Le pendu de Londres (Лондонская виселица) - Страница 16

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— Vous autres… avant partout ! pousse !

Les huit avirons, en cadence, se levaient et s’abaissaient, la baleinière que le Majesticdétachait vers le Victoria, coquille de noix qui semblait encore plus petite de voisiner avec les deux grands courriers, s’éloignait à force de rames…

À bord du Majestic, tous les passagers, massés, s’appuyaient aux bastingages, criant : « Bonne chance ! », poussaient des « hurrah » en l’honneur de la vieille Angleterre… À bord du Victoria, pareillement, tous les passagers sur le pont, au comble de l’émotion attendaient…

Et seul, peut-être, de tous ceux qui vivaient ces minutes, un homme demeurait calme, qui se tenait debout, au centre de la baleinière, un homme qui était sanglé dans un complet noir, très correct… le détective Shepard.

Shepard, au sortir du bouge de Old Fellowavait deviné bien des choses. Une enquête rapide lui en avait appris d’autres encore et, comme sa baleinière allait joindre l’escalier de la coupée du Victoria, un sourire flottait sur ses lèvres… Le détective pensait toucher au but…

Par une manœuvre savante, le quartier-maître avait réussi l’accostage, le sifflet aux dents, les matelots du Victoriarendaient les honneurs, des gaffes accrochaient l’embarcation, Shepard, lestement, sautait à bord du Victoria

— Le capitaine Hill vous attend dans son carré… dit l’officier.

En haut de l’escalier, Shepard, qui suivait son guide, trouva la foule des passagers accourus sur son passage, et le dévisageant curieusement :

— Dommage ! murmura le détective. Tout le monde sait évidemment qui je suis, et pourquoi je viens à bord… Ce capitaine Hill doit être un bavard…

Il allait continuer, lorsque soudain il sentit que quelqu’un lui frappait sur l’épaule. Shepard se retourna :

— Dieu divin ! fit-il, sur un ton de stupéfaction absolue, vous ? Tom Bob ?… ici ? sur le Victoria ? mais je rêve ?…

— Parbleu, déclarait-il, mais c’est bien vous, Shepard ? en vérité mon ami, je croirais que mes yeux me trompent… que diable tout cela veut-il dire ?… et pourquoi…

— Vous ne le savez pas ?

— Nullement !

— Vous n’êtes donc pas ici pour l’arrêter ?

— Arrêter qui ?

— Mais Garrick !

— Vous dites, arrêter Garrick, Shepard ?

— Je dis Garrick, Tom Bob, Garrick ? le docteur Garrick ?… voyons ?…

Devant le détective Shepard, le gentleman qui répondait au nom de Tom Bob, recula de trois pas.

— Ah ça, faisait-il d’un ton de voix qui trahissait son ahurissement absolu, vous prétendez arrêter Garrick ?… mais savez-vous qui c’est Garrick ?…

— Parfaitement, je sais que c’est un des passagers de ce steamer, et qu’il se fait appeler Normand. Il est accompagné de sa maîtresse…

Shepard allait continuer à fournir des explications, lorsque d’un mouvement imprévu, Tom Bob, lui posant les mains sur les épaules, l’entraîna rapidement loin des passagers qui ne comprenaient rien au colloque des deux hommes.

— Bonté divine, s’exclama Tom Bob… il me semble que je suis le jouet d’un cauchemar… Shepard… que se passe-t-il, pour l’amour de Dieu ?… Mais vous ne comprenez donc pas que le docteur Garrick, master Normand, c’est…

— C’est qui ? haleta Shepard.

— C’est moi !…

— Vous ?

— Mais oui, moi…

— Vous ? Tom Bob ? vous, mon cher ami ? vous le plus célèbre de tous les détectives d’Angleterre, vous mon collègue du Conseil des Cinq, vous mon chef, vous osez me dire, que vous êtes le docteur Garrick ? que vous êtes master Normand ?… Mais je sens que je deviens fou.

Prenant une décision soudaine, Tom Bob, saisit Shepard par le bras et l’entraîna rapidement :

— Ne restons pas là, disait-il, nous sommes victimes tous les deux de quelque chose d’extraordinaire et d’incompréhensible… Shepard, venez dans ma cabine, il faut que nous causions…

L’émotion du détective Shepard était compréhensible.

Il avait enquêté longuement et acquis, sinon la certitude, du moins la conviction que ce docteur Garrick avait, pour vivre tranquillement avec sa maîtresse, une certaine Françoise Lemercier, tué sa propre femme. Plus tard il avait appris que ce docteur Garrick, devenu master Normand et accompagné de sa maîtresse, Françoise Lemercier, se trouvait à bord du Victoriaà destination du Canada…

Shepard avait alors réussi, usant des précieuses ressources que mettaient à sa disposition les appareils de télégraphie sans fil, à rejoindre en pleine mer, le steamer Victoria, pour y opérer l’arrestation de ce master Normand et si besoin en était, de cette mistress Normand, qu’il inculperait vraisemblablement de complicité…

Et voilà qu’en montant à bord du Victoria, il se trouvait en face du fugitif, mais devait reconnaître en lui qui ? un homme au-dessus de tout soupçon !… un de ses propres collègues, son chef même… le détective Tom Bob, comme lui, membre du Conseil des Cinq, comme lui appartenant à la haute direction de la police anglaise, évidemment innocent…

Mais pourquoi Tom Bob était-il le docteur Garrick ?…

Pourquoi se faisait-il appeler master Normand ?

— Voyons, demanda Tom Bob, soyons de sang-froid ! Shepard ? c’est bien le docteur Garrick, « enfui » sous le nom de master Normand que vous veniez arrêter ?…

— Parfaitement, Tom Bob, et c’est bien vous qui étiez le docteur Garrick, habitant à Putney et passez ici pour master Normand ?

— Parfaitement, Shepard, c’est bien moi. Mais d’abord pourquoi voulez-vous m’arrêter ?

— Vous êtes accusé, Tom Bob, en tant que docteur Garrick, d’avoir tué M meGarrick.

— D’avoir tué ma femme ?

— Oui…

— Mais pourquoi, Seigneur ?

— Elle a disparu, Tom Bob…

— Mais cela ne prouve pas que je l’ai tuée ?…

— Non, sans doute, mon cher Tom, mais pourtant ?… voyons, pourquoi avez-vous fui ?

— Fui ? Mais je n’ai pas fui. On m’en accuse ?

Et, faisant preuve du merveilleux sang-froid qui lui avait valu tant de succès, dans son métier, le détective Tom Bob mit son collègue Shepard au fait de sa vie privée.

— Mon bon ami, lui disait-il, il faut d’abord que je vous conte, afin de débrouiller toute cette intrigue, qui je suis exactement… Vous me connaissez, Shepard, sous le nom de Tom Bob… Bon. Tom Bob, c’est mon véritable nom, mais c’est mon nom officiel, mon nom de détective, de policier, en réalité je me fais appeler, dans la vie privée, docteur Garrick, ce qui est un nom supposé… Je suis marié… j’ai une femme… M meGarrick…

— Que vous êtes réputé avoir assassinée…

— Pas si vite, Shepard… pour l’amour de Dieu écoutez-moi… Je suis donc marié à M meGarrick et j’ai une maîtresse, Françoise Lemercier, que je vais faire appeler tout à l’heure, qui m’accompagne ici et que j’aime aussi passionnément, que j’ai peu d’affection pour M meGarrick…

— Mais justement…

Tom Bob, d’un geste, interrompit son confrère :

— Non… non… écoutez-moi. Il y a quinze jours, à peu près, je vous dirai la date exacte en vérifiant mon carnet, ma propre femme, légitime, M meGarrick, a abandonné mon domicile… Dieu vivant, je vous jure qu’elle l’a abandonné de son plein gré… Aussi bien, elle était follement jalouse de ma maîtresse, Françoise Lemercier, dont elle connaissait l’existence. Où est allée ma femme ? cette femme que l’on m’accuse d’avoir tuée ?… je l’ignore. Jusqu’à présent je n’ai même pas cherché à le savoir… Je vous ai dit qu’elle m’était parfaitement indifférente. Toujours est-il, hélas ! qu’il y a quelques jours, quatre exactement après le départ de ma femme, de M meGarrick, comme j’allais chez ma maîtresse, Françoise Lemercier, je ne l’ai pas trouvée chez elle… j’ai appris son départ… Mais elle m’avait adressé une lettre, une lettre dans laquelle elle m’avertissait du plus terrible malheur. Shepard, mon bon Shepard, Françoise Lemercier, ma maîtresse, est une femme mariée… elle s’est séparée, depuis longtemps déjà de son mari… qui vit au Canada… Or, mon ami, écoutez et jugez de son affolement : de cet homme, Françoise avait eu un fils, le petit Daniel, le plus joli bébé de la terre, le petit Daniel que j’aimais, et que Françoise adorait… Eh bien, Shepard, cet enfant venait de lui être volé, volé par son mari…

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