Le pendu de Londres (Лондонская виселица) - Страница 18
À la mort de ses parents, survenue dès son enfance, ils l’avaient élevée avec la plus grande tendresse, lui faisant donner une éducation soignée.
Puis la jeune fille partit pour Paris où elle exerçait diverses professions. Ses grands-parents ne la virent plus qu’à de rares intervalles, il leur sembla même que peu à peu elle se détachait d’eux.
Or, un certain jour, il y avait de cela près de quatre ans, Berthe leur était venue relevant, semblait-il, d’une grande maladie au cours de laquelle son existence avait été en danger.
On recommandait à la jeune fille du repos, du calme, de la campagne. Les bons vieillards, bien que n’étant pas riches, faisaient très volontiers à leur enfant chérie une place confortable et affectueuse à leur foyer.
Lentement la jeune fille s’était remise.
… Cependant une voix retentit du fond de la maison :
— À la soupe… à la soupe… il est sept heures passées…
La mère Catherine, femme du père Yxier, sortait de sa cuisine et apparut, toute rouge de la chaleur du fourneau.
Prestement, Berthe se leva de la chaise longue en osier sur laquelle elle était étendue et gagna la maison.
Son grand-père, lui, délaçant ses gros souliers maculés de boue, se déchaussait sur le seuil de la porte, puis pénétrait ensuite dans l’intérieur, ayant, pour ménager le parquet ciré, mis au préalable des chaussons de laine.
— Je t’ai fait une soupe au lait spéciale pour toi, déclara la mère Catherine à sa petite-fille, puisque ton estomac ne te permet pas de manger le pot-au-feu…
***
Soudain, dans le silence du soir, un grondement sourd se perçut.
— Une automobile qui passe, dit le père Yxier en allumant sa pipe.
— On voit bien que nous entrons dans la belle saison… la route de Paris à Rouen recommence à être fréquentée par ces machines-là… c’est au moins la dixième que j’entends aujourd’hui… dit la mère Catherine.
— Ma foi, tant mieux, grand-mère, dit Berthe, cela fera du mouvement dans le voisinage.
— Possible, grogna encore le père Yxier, mais ça fait bien de la poussière sur les fruits… et puis ce tapage qu’elles font, les mécaniques…
— Écoutez, interrompit Berthe…
Au loin on venait d’entendre une explosion.
— Ce doit être un pneu qui éclate, dit la mère Catherine, il y a quinze jours, tout près de chez la mère Denis, j’ai entendu le même bruit. C’était une grosse voiture, dont le caoutchouc trop gonflé avait crevé comme une vessie…
— Écoutez, fit Berthe, je viens d’entendre quelqu’un.
Il y eut des pas crissant sur le gravier du chemin de halage, se rapprochant, s’éloignant, s’approchant encore…
Le père Yxier se leva brusquement.
Il lui semblait que la petite barrière du jardin venait d’être ouverte.
Yxier se dirigea vers la porte, il l’entrebâilla, écouta une seconde. Tout se taisait de nouveau :
— Qui va là ? demanda le vieillard.
Berthe poussa un léger cri.
Une forme noire se projetait dans le faisceau de la lampe à pétrole. Une silhouette de femme surgit, grande, mince…
À peine eut-elle vu que l’on ouvrait la porte, qu’elle supplia :
— Monsieur… madame… je vous en prie, au secours…
Il était tard pour la campagne, huit heures et demie passées, presque neuf heures…
L’inconnue, comme une fugitive effrayée, pénétra dans l’intérieur de la pièce. Elle s’écroula sur la première chaise venue, incapable, semblait-il, de prononcer une parole.
Berthe la regardait, curieuse.
C’était une grande femme blonde aux yeux clairs, vifs et brillants, jolie, autant qu’il était possible de s’en rendre compte à travers le voile de gaze qui lui recouvrait le visage, élégamment vêtue d’une robe noire que l’on apercevait par l’entrebâillement d’un long cache-poussière qui l’enveloppait des pieds à la tête. L’inconnue tenait à la main d’épaisses lunettes d’automobiliste.
Lorsqu’elle eut repris son souffle, la visiteuse s’expliqua, à mots entrecoupés, rapides :
— Je vous demande pardon, mesdames, d’être ainsi venue chez vous, mais j’avais peur… j’ai frappé à la première maison. Je me rendais au Havre en automobile… Au Havre où j’allais embarquer… il faut vous dire que je suis étrangère, Américaine, je m’appelle M me… je m’appelle Maud… simplement. Ce mécanicien conduisait comme un fou… il allait beaucoup trop vite, nous devions avoir un accident… depuis vingt minutes je ne vivais plus. Tout à l’heure, au bas d’une descente, son pneumatique a éclaté… nous avons failli chavirer. J’ai eu trop peur. J’ai payé cet homme et je suis partie… Je ne veux plus entendre parler de remonter dans sa voiture…
— En effet, c’est dangereux, dit le père Yxier.
L’étrangère poursuivait :
— Mais je vous dérange sans doute, excusez-moi… voyons, n’y a-t-il pas un hôtel dans les environs où je pourrai passer la nuit ?
La mère Catherine se mit à rire :
— Un hôtel, vous n’en trouverez pas avant Bonnières…
— Bonnières, est-ce loin ?
— Une pièce de six à sept kilomètres.
— Mon Dieu, jamais je ne ferai cela à pied… pourrait-on trouver une voiture ? Une voiture avec un cheval, bien entendu…
— Il n’y a pas plus de voitures que d’hôtels par ici… peut-être le boucher de Rolleboise… mais non. son cheval doit être fatigué, rapport à ce qu’il est allé plus loin que Pacy-sur-Eure cet après-midi… non, vous ne trouverez rien avant demain matin…
— Que devenir ? mon Dieu, que devenir ?
— Restez ici, madame, restez avec nous…, dit Berthe.
Elle se tourna vers sa grand-mère :
— Je donnerai ma chambre à madame.
Les vieux parents approuvaient l’offre charitable de leur petite-fille.
Solennellement, le grand-père déclara :
— Vous êtes ici, madame, chez de braves gens. Le père et la mère Yxier. On nous connaît bien dans le pays, allez… et la jeunesse qui est là, devant vous, c’est notre petite-fille, Berthe, une Parisienne.
L’Américaine qui, certes, ne s’attendait pas à une aussi cordiale réception, s’était levée.
Avec une grâce, un charme qui révélaient la vraie grande dame, elle alla vers ses hôtes, serra la main de Berthe, de la vieille Catherine, remercia du regard le père Yxier :
— Vous êtes aimables, vous êtes excellents, déclara-t-elle, vous ne pouvez vous imaginer l’importance du service que vous me rendez… vous avez mis tant de simplicité, tant de bonne grâce à m’offrir l’hospitalité, que de mon côté je ne ferai pas de manière… je vous dis merci, simplement, mais de tout cœur…
***
Cela se passait dix jours avant la mort du fils de Nini Guinon.
Il faut croire que l’hospitalité des braves campagnards convenait à l’étrangère, puisque deux semaines après son arrivée, elle était encore chez eux. Dès l’aube elle avait manifesté le désir de partir. Elle semblait si défaite que Berthe l’avait retenue. On l’avait gardée jusqu’à l’après-midi, jusqu’au soir, jusqu’au lendemain. Depuis, elle était là.
Elle avait accompagné Berthe au village pour y faire des provisions et commandé à son compte des provisions qui facilitaient la préparation des repas à la mère Catherine.
Les deux jeunes femmes, l’étrangère et Berthe, s’étaient, dès le début, senties instinctivement attirées l’une vers l’autre.
La jeune Berthe qui, depuis son séjour à la campagne, était fort privée de distractions, aurait désormais éprouvé un réel chagrin si l’étrangère, son amie Maud, comme elle disait, était soudain partie. L’Américaine, d’autre part, ne paraissait plus songer qu’elle devait embarquer. Elle se laissait gagner par la quiétude de cette vie calme, en pleine campagne.
Elle aussi, paraissait éprouver pour Berthe une affection très sincère.
Les deux femmes cependant n’étaient ni de même origine, ni de même condition. On devinait, rien qu’à la regarder, qu’à l’entendre, la grande dame, en l’étrangère.
Elle avait une extrême distinction dans la tournure, dans les manières et la démarche.