Le mariage de Fantomas (Свадьба Фантомаса) - Страница 65
Œil-de-Bœuf était attendrissant. Deux grosses larmes coulaient sur son visage, il parlait en faisant de grands gestes, il avait grand besoin de suivre les murs de tout près pour y trouver un appui lorsqu’il tendait à perdre son équilibre.
Et sans répondre à Œil-de-Bœuf, John guidait les copains :
— Droit devant vous, marchez toujours, allez, allez, je paierai une bonne tournée quand tout sera fini.
Chose curieuse, d’ailleurs, ceux qui tiraient la charrette à bras semblaient à la fois obéir à John et avoir des velléités de lui résister. Savaient-ils exactement que John était Fantômas ? L’ignoraient-ils ? Mort-Subite et Bec-de-Gaz avaient sans doute des soupçons relativement à la personnalité du bandit, à maintes reprises, certes, ils s’étaient demandé quel était ce John équivoque ? Mais ils n’avaient aucune certitude et cela faisait que, par moments, songeant que John était le patron, ils s’inclinaient docilement, alors que, au contraire, quelquefois, ils étaient tentés de mal recevoir ce camarade qui se permettait de leur donner des ordres.
La charrette à bras longtemps, longtemps, avança dans Paris. Après avoir traversé la Seine, au pont Alexandre, elle avait franchi les Champs-Élysées, rejoint la gare Saint-Lazare et maintenant grimpait la rue de Clichy.
— Ah çà, finit par demander Mort-Subite, cependant que pour la dixième fois, on sortait de chez un mastroquet où l’on avait pris de copieuses libations, ah çà, John, où c’est donc que tu t’en vas loger maintenant ? Vas-tu encore nous faire trimballer tes puces sur des kilomètres ?
John eut un sourire froid :
— Encore un quart d’heure de courage, dit-il, et nous serons rendus.
— Où, bon Dieu ? répéta Mort-Subite.
— Au cimetière, riposta le palefrenier dans un éclat de rire.
C’est, en effet, le long du mur du cimetière Montmartre que la charrette de déménagement s’immobilisait quelques instants plus tard. Œil-de-Bœuf, depuis longtemps avait été perdu par la bande, il était resté étalé de tout son long dans un ruisseau, aux environs de la gare Saint-Lazare ; il n’y avait plus que Mort-Subite, Bec-de-Gaz et John autour du petit équipage, quand il s’immobilisa :
— Silence, commanda John.
Il s’approcha du mur d’enceinte du champ de repos, John appela doucement :
— Barnabé, père Teulard.
Deux voix répondirent :
— Présent.
— Vous allez faire bien attention, dit John, d’abord, vous allez passer la grande horloge en bois par-dessus le mur. Ensuite, vous pousserez la charrette à cent mètres d’ici, n’importe où, et vous l’abandonnerez. Enfin, vous revenez ici et vous faites le guet. Si quelqu’un se présente, trois coups de sifflet. Compris ?
Mais ni Œil-de-Bœuf, ni Bec-de-Gaz ne répliquaient tout d’abord. Ils continuaient à se jeter des coups d’yeux inquiets, ils paraissaient hésiter à agir.
— Eh bien, c’est plutôt rigolo, commença de sa voix traînante Bec-de-Gaz, on s’imagine qu’on va aider un copain à déménager et ça finit par la balade d’une horloge dans un cimetière, l’abandon de frusques au hasard, sur la voie publique et le guet dans la rue. Moi, je demande à comprendre. John, qui qu’t’es ?
Bec-de-Gaz n’avait pas le temps de répliquer. Il allait encore discourir lorsque le cocher le fit taire :
— Assez, ordonna le soi-disant copain, je n’ai pas d’explications à fournir, si vous n’êtes pas des imbéciles, vous devez comprendre. Et si vous êtes des imbéciles tant pis pour vous. Passez l’horloge par-dessus le mur.
Mort-Subite et Bec-de-Gaz s’exécutèrent. Aidés de celui qu’ils continuaient à appeler John, mais dont ils devinaient la véritable identité, ils tirèrent de la charrette le pesant coffre de bois, le hissèrent sur le mur. John à cheval sur la crête, surveillait l’opération.
— Cela va bien, allons, poussez encore un petit peu et laissez basculer. Barnabé, Teulard, vous êtes prêts ?
— On est prêt.
— Alors, laisse aller Bec-de-Gaz.
Cette fois, l’horloge bascula, glissa par-dessus le mur, abandonnée par Bec-de-Gaz et Mort-Subite, saisie par les deux fossoyeurs.
— La tombe est prête, hein ? interrogea John qui venait de sauter dans le cimetière.
— Le trou est fait, répondit Barnabé. Mais qu’est-ce que c’est donc que t’as là-dedans ? C’est ça que tu prétends faire enterrer ?
— C’est cela même, mes enfants.
— Mais tu nous avais dit que c’étaient des sous. Un trésor ?
— Eh bien, c’est un trésor.
Barnabé et le père Teulard portant le coffre de l’horloge, et ployant sous le faix, avançaient avec peine dans la boue grasse.
Bientôt, cependant, ils laissèrent tomber leur fardeau à terre, ils désignaient au cocher John, un trou, un grand trou, une tombe creusée par eux quelques heures auparavant.
— Voilà l’endroit, disait Barnabé. Ça va-t-il ?
— Ça va très bien, répondit le cocher.
Il donna un coup de pied dans le coffre de bois, et il ordonna :
— Allons, pressons-nous. Mettez ça là-dedans et rejetez la terre par-dessus.
Les pelletées tombèrent d’abord régulièrement sur le coffre de bois, éveillant de sourds échos. L’opération semblait devoir s’achever sans encombre, lorsque soudain, Barnabé se jeta sur le père Teulard, lui empoigna le bras, l’empêcha de continuer sa besogne :
— Ah nom de Dieu, jurait Barnabé, écoute voir, écoute un peu.
Un instant, les deux fossoyeurs prêtèrent l’oreille, puis Barnabé se tourna vers John :
— Mais sacré bon sang, cria-t-il, c’est un crime que tu nous fais commettre là ? Réponds, nom de Dieu. Y a quelqu’un dans c’te boîte ? Quelqu’un qui vit ? Tu nous fais enterrer quelqu’un de vivant ?
Mais la voix du fossoyeur s’étrangla. En se retournant, ce n’était plus John qu’il avait aperçu, c’était la silhouette tragique d’un homme vêtu de noir, le visage dissimulé sous une cagoule noire, c’était la silhouette légendaire du terrifiant Fantômas.
Et Barnabé comme dans un cauchemar, se rejetant de côté, bousculant son ami le père Teulard, épouvanté par le râle sourd qui montait du fond de la fosse, entendit une voix sarcastique sortir de dessous la cagoule, une voix qui disait :
— Il n’y a plus de John ici. Regarde, camarade. C’est Fantômas qui te parle. Et puisque tu es si curieux, Fantômas va te renseigner. Tu prétends qu’il y a quelqu’un dans cette horloge que tu enterres. Mon Dieu tu ne te trompes pas. Il y a là une femme, elle s’appelle Delphine Fargeaux. Tu vois que je te donne tous les renseignements qui peuvent t’être agréables. Elle est endormie, elle est endormie grâce à du chloroforme et sans doute, elle commence à se réveiller. Oh cela n’a aucune importance, continue ta besogne, mon ami, fais ton office de fossoyeur, tant pis pour elle, si elle s’est réveillée. Elle n’avait qu’à continuer à dormir, elle n’aurait pas compris qu’on l’enterrait vivante.
Comme terrifiés, hagards, Barnabé et le père Teulard demeuraient encore immobiles, Fantômas soudain avança d’un pas.
Dans sa main, un revolver brillait, qu’il braquait vers les fossoyeurs :
— Allons, commanda-t-il, faites votre besogne, j’attends.
Et les pelletées tombèrent, régulières, sur la grande horloge normande.
27 – LE SECRET DU FANTÔME
— Ah, malheur, j’en ai les sangs tout retournés…
— Et moi donc, je ne vois plus clair, tant j’ai l’esprit à l’envers.
Barnabé et le père Teulard fuyaient à travers le cimetière, poussant des cris apeurés. Ils frémissaient, trébuchaient au contact des tombes dans lesquelles ils butaient perpétuellement. Leurs dents claquaient.
Les deux fossoyeurs arrivèrent enfin à l’extrémité du cimetière du côté de la rue de Maistre et tentèrent d’escalader le mur par-dessus lequel, une heure auparavant Fantômas et ses complices avaient fait basculer la grande et mystérieuse horloge dans laquelle le monstre avait enfermé l’infortunée Delphine Fargeaux.
Le père Teulard et Barnabé parvinrent à enjamber le mur et se tenaient un instant sur la crête, mais, brusquement tiré en arrière par Barnabé, le père Teulard retomba dans la nécropole.