car les gâteaux de pain d'épices ne faisaient qu'accentuer ma pénible vacuité – avec les réminiscences de toutes les bonnes mangeailles dont à Londres j'avais fait fi. Par exemple les croustillantes saucisses de Paddock et ses savoureux émincés de lard, et ses moelleux œufs pochés – combien de fois m'en étais-je détourné avec dédain! Et ces côtelettes, spécialité du club, et ce jambon merveilleux figurant au menu froid, comme mon âme aspirait vers eux! Mon désir flottait entre toutes les variétés existantes de comestibles, et il se fixa définitivement sur un bifteck de marchand de vin et un quart de brune avec un «Welsh rabbit» pour suivre. Dans l'attente sans espoir de ces délices, je m'endormis.

Je m'éveillai une heure avant l'aube, tout roidi et glacé. Il me fallut un moment pour me rappeler ma situation, car je m'étais endormi très fatigué et d'un sommeil pesant. Je vis d'abord le pâle ciel bleu à travers un lacis de bruyère, puis un grand pan de montagne, et enfin mes propres bottines correctement disposées dans un buisson de ronce. Je me dressai sur les coudes et jetai un coup d'œil dans la vallée, et ce simple coup d'œil me fit lacer mes bottines en toute hâte.

Car il y avait des hommes là-bas, à moins d'un quart de mille, égaillés en éventail sur le versant de la hauteur, en train de battre la bruyère. Marmie n'avait pas été long à chercher sa vengeance.

Je quittai ma terrasse en rampant et me dissimulai derrière un rocher; puis de là je gagnai une crevasse peu profonde qui coupait en biais le flanc de la montagne. Cette crevasse me conduisit bientôt dans l'étroite gorge d'un torrent, par laquelle je me hissai jusqu'au sommet de l'arête. De là, je regardai en arrière, et vis que l'on ne m'avait pas encore aperçu. Mes ennemis fouillaient méthodiquement le versant de la montagne et s'élevaient peu à peu.

Caché derrière la ligne d'horizon, je courus, l'espace peut-être d'un demi-mille, jusqu'au moment où je m'estimai parvenu à hauteur de l'extrémité supérieure du ravin. Alors je me montrai, et fus découvert à l'instant par l'un des rabatteurs, qui avertit ses collègues. J'entendis s'élever des appels, et vis la ligne de recherche modifier sa direction. Je fis semblant de battre en retraite au long de la crête, mais en réalité je revins sur mes pas, et en vingt minutes je fus de retour derrière l'arête dominant l'endroit où j'avais dormi. De ce poste, j'eus la satisfaction de voir la poursuite, complètement égarée sur une fausse piste, refluer sur la montagne jusqu'au plus haut du ravin.

J'avais devant moi tout un choix de chemins, et je me décidai pour une arête qui faisait un angle avec celle où j'étais, et qui par conséquent mettrait bientôt un profond ravin entre moi et mes ennemis. L'exercice m'avait réchauffé le sang, et je commençais à m'amuser beaucoup. Sans m'arrêter, je déjeunai des restes poudreux des pains d'épices.

Je connaissais très mal le pays, et n'avais pas idée de ce que j'allais faire. Je me fiais à la vigueur de mes jambes, mais je me rendais compte que ceux qui me poursuivaient connaissaient bien la topographie des lieux, et que mon ignorance m'handicapait fortement. Je voyais devant moi une mer de montagnes, s'élevant très haut dans le sud, mais vers le nord s'abaissant par vastes ondulations entrecoupées de vaux larges et peu profonds. L'arête que j'avais choisie s'abaissait, un mille ou deux plus loin, vers une lande qui formait comme une sorte de poche entre les hauteurs. Cette direction me semblait aussi bonne à prendre qu'une autre.

Mon stratagème m'avait procuré une bonne avance – de quelque vingt minutes – et j'avais déjà mis derrière moi la largeur d'un ravin lorsque je vis surgir les premières têtes de mes poursuivants. La police avait sans nul doute requis la coopération des talents locaux, et les hommes que je pus voir avaient l'apparence de bergers ou de gardes-chasse. Ils poussèrent une clameur en m'apercevant, et je les saluai de la main. Deux plongèrent dans le ravin et commencèrent à escalader mon arête, tandis que les autres restaient de leur côté de la montagne. Je me figurais prendre part à ce jeu de collégiens qu'on nomme «la poursuite».

Mais le jeu ne tarda point à dégénérer. Ces gars derrière moi, des hommes robustes, étaient sur leur bruyère natale. En me retournant, je vis que trois seulement venaient sur moi en droite ligne, et je supposai que les autres faisaient un détour afin de me couper le chemin. Mon défaut de connaissance des lieux risquait fort de causer ma perte, et je résolus de quitter ce labyrinthe de ravins pour la poche de lande que j'avais vue des hauteurs. Il me fallait pour cela augmenter mon avance afin de me débarrasser d'eux, et je crus la chose faisable, à la condition de trouver un terrain propice. Avec du couvert, j'aurais essayé de l'affût, mais sur ces pentes dénudées on eût distingué une mouche à un mille. Je ne devais mettre mon espoir que dans la vigueur de mes jambes et dans la solidité de mes poumons, mais il me fallait pour les utiliser un terrain plus facile, car je n'avais pas le pied montagnard. Ah! posséder ici un bon poney afrikander!

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