Le Voleur dOr (Золотой вор) - Страница 81
Parmi cette foule populaire se glissait une femme, une dame, dont la tenue élégante, quoique peu voyante, attirait l’attention.
Dans ce quartier bien populaire, et surtout à une heure aussi matinale, on n’avait pas l’habitude de croiser des personnes aussi bien habillées.
Quelques ménagères, marchandes de quatre-saisons, qui bavardaient sur le trottoir, la désignaient du coin de l’œil :
— Quelque bourgeoise qui vient de faire la bombe ! disait-on.
Et, d’un geste expressif, l’une de ces femmes désignant le visage aux traits fatigués de la personne qui passait, ajoutait :
— Sûr que ç’en est une qui ne s’est pas couchée de la nuit !
La passante, toutefois, n’écoutait pas, elle ne remarquait point qu’elle était observée.
Elle suivait la rue de Vaugirard à pas précipités. Quelques instants auparavant, elle avait abandonné le taxi-automobile qui l’avait amenée jusque-là et, au frémissement nerveux de son pas, il semblait qu’elle était heureuse de marcher, d’agir.
Au bout de quelques instants, elle s’arrêtait à l’angle d’une rue privée.
La plaque d’émail bleue indiquait : « Impasse de Vaugirard, voie interdite aux véhicules ».
Sans la moindre hésitation, cette personne s’engageait dans cette impasse, longeait des murs mal entretenus, ravinés en maints endroits, couverts de mousse.
Cette personne connaissait certainement cette impasse, car, à un moment donné, elle traversait l’étroit passage et, s’arrêtant devant une petite porte noire et basse, sonnait puis attendait quelques instants.
La porte s’ouvrit, une vieille femme apparut.
— Dites-moi, interrogea aussitôt l’arrivante, je voudrais voir d’urgence sœur Sainte-Eudoxie ?
Le visage de la vieille femme qui ouvrait la porte exprima une soudaine inquiétude.
— Mon Dieu ! mon enfant, que dites-vous là ? Il ne faut jamais parler de sœur Sainte-Eudoxie !
La visiteuse s’excusait.
— Je vous demande pardon, ma mère, j’avais oublié, en effet, que vous êtes des persécutées !
La vieille femme hochait la tête en silence, puis, regardant attentivement la visiteuse à travers ses lunettes qu’elle venait d’ajuster, elle articula non sans une certaine surprise :
— Mais je ne me trompe pas ! C’est bien la petite Eugénie Drapier que j’ai devant moi ?
— C’est bien elle, en effet, et je vous reconnais, ma mère.
— Chut ! mon enfant, chut ! Taisez-vous ! On n’aurait qu’à nous entendre…
La vieille femme, alors, mystérieusement, faisait signe à la passante d’entrer.
C’était bien, en effet, Eugénie Drapier qui, trois quarts d’heure après avoir quitté son mari, était venue frapper à la porte de cette étrange maison où on la recevait si mystérieusement.
La vieille femme refermait prudemment le lourd battant de bois, puis Eugénie Drapier traversait un jardinet au fond duquel se trouvait une vaste maison aux apparences délabrées.
Il semblait qu’en maints endroits on avait tenté des réparations et que l’architecte ou le maçon s’était découragé à l’idée de l’importance des travaux qu’il faudrait faire pour remettre complètement en état ce vieil immeuble tout décrépi.
— Venez par ici, mon enfant, faisait la vieille femme, cependant qu’avec Eugénie Drapier elle s’approchait de la maison et lui désignait du geste la toiture.
— Voyez, lui dit-elle, à l’endroit où il y a cette grande tache de plâtre, nous avons dû démolir notre petit clocher, et surtout enlever la croix. De la sorte, souffla-t-elle à l’oreille de la jeune femme, la justice ignore que c’est l’ancien couvent de nos sœurs que nous avons racheté, elle ignore surtout que la supérieure de l’ordre des carmélites est revenue ici avec quelques-unes de ses filles les plus dévouées dont je fais partie…
— Je savais tout cela, ma mère, articula Eugénie Drapier, et c’est pour cela que je suis venue vous voir.
— Vous avez bien fait, mon enfant, mais il faut être prudente et ne jamais demander, lorsque vous frapperez à la porte, à voir la sœur Sainte-Eudoxie, car, si de méchantes gens étaient aux écoutes, on pourrait nous dénoncer, nous expulser encore !
Eugénie Drapier hochait la tête, et elle suivait la vieille religieuse défroquée. Elle pénétrait dans un parloir glacial de la grande maison au fond du jardin.
Eugénie Drapier demeurait quelques instants seule.
Certes, si elle avait eu le loisir d’observer à ce moment, elle se serait peut-être rendu compte que les précautions recommandées par la vieille religieuse étaient bien superflues.
Celle-ci, toute révérence parlée, raisonnait avec une certaine naïveté. Elle s’imaginait qu’il suffisait pour elles d’avoir changé de costume pour ne plus ressembler à des religieuses et que le couvent qu’elles avaient acheté, du moment qu’il était dépourvu de son clocher et de sa plus petite croix, n’avait plus l’air d’un couvent.
Assurément, la police était parfaitement renseignée sur ce qui pouvait se passer dans cette demeure clandestine, mais la police, en dépit des décrets, savait également se faire indulgente, se rendant bien compte que les quatre ou cinq pauvres femmes qui se trouvaient dans cette maison étaient bien incapables de nuire le moindrement à l’ordre public et à la sécurité de la liberté de conscience.
Quelques instants après, Eugénie Drapier voyait entrer, dans le grand parloir glacial où elle attendait, une femme encore jeune, au visage souriant, aux yeux pétillants d’esprit.
Elle était vêtue d’une grande robe noire, dont la coupe à peine dessinait la taille, et qui, sans être à la mode, n’avait rien de particulièrement suranné.
Les cheveux de cette femme, qui grisonnaient légèrement aux tempes, étaient tirés, serrés de très près, mais la coiffure cependant restait féminine ; sinon faite avec recherche, du moins elle n’était pas dépourvue d’élégance.
Eugénie Drapier courut à la nouvelle venue.
— Sœur Sainte-Eudoxie ! s’écria-t-elle, ah ! ma pauvre, ma pauvre sœur !
Puis elle tomba dans ses bras, et pleura éperdument.
Deux amies d’enfance, deux amies de Poitiers que ces deux femmes aux cheveux grisonnants qui, désormais, s’étreignaient avec une affectueuse tendresse, dont l’une cherchait à consoler la douleur de l’autre.
Elles avaient été intimes comme deux sœurs et, lorsque leurs jupes étaient encore courtes, elles formaient le projet de ne jamais se séparer dans l’existence et de toujours vivre l’une à côté de l’autre.
Puis les hasards de l’adolescence les avaient séparées, Eugénie Drapier était venue à Paris, tandis que Marguerite, son amie, s’en allait à Marseille où son père avait de gros intérêts financiers.
Les amies, toutefois, restaient en correspondance. Or, au bout de quelques années de séparation, elles apprenaient réciproquement de grandes nouvelles.
Eugénie se mariait, Marguerite entrait en religion, devenait carmélite sous le nom de sœur Sainte-Eudoxie.
Et dès lors, l’une d’elles ayant renoncé au monde, c’était la séparation cruelle, inexorable…
La dissolution des congrégations avait jeté le trouble dans les couvents les plus fermés, on avait connu, par le fait des procès, le nom, l’existence et la résidence de certaines religieuses. C’est ainsi qu’au bout d’une quinzaine d’années, Eugénie Drapier avait retrouvé son amie Marguerite, devenue sœur Sainte-Eudoxie.
La carmélite avait quitté son habit de religieuse et, avec quelques-unes de ses compagnes, elle avait fondé clandestinement, dans l’impasse de Vaugirard, une petite annexe de son ordre.
Les religieuses défroquées vivaient là depuis, perpétuellement inquiètes à l’idée qu’elles pourraient être surprises, respectant en secret les règles de leur ordre, mais obligées néanmoins de se mêler au monde extérieur.
Cependant, sœur Sainte-Eudoxie avait, par ses tendres paroles, fait taire les sanglots d’Eugénie Drapier.
— Je sais, articula-t-elle lentement, combien la vie a de douleur et c’est auprès de Dieu que je cherche les suprêmes consolations. Mais, pauvre petite Eugénie, que t’est-il arrivé ? Pourquoi ce visage bouleversé ? Pourquoi cette visite à une heure si matinale ?