Le mariage de Fantomas (Свадьба Фантомаса) - Страница 73
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Le Sud-Express avait du retard et ce fut seulement quarante minutes après l’heure régulière que la grosse machine remorquant le convoi entra dans la gare, silencieuse, comme figée dans une respectueuse immobilité.
D’un premier wagon-lit, le roi d’Espagne sautait lestement à terre et, de son air perpétuellement aimable, saluait d’un geste large la foule qui s’écartait sur son passage.
Le jeune souverain était élégamment vêtu d’un pardessus mastic, il était coiffé d’un chapeau mou noir et à la boutonnière de son vêtement, il portait, par déférence pour le pays dont il était l’hôte, une large rosette de la Légion d’honneur.
Quelques jeunes hommes, fort élégants eux aussi, aux yeux noirs, aux visages bruns, sautaient du wagon sur le quai, suivaient le souverain.
Et Juve, dissimulé dans la foule, avait un tressaillement de satisfaction en apercevant don Eugenio au nombre de ces derniers.
Cependant, le policier fouillait de son œil perspicace la foule des voyageurs qui descendaient des autres wagons. Il attendit quelques instants que le train se fût vidé, puis son front se plissa.
— C’est extraordinaire, se disait Juve, Fandor n’est pas là. Qu’a-t-il pu devenir ? Il est impossible qu’il ait manqué ce train et cependant…
Mais Juve ne perdait pas de temps à réfléchir. Les hauts fonctionnaires de la Compagnie conduisaient le souverain et sa suite à leurs automobiles respectives, et Juve, pour ne pas perdre leur filature, ne s’attardait pas sur le quai.
Au surplus, on était fort en retard et comme le roi d’Espagne, qui se rendait en Angleterre, n’avait pas de train spécial, mais simplement un wagon retenu dans l’express de Calais, il lui restait à peine vingt minutes pour gagner à la gare du Nord le train qui certainement ne l’attendrait pas.
Les deux somptueuses automobiles démarraient, celle du roi en tête, puis l’autre. Quant à Juve, il sautait dans la troisième voiture, élégante aussi, bien que plus modeste, puis il recommandait à son mécanicien :
— Courons derrière, quoi qu’il arrive !
Les deux premières automobiles marchaient à vive allure et, suivant les quais, gagnaient la place du Châtelet. Puis elles s’engageaient dans le boulevard Sébastopol, et dès lors, force était pour elles de ralentir, vu l’encombrement.
Juve, penché par la portière, suivait avec une certaine anxiété les évolutions de la limousine verte emmenant le roi d’Espagne et plus particulièrement surtout celle de la limousine bleue dans laquelle se trouvait don Eugenio.
À un moment donné, alors que l’on approchait du carrefour de la rue Turbigo, la limousine bleue obliqua brusquement sur la gauche et vint donner avec violence dans un camion qui stationnait le long du trottoir.
En l’espace d’une seconde, une foule énorme s’attroupait autour du véhicule.
— Encore un accident ! criait-on.
Le mécanicien, qui n’était autre que Michel, semblait fort ennuyé de ce qui venait de lui arriver. Il était descendu de son siège et se couchait à moitié sous sa voiture, puis réapparaissait, saturé d’huile et de graisse :
— Je n’y comprends rien, grommelait-il, c’est la direction qui m’a lâché, j’ai fait une embardée bien malgré moi. Ah sapristi que c’est ennuyeux !
Les sergents de ville s’étaient approchés, ils tiraient leurs calepins pour constater les dégâts, prendre note du nom des propriétaires. À l’intérieur de la limousine, cependant, les voyageurs étaient fort perplexes. Il y avait là don Eugenio qu’accompagnait un secrétaire du roi.
L’infant d’Espagne avait eu très peur au moment où s’était produit l’accident. Une des glaces de la voiture s’était brisée, il avait failli être atteint par un éclat de verre.
Mais ce qui le préoccupait surtout, c’était le retard que cet incident occasionnait. L’heure du départ du train était proche.
— Nous allons manquer la correspondance, déclara-t-il, l’air inquiet.
Et don Eugenio, tout en interrogeant le mécanicien pour obtenir de lui quelques renseignements sur la gravité de la panne, jetait des yeux autour de lui, cherchant à apercevoir un taxi, une voiture quelconque qu’il pourrait prendre afin de gagner la gare du Nord.
Or, au moment où il se penchait à la portière, un homme s’en approchait : il faisait nuit. L’infant d’Espagne ne pouvait le distinguer, d’autant que cet homme évitait de se montrer de face à don Eugenio. Il s’inclina toutefois respectueusement devant lui et proféra à voix basse :
— Monsieur, j’appartiens au service de la Préfecture, j’ai une voiture à votre disposition. Voulez-vous quitter celle-ci et monter dans la mienne ?
— Ah monsieur, répliqua l’infant d’Espagne, j’accepte volontiers, vous me rendez grand service !
Cet homme n’était autre que Juve.
Quelques instants plus tard, le policier s’installait sur le siège de sa voiture, laissant l’intérieur de la limousine à la libre disposition de l’infant et du secrétaire du roi, puis, sur l’ordre de Juve, la voiture démarrait.
— Attention, maintenant, recommanda le policier au chauffeur, tâche de multiplier les incidents pour que nous perdions encore dix minutes.
La voiture avait à peine parcouru quelques mètres qu’une détonation éclatait. Le mécanicien serra ses freins, sauta à bas du véhicule :
— Un pneu, déclara-t-il.
L’infant d’Espagne se penchait à la portière.
— Roulez tout de même, mon ami, je vous en prie, roulez à plat, cela n’a pas d’importance, il faut que nous arrivions.
Le mécanicien obtempéra, remit son moteur en route, mais ou bout de deux cents mètres le moteur calait. Cela d’ailleurs était compréhensible, le pilote avait tout simplement coupé l’allumage.
Mais l’infant d’Espagne était à cent lieues de se douter que ces divers incidents étaient volontairement déterminés et le malheureux don Eugenio tenant perpétuellement sa montre à la main, voyait les minutes passer avec une foudroyante rapidité ; il se lamentait de plus en plus :
— Nous n’arriverons pas !
Le moteur repartit cependant, la voiture marcha normalement pendant quelques centaines de mètres, puis, ce furent encore de longs instants perdus dans un encombrement, au milieu duquel le mécanicien faisait preuve d’une hésitation et d’une maladresse insignes.
Juve, toujours impassible sur son siège, murmurait des paroles d’encouragement au chauffeur :
— Très bien, très bien, parfait, déclarait-il.
Lorsqu’on arriva enfin au boulevard Denain, la façade de la gare du Nord surgit soudain devant eux, Juve ricana d’un air de triomphe :
Il venait d’apercevoir la pendule :
— Neuf heures trois, cria-t-il. Ça y est, le train est manqué !
La voiture n’était pas encore arrêtée dans la cour de la gare que l’infant d’Espagne se précipitait, et ce mouvement avait été fait si vite que Juve eut une émotion :
— Hé là ! pensa-t-il, il ne faut pas encore qu’il se dépêche tant, nous n’avons en somme que deux minutes de retard, si par hasard le train était encore là ?
L’infant d’Espagne gagnait le quai par les voies les plus directes. Juve courut derrière lui.
— Monseigneur, fit-il, venez pas ici ! Coupons au plus court.
Un peu ahuri, don Eugenio, reconnut en cet interpellateur l’agent de la Sûreté qui venait de lui prêter sa voiture.
Et, machinalement, convaincu que ce complaisant personnage allait lui faire gagner du temps, il rebroussa chemin et suivit Juve qui désormais l’entraînait par des lieux compliqués, difficiles à suivre, au milieu de salles de bagages.
Les deux hommes arrivèrent à une porte vitrée. Elle était fermée à clé.
— Ah, sapristi ! cria Juve, en feignant un désespoir qu’il était loin d’éprouver, c’est une malchance extraordinaire !
Les deux hommes rebroussèrent chemin, perdirent encore quelques minutes, lorsque enfin, ils parvinrent sur le quai de départ, la voie sur laquelle avait stationné le rapide de Calais était vide. L’infant d’Espagne avait manqué son train.