Le pendu de Londres (Лондонская виселица) - Страница 1
PIERRE SOUVESTRE
ET MARCEL ALLAIN
LE PENDU
DE LONDRES
7
Arthème Fayard
1911
Cercle du Bibliophile
1970-1972
1 – JACK EST-IL MORT ?
Dans sa petite chambre de l’hôtel meublé de Londres, Jérôme Fandor trépignait de joie devant le texte mystérieux qu’il venait de déchiffrer au moyen d’une grille.
Ce texte, c’était un télégramme : « Hourrah Fandor, j’ai retrouvé lady Beltham, Fantômas ne doit pas être loin. »
Et c’était signé Juve.
— Fantômas ne doit pas être loin, avait répété Fandor, qui sentant renaître son entrain à l’idée de poursuivre l’insaisissable bandit, prit la plume, mit sur un feuillet blanc l’adresse de Juve :
— Mon vieux Fandor, s’exclama-t-il, Juve t’a bien épaté tout à l’heure, toi, tu vas peut-être l’épater encore plus en lui télégraphiant…
Mais Fandor reposait sa plume :
— Non, fit-il, c’est trop important ce que j’ai à lui dire. Avant d’envoyer ma dépêche, assurons-nous que mes pressentiments peuvent être considérés comme des certitudes.
Enfermant soigneusement dans son portefeuille la traduction qu’il venait de faire de la dépêche chiffrée de Juve, Fandor prit son chapeau, sa canne et sortit.
On était au mois d’avril, la journée s’annonçait radieuse…
***
— Encore une cigarette ?
— Ma foi, je ne dis pas non !
— Et naturellement aussi, encore une larme de whisky ?…
— Ça n’est pas de refus.
Vers cinq heures de l’après-midi, ce même jour deux hommes confortablement installés dans un luxueux salon causaient agréablement.
Ce salon, au premier étage d’un somptueux hôtel particulier de Hyde Park, avait une vue magnifique sur la célèbre promenade.
L’un des deux hommes était lord Duncan, propriétaire de l’hôtel où se trouvait ce salon. L’autre, visage basané, l’air fin, quadragénaire qui vit au grand air.
Le plus âgé des deux hommes, au moment où il portait le verre de whisky à ses lèvres, arrêta brusquement son geste :
— Avant toute chose, mon cher Duncan, permettez que je vous félicite de votre nomination…
— C’est vrai que me voici Bonbonnier de la Reine…
— Bonbonnier de la Reine, reprit son ami, cela vous a une allure tout à fait vieillotte, moyenâgeuse presque. Le poste a été créé, je crois, sous le règne de la reine Anne…, cette excellente souveraine était si gourmande qu’il avait fallu lui attacher un personnel spécial de jeunes seigneurs pour lui procurer sans cesse les meilleurs bonbons fabriqués dans le Royaume… Désormais ce n’est plus qu’un titre…
— Titre très honorifique, mon cher lord, d’ailleurs, depuis quelque temps, les distinctions les plus hautes, les plus flatteuses vous sont prodiguées à la Cour…
Lord Duncan, du geste, interrompit son ami :
— Hélas, fit-il, c’est uniquement, j’en suis sûr, en souvenir de mon pauvre père, en mémoire également de celui qui devait reprendre son titre et son nom… mon infortuné frère aîné. Moi je n’étais que le cadet, je m’appelais modestement Ascott tout court. Je suis devenu, par suite des malheurs que vous savez, lord Duncan…, mais je vous assure que je ne le souhaitais guère…
— Bah ! c’est la fatalité. Vous n’y pouvez rien, mon cher. Absolument rien.
— Jamais, dit lord Duncan, on ne m’ôtera de l’idée que cet accident d’automobile n’était pas un hasard. Je suis sûr que mon pauvre père et mon pauvre frère ont été victimes d’un assassinat, et que les affreuses fréquentations de mon abominable femme y sont bien pour quelque chose.
— Allons, allons, lord Duncan… Vous savez bien que, sur votre demande, j’ai procédé à l’enquête la plus minutieuse… Je n’ai rien trouvé d’anormal, absolument rien. Au contraire… Votre père, votre frère, morts d’un accident, rien qu’un accident, foi de Tom Bob !
Lord Duncan poussa un soupir de soulagement, puis, le sourire aux lèvres, déclara d’un trait :
— J’aime à vous l’entendre dire. Lorsque Tom Bob, le Roi des détectives a parlé, il n’y a plus de discussion possible.
— Ce n’est pas l’avis de tout le monde, dit Tom Bob… (On se rappelle que Tom Bob, que le policier Juve avait accusé de n’être pas Tom Bob du reste, avait quitté Paris pour venir à Londres. Grâce à la protection de son ami Ascott, devenu soudain lord Duncan, il était entré dans la police anglaise où son avancement avait été foudroyant.)
Tom Bob s’était arrêté court.
Le regard de lord Duncan s’attardait sur la pendule :
— Vous attendez quelqu’un ? demanda Tom Bob.
— On ne peut rien vous cacher, Tom Bob, j’attends ma femme, Nini Guinon…
— Votre femme, elle se permet…
— Je lui ai dit de venir… de venir me montrer notre petit Jack… Je l’ai vu deux fois… si je n’étais pas le père de cet enfant…
Mais le jeune lord s’interrompit.
On venait de frapper. La tête du vieux domestique, John, apparut :
— Que votre Grâce m’excuse, murmura le serviteur… elle est là…
Le détective, par discrétion, se levait :
— Ne partez pas, dit le lord, j’aimerais que vous assistiez à notre conversation…
— C’est impossible dit Tom Bob, qui ajouta aussitôt :
— Soit, j’y assisterai… mais sans qu’elle s’en doute…
***
Quelques instants plus tard, une femme entrait dans le salon de lord Duncan, une femme jeune, presque une enfant, vêtue sans élégance, cheveux noirs ébouriffés, immense chapeau aux allures tapageuses, ni voilette ni gants… Vulgaire, mais jolie : yeux noirs, grands, expression hardie, narquoise même, lèvres rouges, dents éclatantes, de la vie ! rien de compassé, une Française sûrement et même, une Parisienne.
Lord Duncan avait tressailli :
— Vous êtes venue, seule ?
— Seule, dit la jeune femme sans baisser les yeux, méprisante, arrogante.
— Nini, qu’est-ce que cela signifie ?… Vous devez avoir un motif grave ?
— Un motif grave… oui… Car il faut en effet un motif grave pour que moi je me permette de venir seule chez celui qui m’a donné le droit de vivre à ses côtés…
— Ne ravivez pas, madame, ces odieux souvenirs…
— Oui, je sais, je sais que vous voulez oublier qu’il y a deux ans, le jeune Anglais Ascott… plus tard devenu lord Duncan… m’épousait… moi, Nini Guinon ! la fille du peuple, la petite ouvrière, après l’avoir débauchée un soir d’orgie, il l’épousait par crainte des représailles, par peur de la police… Eh bien, soit ! oubliez-le. Mais oubliez aussi votre enfant !…
Nini Guinon marcha droit sur son mari, et hurla :
— Vous avez voulu me voler Jack… N’essayez pas de nier… N’essayez pas, je le sais… parbleu, vous êtes forts, vous autres, les gens arrivés… Parce que vous êtes riches et puissants, vous vous croyez tout permis… Je ne sais pas comment cela se passe dans votre pays, mais je sais bien qu’en France, on n’arrache pas un enfant à sa mère sans que celle-ci fasse du tapage… Et je vous jure, Ascott de mon cœur, que j’en ferai de la musique si jamais…
— Assez, dit lord Duncan, qui, maîtrisant sa colère se contenta de prendre les mains de Nini et de les serrer pour immobiliser la jeune femme :
« Assez de comédie, Nini, poursuivit-il, je ne suis pas dupe. Vous n’êtes pas une mère, vous êtes une fille, perdue de débauche et c’est un devoir de vous arracher votre enfant…
— Lord Duncan !
— Taisez-vous !
Il poursuivit, d’une voix plus douce :
— Hélas ! le remords de ma vie, ce sera le jour où je vous ai connue, Nini, où j’ai cru qu’en régularisant une situation fâcheuse, j’allais pouvoir donner au petit être que vous portiez dans vos flancs, une existence honorable… Alors, Nini, je n’étais qu’un cadet…, mon père, mon frère aîné vivaient. Depuis, j’ai dissimulé que vous étiez ma femme, lady Duncan… vous avouerez, madame, que j’ai acheté largement votre silence… Je me sentais tout disposé à ne pas oublier qu’en dépit de tout, j’étais l’époux de la mère de mon enfant ; celle-ci en échange me devait d’avoir une attitude honnête et réservée. Le contraire s’est produit. Vous vous êtes livrée à mon égard, depuis que je suis lord et membre du Parlement, à de perpétuels et odieux chantages. En outre, votre conduite est infamante… Vous vous plaignez que j’ai voulu reprendre mon enfant, n’en veuillez qu’à vous-même si je continue à m’efforcer de l’arracher à votre mauvais exemple. C’est parce que vous le méritez…