Le Voleur dOr (Золотой вор) - Страница 3
Même, encore une fois, M me Drapier avait poussé un cri de surprise, car elle ne s’attendait en aucune façon à ce que son domestique fût déjà là, au moment où elle passait du salon dans la salle à manger.
Le dîner était hâtivement expédié, encore qu’il fût servi selon un protocole rigoureux, nécessitant la présence du valet de chambre, dans la salle à manger, tandis que ses maîtres dînaient.
Enfin, vers huit heures et demie, M. et M me Drapier passaient dans le salon et dès lors, en prenant leur café, recommençaient à discuter sur les qualités et défauts du personnage qui, ce soir-là, captait leur attention, de ce nouveau domestique que l’on venait d’engager.
À la cuisine cependant, Caroline, la vieille cuisinière, avait attendu pendant dix minutes que le valet de chambre revînt de la salle à manger pour se mettre à dîner.
Elle ne le vit point venir, elle attendit encore quelques instants, puis, impatiente, ayant faim, désireuse également d’aller se coucher, elle suivit le couloir du service qui conduisait de la cuisine à la galerie et s’en vint à pas de loup dans cette dernière pour voir ce que devenait le domestique.
Elle l’aperçut l’oreille collée au trou de la serrure de la porte qui donnait sur le salon.
— Eh bien, grommela-t-elle, en voilà un qui n’est pas curieux, par exemple !
Et elle lui toucha du doigt l’épaule.
Firmain tressaillit. Voyant la cuisinière, il eut une expression farouche qui épouvanta la vieille femme.
— Il n’a pas l’air aimable, ce garçon ! pensa-t-elle. Puis c’est des drôles de manières que d’écouter aux portes. Enfin ça ne me regarde pas !
Au surplus Caroline connaissait mal Firmain et, bien qu’il y eût entre eux, une grande différence d’âge, elle ne pouvait guère lui faire d’observations.
— Je vous cherchais, disait-elle, c’est l’heure de manger, voulez-vous ?
Caroline repartait pour la cuisine, Firmain la suivit.
Installés l’un en face de l’autre, ils absorbèrent en silence du potage à peu près froid, tandis que la cuisinière s’en allait remettre sur le fourneau le plat de viande à moitié consommé par les maîtres et dont la sauce était figée.
En attendant qu’il fût réchauffé, les deux domestiques engagèrent la conversation.
— Alors, demanda Caroline, comme ça, vous venez de province ?
Le valet de chambre eut un air énigmatique, il considéra la vieille bonne, puis d’une voix légèrement grasse et éraillée, presque faubourienne, il répliqua :
— J’en arrive, en effet !
Caroline Continuait :
— Vous allez vous plaire à Paris… Il y a du mouvement, de l’entrain, quoique dans notre quartier ce soit bien tranquille. On n’est pas gêné par le tapage…
— Oui, reconnut Firmain, les murs sont épais dans les maisons…
Caroline avait toutefois un petit sourire ironique à l’adresse du valet de chambre.
— Les portes aussi ! Mais heureusement qu’il y a le trou des serrures, par lequel, en y collant son oreille, on peut entendre ce qui se passe à côté, hein ?…
Le domestique prit un air vexé.
— C’est pas des choses qu’il est nécessaire d’aller répéter aux patrons ! Quand j’écoute comme cela, de temps en temps, c’est par curiosité, c’est histoire de savoir ce qu’on pense de moi. Un homme averti en vaut deux !
— Vous n’avez pas tort, fit Caroline, après tout, moi, pour mon compte, je sais bien que ça me gênerait d’aller ainsi les espionner, mais chacun fait comme il veut !
Après un silence elle demanda :
— Ont-ils parlé de moi ?
— Non ! déclara Firmain, mais de moi. Ils sont épatés, que j’aie de bons certificats… Ça les embête que je m’appelle Firmain… Ils se demandent s’ils ne vont pas m’obliger à répondre au nom de Charles, et enfin il est question de m’acheter des vêtements neufs… Mais ça finira probablement par le rafistolage de ceux que portait le précédent valet de chambre.
Un coup de sonnette impérieux retentit, qui interrompit le dîner des serviteurs.
— Allez voir, fit la cuisinière, c’est pour vous, voyez le tableau : c’est le patron qui sonne !
Et elle concluait :
— Moi, j’ai bien assez de m’occuper du service de la femme de chambre qui est malade en ce moment !
Firmain, cependant, était allé prendre les ordres de ses maîtres. Il revint au bout d’un quart d’heure.
Le domestique avait l’air tout guilleret, il but d’un trait le café bouillant que la cuisinière avait préparé dans un verre, puis lui souhaita le bonsoir.
— Vous avez votre clé ? demanda Caroline. Vous savez où est votre chambre ?
— Mais oui ! s’écria Firmain. Je connais la tôle ! N’ayez pas peur !
— À quelle heure qu’on vous a dit de descendre ?
— Pour sept heures du matin.
— Eh bien, alors, bonsoir !
Le domestique cependant montait rapidement dans sa chambre, au septième.
Mais il ne s’y installait pas, et loin de se disposer à se coucher, s’il enlevait son gilet rayé jaune, c’était pour y substituer un gilet ordinaire, sur lequel il revêtait un veston.
Firmain se coiffa d’une casquette, puis, ayant allumé une cigarette, il descendit par l’escalier de service.
Il était environ dix heures du soir. Comme l’avait dit Caroline la cuisinière, le quartier était tranquille.
Quelques rares voitures passaient… La plupart des lumières aux fenêtres étaient éteintes, et s’il y avait quelques personnes sur le trottoir, c’était surtout des domestiques, des collègues de Firmain qui promenaient des chiens ou alors venaient à des rendez-vous d’amour !
Par les soupiraux des cuisines, placées au sous-sol, des colloques s’engageaient entre des gentilles femmes de chambre et des mécaniciens, ou alors parfois c’était la cuisinière qui, furtivement sortie, venait conférer à voix basse avec le maître d’hôtel d’un immeuble voisin…
Firmain descendit la rue de l’Université, puis, par le boulevard Saint-Germain, gagna les quais.
Il affectait une démarche nonchalante, toutefois il semblait vouloir avancer assez vite. Étant arrivé à l’entrée du pont de la Concorde, il obliqua brusquement sur la droite, longea la berge de la Seine, assez élevée à cet endroit au-dessus du niveau du fleuve, puis, par un petit escalier métallique, descendit au bord de l’eau.
Il faisait très sombre, à cet endroit. Mais Firmain paraissait connaître à merveille cette berge de la Seine cependant encombrée de matériaux, de grosses pierres et de cahutes en planches réservées aux agents de la navigation.
Il alla se dissimuler derrière l’une d’elles et attendit en fumant une cigarette.
Pour un garçon qui arrivait de province, Firmain semblait bien au courant des détails de Paris !
Sur le quai au-dessus de lui passaient à intervalles irréguliers des tramways électriques. On entendait le bruit de leurs timbres aigus retentir dans le silence de la nuit…
Or, à un moment donné, Firmain, qui prêtait l’oreille, laissa échapper une exclamation.
— Ça y est, voilà la roulante de Rosny-sous-Bois !
Il avait reconnu – au coup de timbre – le tramway venant de cette localité.
Dès lors il sortit de derrière sa cachette, revint dans la direction de l’escalier métallique qui accédait à la berge.
Puis il attendit un homme qui précisément à ce moment le descendait et, lorsque ce personnage fut arrivé à quelques pas de lui, Firmain, touchant du doigt sa casquette, articula ces simples mots :
— Salaud ! salut !
Le nouveau venu rétorquait alors :
— Salut ! salaud !
Et après cet échange de propos qui, évidemment, constituait un signal et un moyen de se reconnaître, les deux hommes s’écartèrent de l’escalier et descendirent le long du quai, fort étroit, jusqu’au bord de la Seine.
Le personnage qui était venu rejoindre Firmain était un solide gaillard aux épaules carrées. Son visage paraissait rasé, il était toutefois difficile d’en apercevoir les traits, car le col de son manteau était relevé jusqu’au dessus de ses oreilles et son chapeau mou à large bord abaissé sur ses yeux.