Le pendu de Londres (Лондонская виселица) - Страница 70

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— Il n’en mène pas large, le pauvre, dit Edward, sûrement cette affaire va l’empêcher de dormir pendant plusieurs nuits.

— Bah, conclut Jacob, on oublie tout avec le temps, et puis il faut bien s’y faire, dans nos métiers, ce sont là de mauvais moments qu’on est obligé de passer…

Mais soudain Jacob revint à des idées plus précises :

— Il va être temps, fit-il, que nous descendions au greffe, pour recevoir Sir Ellis, le shérif, qui doit assister à l’exécution.

***

Garrick avait entendu les bruits du couloir du fond de sa cellule.

Le condamné n’avait pas dormi.

La première partie de sa nuit, il l’avait passée en proie à une agitation extrême, à une émotion fébrile.

Par le guichet, les gardiens de service qui l’avaient observé, l’avaient vu aller et venir dans l’étroite cellule, marchant nerveusement, se heurtant aux parois de l’étroite pièce comme un fauve en cage, et ils l’avaient observé minutieusement, redoutant que le prisonnier ne se livrât à quelque extrémité fâcheuse…

Puis, peu à peu ses nerfs avaient semblé se détendre, le calme avait réapparu sur son visage contracté, sa physionomie avait repris son apparence autoritaire et intelligente, qui faisait que dès que l’on considérait cet homme, on se sentait attiré vers lui, par une instinctive sympathie, subjugué même par son air de supériorité.

Le prisonnier, vers trois heures, avait installé son hamac. Il s’était étendu dessus, avait pris quelque repos, mais il n’avait pas dormi…

Une heure après, il se leva, rangea machinalement sa modeste literie, conformément aux règlements de la prison. Puis le plus calmement du monde, il se livra à une toilette sommaire.

Garrick, évidemment, voulait mourir en beauté, il avait réagi. Cet homme s’était-il résigné ? avait-il, après la période d’accablement, senti renaître en son cœur un nouvel espoir d’échapper au châtiment suprême ? En réalité, deux choses préoccupaient par-dessus tout le sinistre forban : la première, c’était qu’il n’avait aucune nouvelle de lady Beltham. Juve ne l’avait-il pas jointe ? Avait-elle refusé de venir ? Ces hypothèses apparaissaient invraisemblables à Fantômas, car rien n’était plus facile à Juve que de rencontrer lady Beltham, depuis les révélations de Beaumôme, et Fantômas ne pouvait admettre que lady Beltham lui gardât rancune de ses passagères amours avec Françoise Lemercier jusqu’à le laisser mourir.

Fantômas, en effet, ignorait que depuis la veille, les détectives, ses amis, avaient fait rigoureusement interdire à quiconque l’approche de sa cellule, et cela pour préparer plus sûrement le sauvetage de celui qu’ils prenaient plus que jamais pour Tom Bob, pour leur collègue, pour un homme innocent et pour un honnête homme.

La deuxième crainte de Fantômas était la suivante :

Juve l’avait-il trahi ?

Juve voulait-il désormais sa mort ?

Juve avait-il dévoilé et prouvé que Garrick, que Tom Bob, c’était Fantômas ?

« Jeu dangereux, pensait ce dernier, car si Juve a procédé ainsi, c’est qu’il renonce à tout espoir de jamais retrouver Fandor… or, je ne puis admettre qu’il se soit résigné à cette alternative, surtout vu son attitude jusqu’à présent… Non, ce n’est pas possible… Et cependant… Fantômas s’affolait…

Avait-il peur de la mort ? Non ! Mais il ne voulait pas mourir encore. Il ne le « fallait » pas. Il ne le « pouvait » pas… Quelque chose de puissant, d’énorme, de formidable l’obligeait à vivre… Ah, ce secret qui était tout le mystère de Fantômas, toute l’explication… et peut-être l’excuse de sa monstrueuse conduite, de sa criminelle existence…

Fantômas reprenait courage…

***

À la pâle lueur qui perçait à travers les vitres dépolies de sa cellule, le prisonnier solitaire, abandonné à ses réflexions, se rendit compte que l’heure décisive approchait.

Une heure allait encore passer, une heure, ni plus ni moins longue que les autres heures.

Lorsque cette heure serait écoulée, le corps vivant, sain, robuste de Fantômas ne serait plus qu’un cadavre… ou alors…

Un bruit de clefs grinçant dans la serrure fit tressaillir le condamné.

La porte de la cellule s’ouvrit. Deux hommes parurent, Fantômas connaissait l’un d’eux. Il le salua d’un sourire énigmatique. C’était son collègue, le révérend William Hope, qui allait l’assister jusqu’à l’instant suprême…

L’autre personnage, qui apparaissait blafard, l’œil hésitant, sous le regard perçant du condamné, se présenta lui-même :

Il annonça, d’une voix mal assurée, demeurant à l’entrée de la cellule, n’osant pas y pénétrer :

— Par ordonnance du roi… je suis le shérif de Londres… chargé d’assister, Garrick, à votre exécution… je souhaite que Dieu vous aide à supporter…

Le shérif n’en pouvait dire plus, le reste de son discours se perdit dans les balbutiements.

Ce fut Fantômas qui vint au secours de l’officier gouvernemental.

— Monsieur le shérif, déclara-t-il, je vous remercie des paroles que vous venez de prononcer, je m’efforcerai d’avoir du courage…

Il poursuivit, s’adressant à William Hope :

— Mon cher Révérend, priez donc, monsieur le shérif de s’asseoir sur cet escabeau, je crains qu’il ne se trouve mal…

Le shérif défaillait, en effet : c’était un homme tout jeune, trente ans à peine, et sincèrement ému. L’attitude ferme de Garrick ajoutait encore à son émoi, si c’était possible.

Il y eu un silence.

— C’est la première fois, sans doute, monsieur le shérif, demanda le condamné, que vous allez assister à une exécution capitale ?

Inintelligiblement, le shérif répondit « Oui » à la question de Tom Bob…

Le condamné à mort continua :

— Il ne faut pas vous en émouvoir outre mesure, les hasards de l’existence m’en ont fait voir quelques-unes… ce n’est pas très dramatique…

Il poursuivait, s’animant :

— Dans les autres pays, l’exécution des sentences capitales s’entoure assurément d’accessoires plus terrifiants qu’ici : la hache en Allemagne, la guillotine en France, le garrot en Espagne, déterminent de l’effroi et de l’horreur, non seulement par la brutalité de l’acte qui est commis, mais eu égard encore à la publicité malsaine que l’on donne à ces sinistres cérémonies… Chez nous, monsieur le shérif, les choses se passent dans l’intimité, on reste entre soi. La foule avide de ces émotions malsaines ne voit rien du tout, elle est contrainte d’attendre, devant un mur de la prison, et de se dire que derrière ce mur, il se passe quelque chose… On annonçait, jadis, l’exécution du condamné en hissant un drapeau noir au-dessus de l’immeuble dans lequel venait de s’accomplir le supplice. Je crois que désormais on se contente de sonner la cloche.

Le shérif tressaillit. Cinq heures moins le quart venaient de sonner à l’horloge lointaine de la prison, avec un son de glas.

— C’est funèbre, n’est-ce pas, dit Tom Bob.

Il ajoutait en soupirant :

— Quel horrible prologue à la pendaison…

Malgré toute sa volonté, Fantômas blêmit une seconde, son regard devint farouche, ses poings se crispèrent.

Instinctivement il observait autour de lui, comme s’il eût cherché une issue pour s’échapper, mais il n’y avait rien à faire, la lourde porte de la cellule s’était refermée sur ses deux visiteurs, les murs étaient impénétrables.

Tom Bob considéra fixement William Hope qui, depuis quelques instants, lui faisait signe qu’il voulait lui passer quelque chose…

Toutefois le shérif les regardait tous deux :

Certes, il avait l’air hébété, stupide, presque incapable de raisonner, mais néanmoins cet homme pouvait voir, il ne fallait encore rien tenter…

Tom Bob se ressaisit :

— La pendaison ? déclara-t-il… Ce n’est pas le vrai mot qu’il faudrait employer, car on ne pend plus de nos jours les condamnés à mort. Grâce aux dispositifs qui font que le plancher soudain s’effondre sur le poids du corps, c’est la rupture de la colonne vertébrale qui détermine le décès… décès subit, dit-on, décès absolu, affirment les spécialistes…

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