Le Voleur dOr (Золотой вор) - Страница 86
Stupéfié par cette déclaration, Léon Drapier, qui sentait sa raison chanceler, demeura quelques instants interdit.
Mais soudain une violente colère gronda dans son cœur. Quel avait été le rôle de Mix dans toute cette affaire ? Il ne le comprenait pas encore très exactement, mais il avait l’impression, peu à peu, que cet homme, loin de l’aider, l’avait compromis, que ce détective avait fait tout ce qu’il fallait pour le perdre…
Certes, Léon Drapier ne savait pas encore qu’on allait invoquer contre lui ses propres traces dans la cave, mais il se souvenait qu’à deux ou trois reprises, sous prétexte d’écarter de son chemin des éléments compromettants, Mix lui avait fait commettre des fautes graves, telles que le bris des scellés chez lui, telles que le véritable cambriolage de l’appartement de Paulette de Valmondois.
— Ah ça, commença Léon Drapier en regardant Mix, ah ça ! seriez-vous un misérable ?
Léon Drapier s’arrêta.
Une porte de la chambre venait de s’ouvrir, et il vit quelqu’un se profiler dans l’entrebâillement de cette porte.
M. Havard et M. Mix ne voyaient point cette personne, ils lui tournaient le dos.
Léon Drapier, cependant, ne pouvait détacher son regard de ce nouveau venu.
Il avait un visage souriant, des yeux qui pétillaient de joie, et il mettait son doigt sur ses lèvres, signifiant à Léon Drapier de ne plus prononcer une parole, de ne pas formuler une observation.
Il avait à peine achevé ce geste que M. Havard, surpris par la fixité du regard de Léon Drapier, se tournait pour voir ce que le directeur de la Monnaie regardait.
Mix fit de même. Le chef de la Sûreté et le détective privé poussèrent ensemble un cri de surprise :
— Juve !…
— Juve !…
Le célèbre policier s’avança dans la pièce.
— Eh bien ! s’écria M. Havard, vous arrivez comme un carabinier, mon cher Juve ! Et cette fois, votre présence n’est pas inutile, je viens de mettre en arrestation M. Léon Drapier ; veuillez exécuter cet ordre et lui passer les menottes !
Juve n’articulait pas une parole.
Il s’était légèrement incliné devant M. Havard, son regard se croisa avec celui de M. Mix qui paraissait légèrement inquiet, Juve considéra enfin d’un œil de pitié Léon Drapier.
Toutefois, le célèbre policier sortait un cabriolet de sa poche, et s’approcha du directeur de la Monnaie.
— Donnez-moi vos deux pouces ! fit-il.
Comme le malheureux obéissait, Juve, à voix basse, murmura à son oreille ces étranges paroles :
— Laissez-vous faire, ne dites pas un mot, n’accusez personne, tout va pour le mieux !
XXIII
Un apprenti voleur
— Jean ?
— Monsieur ?
— Tu es un animal !
— Oui, monsieur !
— Tu ne m’as pas réveillé !
— Monsieur avait l’air trop fatigué !…
— Mais, sapristi ! je ne t’ai pas chargé de me soigner ! je t’ai chargé de me réveiller !…
— Je ne dis pas le contraire !
— Il ne manquerait plus que cela !… Enfin, cela m’est égal ! Je te donne tes huit jours !
— Bien, monsieur.
— Cela n’a pas l’air de t’ennuyer ?
— Non, monsieur.
— Pourquoi cela, Jean ?
— Parce que c’est la six cent vingtième fois que monsieur me les donne sans résultats !…
Juve se réveillait et se réveillait de très bonne humeur. Il avait passé la nuit à étudier des dossiers, à prendre des notes, à écrire un long rapport.
Juve avait été fort ému par l’opération qu’il avait pratiquée la veille sur la personne du malheureux Léon Drapier.
Juve avait beaucoup réfléchi depuis cette arrestation, énormément compulsé de dossiers, et lorsque, à sept heures du matin, le vieux Jean était arrivé à l’appartement, il avait trouvé le policier encore installé à sa table de travail, devant sa lampe allumée, et ne se doutait nullement de l’heure qu’il était.
— Monsieur ne s’est pas couché ? s’était exclamé Jean.
— Non, avait riposté Juve, mais monsieur se couche !
Le policier passait en effet dans sa chambre, allant s’étendre sur son lit et ordonnant à son domestique de le réveiller sans faute à midi.
Or Juve avait dormi de si longues heures, il avait si bel et bien ronflé que le fidèle domestique ne s’était pas senti le courage de réveiller son maître.
Jean, aussi bien, était furieux depuis quelques jours. L’existence du policier qu’il servait depuis vingt ans avec un dévouement scrupuleux lui apparaissait, en effet, véritablement désorganisée. Juve, qui avait toujours mené une vie extraordinaire, disparaissant des quinze jours entiers puis revenant à l’improviste pour repartir aussitôt, Juve, qui ne déjeunait jamais à heure fixe et dînait chez lui peut-être une fois par mois, avait scandalisé son valet de chambre de la façon la plus simple.
Il avait un jour exprimé le désir de manger du gigot, Jean avait fait cuire ce gigot, et Juve n’avait pas reparu à son domicile trois jours durant !
Jean ne pardonnait pas cela à son maître. Jean, qui avait mangé le gigot et l’avait trouvé excellent, avait adressé des reproches à Juve. Juve les avait écoutés en souriant, mais avait mis au comble l’exaspération du domestique en lui rétorquant, ce qui était une pure calomnie, qu’il n’était pas venu manger le gigot parce que ce gigot devait être coriace !
— Tout cela, ça n’est pas clair, pensait Jean. Sûrement que monsieur est encore enfoncé dans une affaire qui lui causera des désagréments !
Comme Jean avait pour Juve une affection sincère, un dévouement de caniche, Jean s’était juré de faire rentrer monsieur dans l’ordre, c’est-à-dire de lui imposer des heures fixes pour dormir, des heures fixes pour déjeuner et pour dîner.
Jean n’était naturellement pas arrivé à convaincre Juve de la nécessité qu’il y avait de mener une vie rangée. Toutefois, Jean prenait désormais sur lui de forcer le policier à dormir. C’est pourquoi, trouvant que son maître avait besoin de repos, le valet de chambre s’était bien gardé d’éveiller Juve à midi. Il l’avait laissé continuer son somme jusqu’à six heures du soir, heure à laquelle Juve s’éveillait tout naturellement.
Le premier mouvement du policier avait d’abord été un mouvement de colère. Il avait sonné Jean, il l’avait mis à la porte. Par bonheur, Jean n’attachait à la chose aucune importance. Ainsi qu’il le disait à Juve sans s’émouvoir, il avait déjà reçu plus de six cents fois son congé ! Il savait, dans ces conditions, ce que parler voulait dire et ne tenait aucun compte de la colère du chef.
— Animal ! bougonna le policier. Tu m’as fait rater ma journée !…
À ce moment, Jean cligna des yeux, prit un visage souriant :
— Monsieur ne m’en voudra certainement pas ! déclara-t-il. Et d’abord monsieur aura une surprise !
— Une surprise ? Quand ? Laquelle ?
— Monsieur aura une surprise à dîner !
Juve reprit son air sérieux.
— Jean, déclarait-il, si tu ne me réponds pas à la minute, je ne te ficherai pas à la porte, parce que tu t’en moques absolument. Je te flanquerai bel et bien une tripotée dont tu te souviendras ! Quelle est ta surprise ?
— Monsieur, répondit Jean, j’ai fait un gigot pour ce soir… Monsieur fera un bon dîner.
— Non, dit Juve, car je ne dînerai pas ici !
Et, de fait, malgré les supplications du dévoué valet de chambre qui pleurait presque à la pensée qu’un second gigot allait se perdre sans avoir eu les honneurs de paraître sur la table de Juve, le policier se levait, s’habillait.
Juve n’était jamais long à faire sa toilette, mais ce jour-là, cependant, il y apportait un soin extrême. Juve se rasait précautionneusement, choisissait un complet qui avait bonne élégance, enfilait un pantalon dont le pli était impeccable.
— Jouons la difficulté, se disait-il. Il s’agit d’impressionner ces lascars !