Le Voleur dOr (Золотой вор) - Страница 89

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Juve, qui se souvenait en effet du père Grelot, l’ingénieux professeur de vol que Fandor avait quelque temps fréquenté, songeait qu’il est fort difficile d’enseigner l’art de dépouiller son prochain. Sa maladresse pouvait éclater, devait éclater même. Devait-il en courir le risque ?

Juve hésitait, mais n’hésitait pas longtemps.

Il y a des moments dans la vie où la pensée se trouve douée d’une activité formidable et quelque peu prodigieuse.

Alors les événements les plus complexes, les raisonnements les plus délicats s’évoquent avec une rapidité folle.

Juve vivait une de ces heures où il faut et où l’on peut penser vite.

Tandis que le chef des Grouilleurs attendait sa décision avec une anxiété qui n’était pas feinte, car le misérable estimait que son fils, dressé par le Roi des voleurs, arriverait rapidement à la fortune, Juve réfléchit, calcula, songea.

Et certainement le policier inventait alors quelque chose d’extraordinaire, de stupéfiant.

À mi-voix, suivant son habitude, Juve grommelait en effet :

— Donner une leçon de vol, mon Dieu, j’en suis incapable !… En prendre une, tout au contraire, cela pourrait m’être fort utile !… D’autant plus que, demain, je pourrais bien avoir besoin de savoir voler !

Elles était étranges, ces paroles, elles étaient énigmatiques. Elles marquaient cependant ce qui allait être de la part de Juve une décision irrévocable.

— Fais venir ton fils ! ordonna le policier. Je ne sais si je pourrai me charger de le dresser !… Je ne pourrai le faire qu’à condition qu’il me paraisse réellement habile, réellement adroit, réellement doué… Je veux l’interroger, je veux le faire travailler devant moi, ensuite je saurai quoi te répondre !

Une heure plus tard, Juve, souriant, fort gai, prenait congé des Grouilleurs.

Il s’était longuement entretenu avec le fils du chef. Il avait, comme il le disait, fait travailler le jeune homme devant lui. Juve avait contraint son soi-disant élève à lui montrer comment il s’y prenait pour fouiller dans les différentes poches d’un passant quelconque. Juve n’avait hasardé aucune critique, aucun éloge.

— Bien, bien ! disait-il simplement.

Et lorsque le jeune homme, timidement, l’interrogeait :

— Job Askings, crois-tu que je pourrais faire quelque chose ? Veux-tu essayer de m’apprendre à être aussi habile que toi ?

Juve se contentait de répondre :

— J’essaierai de te former !

Mais Juve, en réalité, faisait là une promesse qu’il n’avait guère l’intention de tenir, et pour cause. Juve, à cette minute, quittait les Grouilleurs sans trop savoir s’il reviendrait jamais les voir autrement que pour effectuer une opération policière quelconque à leur sujet. Juve était satisfait, content de lui.

— Ma parole ! répétait-il en s’éloignant sur les berges, je n’ai pas perdu ma soirée ! Il me semble que je sais maintenant proprement voler…

Et, rentré rue Tardieu, Juve qui décidément devait rouler d’étranges projets, montait au sixième étage, réveillait le vieux Jean, le forçait à descendre dans son cabinet de travail.

Toute la nuit, Juve se livra à de surprenants exercices.

Il priait le vieux Jean de mettre son porte-monnaie dans telle ou telle poche de son habit ; délicatement alors, Juve s’efforçât de voler le porte-monnaie…

Le policier devait faire preuve de réelles aptitudes pour être pickpocket car, lorsqu’il interrogeait le vieux Jean et lui demandait s’il s’était aperçu de son vol, le vieux Jean, à chaque fois, répondait négativement.

À cinq heures du matin seulement, Juve congédia son valet de chambre.

— Tu dors debout, déclarait-il, monte te coucher !

Le vieux Jean disparut, puis cinq minutes après vint trouver Juve.

— Je suis bien fâché, monsieur, déclarait-il, mais je crois bien que j’ai perdu ma clé ; je ne peux plus entrer dans ma chambre, comment faire ?

— Imbécile ! riposta Juve. Ta clé n’est pas perdue, c’est moi qui l’ait volée ! Décidément, je deviens très habile !

Et Juve, qui pourtant était un homme grave, claqua des mains, avec une satisfaction visible !

XXIV

Fantômas, toujours !

Le domicile personnel de M. Havard, chef de la Sûreté, se trouvait quai d’Anjou.

L’important fonctionnaire n’occupait pas un appartement élégant ni somptueux.

Toutefois, son habitation était distinguée, l’ameublement sévère et correct ; à voir l’installation intérieure, de graves tentures de velours qui dissimulaient les portes, les tapisseries qui ornaient les murs et l’acajou des meubles, on se rendait compte que l’on avait affaire à quelque habitant sérieux, occupant une situation importante dont les fonctions devaient avoir une certaine austérité.

En pénétrant dans le cabinet de travail de M. Havard, beaucoup de gens auraient pu se croire chez un notaire, à en juger par les nombreux casiers adossés au mur et dans lesquels se trouvaient une multitude de dossiers enfermés dans des chemises, à la teinte uniformément grise.

Quiconque aurait observé son salon se serait dit qu’il était chez un collectionneur et un collectionneur d’objets vraiment bien étranges, car M. Havard possédait en réalité un véritable petit musée composé de tous les souvenirs personnels qu’il avait pu recueillir au cours de sa longue carrière.

Dans un écrin qui lui-même était sous un globe, se trouvait un certain portefeuille qui avait toute une histoire.

Il avait été fait en effet avec de la peau humaine, provenant d’un assassin célèbre, qui avait été guillotiné.

Ce portefeuille avait déterminé d’ailleurs, avant d’arriver aux mains de M. Havard, un formidable scandale. C’était tout simplement deux inspecteurs de la Sûreté qui s’étaient entendus avec un de leurs amis, un préparateur de l’amphithéâtre de médecine !

Cet homme, à qui les policiers avaient remis le corps du supplicié aux fins d’autopsie, en échange leur avait fait tanner avec sa peau un portefeuille !

Toutefois, la chose avait été connue de journaux, lesquels avaient crié au scandale, le préparateur de l’amphithéâtre avait été déplacé, les inspecteurs punis sévèrement et le portefeuille saisi par le chef de la préfecture de police.

Ce fonctionnaire, alors, l’avait transmis à son supérieur hiérarchique et finalement, de mains en mains, le portefeuille était arrivé chez M. Havard !

Celui-ci n’ayant plus personne à qui le donner, l’avait conservé en attendant des instructions du gouvernement et, comme le gouvernement avait cessé de s’intéresser à la chose, la presse n’ayant plus fait de tapage, M. Havard tout simplement avait gardé le corps du délit !

C’était désormais pour lui une relique qu’il montrait volontiers à ses amis, lorsque par hasard le chef de la Sûreté avait le loisir de recevoir à dîner.

Ce soir-là, M. Havard, contrairement à son habitude, était chez lui depuis trois heures.

Il avait absorbé vers six heures un frugal repas, avançant l’heure de son dîner, car il prévoyait des événements pour le reste de la soirée.

M. Havard, vers sept heures, entendit qu’on sonnait à la porte d’entrée et s’en alla ouvrir lui-même.

M. Havard, en allant ouvrir, ne doutait pas de se trouver en présence de Juve.

Juve à deux heures de l’après-midi lui avait annoncé sa visite pour le soir même, et lui avait confirmé les dispositions prises deux jours auparavant.

Effectivement c’était le policier qui se présentait.

Juve paraissait quelque peu troublé et son visage avait la crispation caractéristique des grands jours, des heures décisives.

Le policier serra la main du chef de la Sûreté puis, à la manière de quelqu’un qui connaît la disposition de l’appartement, il se rendit directement dans le cabinet de travail de M. Havard. Celui-ci l’y suivait.

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