Le mariage de Fantomas (Свадьба Фантомаса) - Страница 70
La Recuerda était si surprise, si étonnée, qu’elle ne savait que répondre. Certes, elle s’était sincèrement éprise de cet homme à la fois si tragique et si séduisant et son cœur ardent d’Espagnole éprouvait pour le bandit une attirance irrésistible.
Et la Recuerda se demandait quel pouvait bien être Fantômas ? Doucement, d’une voix presque imperceptible, elle murmura :
— Fantômas, qui est Fantômas ?
Le bandit, énigmatique plus encore qu’à son ordinaire, répliqua sur un ton solennel :
— Fantômas, c’est Fantômas, et cela suffit. Sachez cependant que Fantômas est le maître et qu’il fait toujours ce qu’il veut. Il n’est point d’obstacle qu’il n’écarte, de barrière qu’il ne franchisse. Lorsqu’il se produit quelque chose d’impossible, d’inexplicable, on est obligé de conclure que l’auteur de cette chose irréalisable n’est autre que Fantômas.
Le bandit, superbe dans sa déclaration, se rapprocha de l’Espagnole toute frémissante, il la serra sur sa large poitrine, et cependant que la Recuerda, émue au plus haut point, s’abandonnait à cette étreinte passionnée, Fantômas, déclarait très doucement :
— Vous serez ma femme, ma chérie. Lorsque nous serons unis légalement, nous atteindrons, grâce à l’Amour, la Fortune et la Richesse, au suprême Bonheur. Acceptez, la Recuerda ! Déclarez-moi franchement, les yeux dans les yeux et la main dans la main, que désormais nulle puissance humaine ne pourra vous faire rompre l’engagement que vous prenez vis-à-vis de moi ; de mon côté, je vous jure que votre existence sera la mienne, que nous serons désormais indissolublement liés.
Mais Fantômas s’interrompait. L’Espagnole, amoureusement, lui scellait les lèvres d’un long baiser d’amour.
29 – DEUX AMOUREUX
— Ce serait évidemment une excellente occasion pour passer en contrebande quelques paquets de cigarettes espagnoles, si, de l’avis unanime, les cigarettes espagnoles ne valaient pas, à beaucoup près, les cigarettes françaises. Dans ces conditions, le mieux est encore de ne pas faire tort à l’État d’un centime et de m’abstenir d’une opération qui ne me laisserait que des regrets. Où il n’y a pas de profit, il n’y a pas de plaisir.
Jérôme Fandor, gai, comme à son ordinaire, toujours plaisantant, se trouvait à la douane frontière d’Irun, dans la petite gare espagnole où s’arrête le Sud-Express, avant d’entrer en France et de filer à toute allure vers la capitale.
Pourquoi Jérôme Fandor s’était-il rendu à Irun ? Pourquoi lui, qui avait tant de raisons de garder un mauvais souvenir de l’Espagne, avait-il commis la redoutable imprudence de passer la frontière française et de gagner ainsi le territoire étranger ?
Il y avait beaucoup de raisons à cela, dont la principale était que Fandor, avec son insouciance habituelle, éprouvait un certain plaisir à narguer les gendarmes et la police et à se promener le plus ostensiblement dans un pays, où, pourtant, il possédait la redoutable qualité de condamné à mort.
— On verra bien s’ils me pincent, avait pensé Fandor en descendant du train qui l’avait amené de la capitale et puis ma foi, zut pour eux ! En ce moment Juve est libre, et j’imagine bien que si l’on me mettait la main au collet, mon respectable ami serait un peu là pour protester et me faire remettre en liberté dans les quarante-huit heures.
Ce n’était pas cependant le vain désir de narguer la police étrangère qui avait amené Jérôme Fandor au poste frontière.
— Mon petit, lui avait brusquement déclaré Juve, la veille même, faisant allusion aux terribles affaires dont ils poursuivaient tous deux l’éclaircissement depuis de longs jours, mon petit, il y a un fait de certain, c’est qu’en ce moment l’enquête patauge, s’éternise, n’aboutit à rien. Nous avons débrouillé quelques fils de l’écheveau que Fantômas a si bien emmêlé, mais nous ne tenons pas encore l’explication définitive. Tu es bien de cet avis, Fandor ?
— Tout à fait, avait répondu le journaliste.
— En ce cas, reprenait Juve, tu vas immédiatement te rendre à la gare et filer à la frontière espagnole. Je viens d’apprendre que l’infant don Eugenio doit accompagner le roi d’Espagne en Angleterre. Par conséquent, avec son souverain, don Eugenio traversera la France pour se rendre à Londres. J’imagine, Fandor, que tu devines comment nous allons tirer parti de cet événement. S’il y a quelqu’un au monde qui peut nous aider à deviner le rôle de Fantômas dans les aventures au milieu desquelles nous nous débattons en ce moment, c’est assurément don Eugenio. Malheureusement don Eugenio n’a point l’air décidé à nous faire des confidences. N’importe, il faut que toi ou moi nous l’abordions, que nous le fassions parler et par conséquent…
— Et par conséquent, vous m’expédiez dans le Midi pour aller tirer les vers du nez à ce respectable Espagnol qui est peut-être, après tout, la dernière des crapules. Bon, très bien, d’accord.
Là-dessus, après avoir encore quelque temps conféré avec Juve, Jérôme Fandor s’était rendu à la gare du quai d’Orsay, avait pris place dans le premier train en partance et s’était tranquillement rendu à Irun.
— Avec ça, monologuait Fandor, se promenant de long en large sur le quai de la gare frontière, avec ça que ça va être commode de rejoindre Eugenio !
Jérôme Fandor, toutefois, ne s’inquiétait pas outre mesure de la difficulté de la mission qui lui était confiée.
— En somme, se disait-il, avec une souriante philosophie, je sais que tout à l’heure, dans cette gare où je me trouve, un train de luxe va passer à bord duquel sera un personnage qu’il faut que j’interviewe. Pour réussir, il convient tout d’abord que je prenne place dans ce train. Quand le convoi filera, je me débrouillerai pour arriver jusqu’à don Eugenio.
Dans cet état d’esprit, Jérôme Fandor continuait à arpenter le quai de la gare d’Irun, furieux d’être arrivé en avance et d’avoir près de soixante minutes à faire comme il le disait pittoresquement « figure de parfait poireau ».
Or, il y avait au moins un quart d’heure que le journaliste s’ennuyait ainsi dans la petite gare, lorsqu’il se retourna en tressaillant :
— Tiens, une femme !
Quelques instants plus tard, il ajoutait :
— Oh, oh, et une jolie femme même !
Sur le quai désert, en effet, une gracieuse apparition venait de se montrer à quelque distance de Jérôme Fandor, une jeune femme vêtue de noir, habillée avec une sobre élégance qui n’excluait pas une certaine recherche, coiffée d’un chapeau dont les bords étaient recouverts par une épaisse voilette, allait et venait, ayant l’air, elle aussi, d’attendre le train spécial.
Jérôme Fandor, dans son ennui et baillant à toutes les minutes, contempla cette jeune femme distraitement, devinant qu’elle attendait elle aussi le convoi royal. Il pensa :
— Cette jeune femme est en avance comme moi.
Mais Jérôme Fandor éprouva comme un douloureux choc au cœur :
— Mon Dieu ! murmura-t-il.
Il était devenu blême, il tremblait de tous ses membres.
— Allons, je suis fou, se disait le journaliste, qu’est-ce que je vais imaginer ?
Pourtant, il avançait de quelques pas et au bruit qu’il faisait ainsi l’inconnue se retourna.
Une seconde peut-être Fandor pouvait alors apercevoir le visage de la jeune femme qui attendait le train où devaient se trouver Alphonse XIII et sa suite. Le regard de la jeune femme et celui de Fandor se croisèrent, et en cette minute, Jérôme Fandor croyait vivre mille vies. De son côté, la jeune femme semblait éperdue de surprise, elle avait porté, avec une hâte fébrile, ses deux mains à la poitrine comme pour comprimer les battements affolés de son cœur.
Fandor, comme un furieux, s’élança en avant vers la jeune femme. Elle demeura figée sur place.
Et, dans le silence de la petite gare, deux cris retentirent, deux cris d’amour :
— Hélène ! Fandor !
— Fandor !
— Hélène !