Le pendu de Londres (Лондонская виселица) - Страница 7
Et puis, soudain, brusquement, au beau milieu d’une journée monotone où Fandor réussissait à affranchir définitivement ses mains du terrible lien des menottes, une nouvelle surprise…
Il lui avait semblé que son logis bougeait…
Et Fandor, abruti d’étonnement, se demanda :
— Mais sapristi de sapristi, qu’est-ce que cela veut dire ? suis-je donc dans une caisse, ou bien dans une roulotte automobile… et puis où m’emmène-t-on ? que va-t-on faire de moi ? ah ! Juve ! Juve !… je crois que si vous n’arrivez pas…
4 – UNE ENQUÊTE À PUTNEY
Superbe dans son uniforme sombre, coiffé d’un casque irréprochable, le policeman qui surveillait le 4 eîlot de Elsted Street avisa un mendiant qui, depuis quelques minutes déjà, s’appuyait à la courte grille d’une des petites villas élevées au long de l’allée, villas élégantes, luxueuses, d’aspect uniforme, exactement semblables à toutes les villas que l’œil pouvait apercevoir à perte de vue, depuis le commencement jusqu’à la fin de la voie percée en droite ligne, et déserte encore à cette heure matinale.
Le policeman traversa la chaussée, s’approcha de l’individu :
— Qu’est-ce que vous faites-là ?… ce n’est pas un lieu pour dormir. Partez…
L’autre, le misérable, le contempla avec une grande gravité, et tout le respect dû à la haute situation de « policeman ».
— Je ne fais rien, officier… je ne dormais pas… j’attendais…
— En vérité !… quoi donc ?
Le mendiant eut un geste vague, un sourire parut flotter sur ses lèvres :
— Officier, répondit-il enfin, j’attendais qu’il passe quelqu’un que je connais. Mais ce damné garçon a dû trop boire de whisky hier, et je le suppose en retard. Oui, vraiment. Ce qui fait que je vais m’en aller…
Et tandis qu’il s’éloignait, le policeman, flegmatiquement, suivait des yeux le pauvre bougre.
— Je n’aime pas, pensait le digne policeman, que de pareils individus se reposent ici.
Et toujours digne, l’air sévère, le maintien imposant, le policeman reprit sa promenade, marchant soigneusement au centre de la rue où les voitures, avec une régularité admirable, un respect de l’ordre extraordinaire, tenaient rigoureusement leur gauche…
***
Cette courte scène se passait à Putney, dans un des quartiers les plus luxueux de Londres, l’un de ceux où se trouvent les plus somptueux petits hôtels habités par les riches commerçants de la Cité qui, chaque soir les heures de travail terminées, les affaires achevées, reviennent à grand renfort d’ « autos », de « cabs » ou même de « métropolitain » rejoindre cet endroit paisible.
C’était lundi matin. Après le triste dimanche anglais, Londres se ranimait, reprenait son va-et-vient accoutumé, un va-et-vient d’aspect bizarre, très affairé, certes, un va-et-vient de gens pressés, un va-et-vient de gens silencieux. C’était partout la rumeur des choses en mouvement, des roues de voitures qui sautent sur le pavé et des pas qui martèlent les trottoirs, mais aucune exclamation, aucun rire, aucune parole.
Tous ceux qui suivaient Elsted Street se rendaient évidemment quelque part, et trouvaient naturel de ne pas penser – en quelque sorte, de ne point vivre – jusqu’à ce qu’ils y fussent arrivés.
Par exception d’ailleurs, il faisait ce matin-là un clair soleil de printemps. Huit heures venaient de sonner. À chaque villa, les jalousies s’ouvraient sur les bow-windows, les gens de service commençaient à faire le ménage, petites bonnes blondes bien proprettes, coiffées de bonnets élégants, portant des tabliers à bavette, comme les plus coquettes femmes de chambre de France, valets, roux, graves, dignes, froids, effectuant avec un sérieux comique les besognes les plus ordinaires, frottant une vitre avec des airs de Vinci en train de peindre la Joconde.
Putney s’éveillait. Putney faisait toilette.
Après le repos du dimanche, le quartier redevenait ce qu’il était habituellement, bourgeois, cossu, riche aussi. Un quartier privilégié, en vérité, où les pourboires étaient nombreux, où l’usage était que chaque propriétaire de villa donnât lui-même, chaque semaine, quelques pences aux petits ramasseurs de crottin.
Le policeman continuait sa promenade de long en large, inspectait toute chose de son air de grand seigneur.
Des soldats, en éclatants uniformes rouges, passèrent.
Puis, un prédicant tenta de rassembler quelques badauds pour leur reprocher de n’avoir point assez sanctifié la veille, et, découragé, alla prêcher plus loin la bonne parole…
Et ce fut la sortie des bonnes allant porter les commandes, que les fournisseurs s’empresseraient de faire livrer.
Le policeman avait quitté le milieu de l’avenue.
Debout sur le bord d’un trottoir, il surveillait le passage des domestiques, échangeant avec certaines petites cuisinières de glorieux sourires.
— Salut, miss Mary…
— Salut, officier…
Et jamais, ni lui, ni elles n’ajoutaient une phrase de plus…
Pourtant, comme fatigué de sa station immobile, le policeman recommençait à faire les cent pas, il parut sortir de son apathie, et fronçant les sourcils, traversa rapidement la chaussée, se dirigeant vers l’autre côté de la rue.
— Hep ! siffla-t-il, je vous ai déjà dit de passer votre chemin… que voulez-vous ?
La demande s’adressait une seconde fois au mendiant que tout à l’heure il avait prié de s’écarter.
Ah ça ! cet homme, allait-il le contraindre à sévir ? Le policeman, répéta :
— Je vous ai prévenu que ce n’était point un lieu pour dormir ?… vous m’avez compris ?
Comme précédemment, le mendiant s’inclina :
— Dieu gracieux, officier, je vous ai parfaitement compris ! mais j’attends un damné garçon, et je ne saurais en vérité…
Tout en répondant le mendiant avait souri, et, fouillant dans sa poche, regardant le policeman, il lui tendait, dissimulée dans sa main, une petite carte rouge, ajoutant rapidement :
— Excusez-moi, policeman, mais il est nécessaire que je stationne ici, et que vous ne me fassiez point remarquer…
Le policeman, cette fois, battit en retraite :
— Oh ! pardon ! monsieur, fit-il, je ne savais pas ?… je ne pouvais pas me douter…
Et il allait s’éloigner, lorsque le mendiant le rappela :
— Hep, policeman ?
— Monsieur ?
— C’est bien au 33 qu’habite le docteur Garrick ?
Le policeman ouvrit des yeux effarés :
— Oui, monsieur, c’est bien là… est-ce que… ?
— Qu’alliez-vous dire, policeman ?
— Monsieur, répondit l’autre, je vous prie de m’excuser, car je n’ai évidemment pas de questions à vous adresser…
— Je le sais pardieu bien, mais je vous autorise à parler…
— Eh bien, monsieur, j’allais vous demander si c’était relativement au docteur Garrick que vous vous trouviez dans le quartier… ?
— Cela vous étonnait policeman ?
— Je n’ai pas dit cela…
— Vous avez entendu parler des habitants du 33 ?
Et le pauvre diable, montrant du doigt une somptueuse petite villa dont les stores demeuraient obstinément clos, poursuivit :
— Est-ce qu’il n’y a personne ?
Le policeman eut un geste de doute :
— J’ignore, monsieur, mais j’ai entendu beaucoup parler du docteur Garrick…
— Vous le connaissez ?
— Je l’ai souvent vu…
— Son signalement ?
Le policeman parut faire un effort extraordinaire pour réfléchir, il répondit enfin :
— Il y a, monsieur, en vérité, plus de huit mois que j’ai charge de cet îlot, et je connais tous les habitants…
— Le docteur Garrick seul m’intéresse…
— C’est, monsieur, un homme de quarante-cinq à cinquante ans, très brun. Il porte les favoris et la moustache. Ses cheveux sont longs et bouclés…
— Bien !… riche ?
— Il est dentiste.
— Beaucoup de clients ?
— Non, il exerce à son idée, presque en amateur…
— C’est bien… Nous avons assez causé. Vous êtes de garde jusqu’à quelle heure ?