Le pendu de Londres (Лондонская виселица) - Страница 15
— En effet, reconnut Hill, j’ai remarqué, Mr. Higgins que lady Puffy et vous, vous étiez de véritables loups… de mer, insensibles au mal de mer.
Mrs. Puffy, une petite femme boulotte, d’un blond décoloré, dont les dents perçaient les gencives, et qui riait toujours, quand elle ne mangeait point – car elle passait son temps à se sustenter – protesta :
— En vérité, capitaine Hill, voilà maintenant que vous nous reprochez de résister au galop que nous fait danser depuis ce matin le Victoria ?
— Depuis ce matin, lady Puffy ?… Oui, avoua le capitaine Hill, vous avez raison, nous dansons beaucoup depuis ce matin !… Mais encore une fois, croyez-le bien, il n’y a pas là de ma faute… Une aile de ce poulet, mistress Puffy ?…
— Volontiers, capitaine Hill… Et si ce n’est pas de votre faute, c’est de la faute de qui ? car je ne me suis pas aperçue que le temps soit devenu plus mauvais, la mer plus houleuse ?…
— Je ne dis pas cela non plus, mistress Puffy, mais cela ne signifie pas davantage que Mr. Higgins ait raison… si nous sautons plus, c’est que nous allons moins vite. Depuis notre départ de Liverpool, nous marchons à allure forcée, alors qu’en ce moment les machines du Victoriabattent tout juste à moitié de leur vitesse…
Pour le coup, Higgins reposa la fourchette :
— Le Victoriaralentit, fit-il… Hello ! capitaine Hill, auriez-vous l’intention de flâner en route ?… D’où vient cette diminution de la vitesse ?
Le capitaine Hill eut d’abord un geste vague, et, versant à sa voisine une large rasade d’un Mercurey que n’eût pas désavoué le plus fin connaisseur :
— Je ne puis vous le dire, déclara-t-il, c’est un secret…
— Un secret ? fit Mr. Higgins, quel gros mot. Mais il n’y a pas de secret, capitaine Hill, avec des gens qui ne peuvent vous trahir, et comme nous sommes entourés d’eau, vous êtes, j’imagine, parfaitement assuré de notre discrétion. Ne pouvons-nous donc savoir véritablement la cause qui vous a fait ralentir la marche du Victoria ? Ce n’est pas une avarie aux machines, je suppose ?
— C’est plus grave, Mr. Higgins…
— Serions-nous dans un passage dangereux, interrogea lady Puffy ?
— C’est plus terrible…
— Plus terrible ? auriez-vous peur d’un corsaire, ou tout prosaïquement, vous seriez-vous aperçu que le charbon manquait dans vos soutes ?
Le capitaine Hill secoua la tête :
— Il se passe une chose terrible à bord, dit-il lentement.
Et comme son voisin et sa voisine, soudain, s’arrêtaient stupéfaits, l’excellent commandant posa le doigt sur les lèvres.
— Chut ! fit-il, c’est une chose que je ne puis vous confier, car nul ne doit s’en douter à bord…
Mais, Mr. Higgins, de même que lady Puffy, demeurant toujours sans manger, l’air profondément ahuri, intrigué, le capitaine Hill reprit :
— Je vous conterai l’histoire, cependant, parce que je sais que vous ne la direz vous-mêmes à personne d’autre, mais…
Le capitaine Hill jeta autour de lui un regard circonspect.
La grande table à roulis sur laquelle l’on servait à ce moment le déjeuner présentait la plus vive animation. Après un certain moment de froideur qui avait porté chacun des passagers du Victoriaà feindre, lors du départ de Liverpool, de ne vouloir lier connaissance avec personne, des amitiés s’étaient nouées, et l’on causait avec animation.
Seul le capitaine Hill, placé à l’un des hauts bouts de la table, ayant à sa droite Mrs Puffy, à sa gauche Mr. Higgins, gardait un air sérieux.
— On pourrait nous entendre… je ne vous dirai donc rien en ce moment, mais tout à l’heure, sur la passerelle, je vous raconterai ça…
Mais comme le second service faisait son apparition, que la conversation devenait bruyante, le capitaine Hill, convaincu que nul ne pouvait entendre ses paroles, décida de ne pas se taire plus longtemps :
— Lady Puffy, avez-vous remarqué la vergue blanche qui part du mât de misaine ?
— Vous voulez dire, l’antenne des appareils de télégraphie sans fil ?
— Justement… eh bien, cette histoire abominable c’est par cette antenne que je l’ai apprise ce matin…
— Quoi ? fit-il, vous avez donc reçu des dépêches de télégraphie sans fil ?
— Oui, Mr. Higgins…
— Envoyées par qui ?
— Envoyées par Scotland Yard…
— Et que vous câblait-on ?
— Qu’à notre bord, oui, parfaitement, à bord du Victoriase trouvaient un assassin et sa complice…
« Voici exactement comment les choses se sont passées, reprit le capitaine Hill, ce matin j’ai reçu un télégramme me demandant si je n’avais pas, à mon bord, un Monsieur et une Madame Normand. »
— Ce serait donc eux ?… ce grand monsieur et cette jolie jeune femme ?…
— Oui, lady… ce sont eux… on m’a câblé qu’ils étaient d’horribles criminels, et qu’il fallait à toute force les arrêter…
— Mais ils sont encore libres, pourquoi ?
— Parce que, lady Puffy, Scotland Yard m’a enjoint de garder le plus grand secret sur la chose… Mr. Higgins, c’est bien simple, le directeur des poursuites m’a câblé des instructions très précises : je devais réduire de moitié la vitesse et attendre l’arrivée des détectives…
— Capitaine Hill, Capitaine Hill, je ne comprends rien du tout à ce que vous nous dites ! Nous sommes en pleine mer, comment un détective pourrait-il nous rejoindre ?… demanda lady Puffy.
— De la façon la plus simple, lady Puffy. Il y a trois jours que nous sommes partis de Liverpool, or hier matin, de Southampton, un grand liner, le Majesticde la Cunard, est également parti. Le Victoriamarche à moitié de vitesse, il attend le Majesticqui va le rattraper, le Majesticsur lequel se trouve le détective, qui, dans quelques heures, demain soir, sans doute, montera à notre bord, pour arrêter les passagers criminels qui, certes, ne se doutent de rien. Mais vous ne mangez plus lady Puffy…
— Capitaine Hill, je n’ai plus faim…
— Désolé…
***
Le déjeuner s’achevait.
Entraînant Mr. Higgins et lady Puffy sur la passerelle de commandement, le capitaine Hill lançait vers le ciel bleu les savoureuses bouffées d’un superbe havane, et désignait du doigt à ses passagers un couple qui, accoudé au bastingage causait amoureusement, les yeux perdus à l’infini de l’horizon :
— Les voilà, vous voyez qu’ils ne se doutent de rien…
Dès le soir même – le troisième jour de la traversée du steamer – le Majesticétait entré en communication avec le Victoria.
Et c’étaient d’incessants crépitements sur les antennes…
Le capitaine Hill câblait :
« Je marche à vitesse réduite, forcer vos feux pour nous rejoindre au plus vite. Tout va bien à mon bord. Les Normand ne se doutent de rien… »
Et le Majestic, d’heure en heure, répondait :
« Nous filons à pleine allure, mer calme, vent arrière. Vous rejoindrons demain à midi. Attention à éviter que les deux individus suspects ne se tuent de désespoir. »
Quelle allait être l’issue de l’extraordinaire poursuite que le policier de Scotland Yard avait engagée à travers l’Océan, et qui devait se terminer, suivant toute espérance, en plein Océan ?…
***
— Armez la baleinière… bien, envoyez les filins… hep, de l’ensemble, garçons… un quart tribord, l’homme de barre… en panne, les machines. Hop ! hisse garçons… ça va, laissez filer… c’est bien… quittez… allez… tout ! bon !
Au flanc du superbe steamer Majestic, immobilisé à quelques encablures du Victoriaqui, lui-même, avait mis en panne, en plein Atlantique, sans que rien ne vînt rompre l’harmonie de la ligne d’horizon, une baleinière descendait des porte-manteaux…
Le quartier-maître qui en avait le commandement complétait la manœuvre ; d’un coup de sifflet, il avertissait les hommes demeurés à bord du steamer :
— Attention ! larguez !
Puis, se tournant vers ses matelots :