Le mariage de Fantomas (Свадьба Фантомаса) - Страница 64

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— Voici mon palais. Asseyez-vous sur ce divan, je viens à vos côtés dans quelques secondes.

Il désignait du doigt une sorte de grand canapé à l’étoffe décousue et déchirée, et, tandis que Delphine Fargeaux, de plus en plus stupéfaite, presque inquiète maintenant, y prenait place, il passait lui-même de l’autre côté de la tenture, disparaissait aux yeux de la jeune femme.

— Mon Dieu, se demandait quelques instants plus tard Delphine Fargeaux, à la lueur vacillante d’une lampe à pétrole posée sur le coin d’une table, qu’est-ce que tout cela veut dire ?

Elle attendit longtemps, très longtemps, puis, à l’improviste, n’entendant plus bouger le baron, elle se sentit envahie d’une peur secrète contre laquelle elle essayait en vain de réagir.

— L’endroit est pauvre, se disait Delphine Fargeaux, écarté, dans un sinistre quartier. Pourquoi m’a-t-on conduite là ? Que va-t-il m’arriver ?

La pensée va vite chez qui a peur. Delphine Fargeaux, en une seconde, imagina, tout en s’en raillant, d’étranges aventures. En somme, elle ne connaissait pas le baron Stolberg. Plus même, elle l’avait rencontré en compagnie d’une femme qui était un assassin. Et puis, c’était un Russe, et les Russes sont toujours un peu énigmatiques, un peu étranges, un peu effrayants.

Delphine Fargeaux se leva. D’une voix blanche, elle appela :

— Monsieur Stolberg, vous êtes là ?

Mais, à peine eut-elle crié, que la tenture violemment repoussée, s’ouvrait. Un homme apparaissait, les deux mains dans les poches, ricaneur, ironique, qui dit d’une voix brève et nette :

— M. Stolberg, le riche baron n’est plus là. Inutile de l’appeler. Inutile de crier, vous êtes dans mes mains, en mon pouvoir, vous êtes chez John, le cocher John !

Et c’était, en effet, un homme vulgaire, un palefrenier, à en juger à son pantalon de cheval, à sa chemise à carreaux, à ses boutons de manchettes vulgaires en forme de fer à cheval, qui s’avançait vers Delphine Fargeaux. La malheureuse, à cet instant, pensa défaillir :

— Le cocher John ? s’écria-t-elle, le cocher John ?

Et elle contemplait les traits de son nouvel interlocuteur, se croyant victime d’un rêve, d’une hallucination épouvantable.

Delphine Fargeaux frissonna, se sentit perdue. L’homme qui lui parlait, l’homme qui lui annonçait être le cocher John, qui lui affirmait que Stolberg était parti, c’était le même homme, c’était Stolberg.

Sans doute, sa coiffure était changée, ses yeux eux-mêmes semblaient avoir une autre expression, mais elle ne pouvait pas se tromper à la forme particulière des sourcils, à la ligne du nez, aux traits de la bouche.

— Vous, vous êtes… ?

D’un geste de la main, l’homme la fit taire :

— Vous allez dire des bêtises, déclara-t-il, et j’aime autant vous empêcher de les prononcer. Je suis John le cocher. Voilà !

— Ça n’est pas vrai !

— Alors, tant pis pour vous. Puisque vous ne voulez pas admettre que je suis John, voici mon autre nom.

L’homme se croisa les bras, recula de trois pas, ses yeux se firent flamboyants, sa haute stature se redressa, il déclara lentement :

— Delphine Fargeaux, on m’appelle aussi Fantômas.

Mais, cette fois, la malheureuse n’eut pas le temps d’articuler un mot. Affolée, éperdue, elle ne pouvait même point hurler sa terreur, à peine avait-il parlé que Fantômas – car le baron Stolberg et le cocher John, en effet, cachaient la seule et même personnalité : celle de l’effroyable tortionnaire – se précipitait sur elle, la renversait violemment sur le canapé, sautait à genoux sur le meuble, et la maintenant immobile, l’écrasait de tout son poids, la bâillonnait de force avec un long bandeau, d’où dépassait un tampon d’ouate énorme.

Alors un râle, un râle lent, sinistre, interminable, commença d’emplir la petite pièce qui servait de logement au cocher John. Delphine Fargeaux immobile, le visage congestionné, les yeux sortant de la tête, hurlait sous son bâillon.

Mais Fantômas vraiment ne paraissait en avoir nul souci. Il prit dans une petite armoire voisine, un mince flacon de verre jaune. Il le déboucha soigneusement, puis, le renversa tout entier sur le bâillon de la malheureuse. Une odeur écœurante et fade de chloroforme satura l’atmosphère.

Quelques instants les rauques grondements de la bâillonnée continuèrent, puis, ils furent moins distincts, plus faibles, puis ils se turent.

Endormie par le soporifique, privée de sentiment, Delphine Fargeaux demeurait immobile, renversée, presque morte. Fantômas, debout devant elle, avait contemplé l’évanouissement progressif de la malheureuse jeune femme avec un froid sourire, Lorsque enfin, le râle s’arrêta, il haussa les épaules, et simplement, d’un ton indéfinissable, murmura :

— Et voilà.

***

John, le cocher, était à genoux sur le sol de son taudis et s’occupait à ficeler avec une corde solide le coffre en bois d’une haute horloge normande qu’il avait renversée et bourrée de linge probablement.

À ce moment des coups de pieds et des coups de poing ébranlaient la porte :

— Ouvre donc, bon Dieu de salaud ! Ohé patron, voilà l’équipe !

Le cocher John se releva, répondant d’une voix faubourienne :

— Ça va, ça va, démolissez pas la cambuse, bon Dieu.

Il ouvrit la porte, cinq hommes se bousculaient pour entrer à la fois :

— Bonjour ma vieille !

— Bonjour les potes. Ça va. Mort-Subite ? Ça va Bec-de-Gaz ? Mon vieil Œil-de-Bœuf, on dirait que t’as déjà reniflé dans tous les verres du quartier.

— T’occupe pas. T’occupe pas ! répondit Œil-de-Bœuf la voix pâteuse et le regard peu net. Quand je déménage, moi je fais comme les déménageurs. Un déménageur, ça déménage, et quand ça déménage, c’est-à-dire que ça fait un déménagement.

D’une bourrade, le cocher John envoya Œil-de-Bœuf rouler dans un coin de la pièce :

— Tais-toi barrique, lança-t-il, tu n’en sortiras pas.

— Mort-Subite, vous avez amené une charrette ?

— Elle est en bas.

— Alors, y a qu’à se mettre au turbin.

— On enlève tout ?

— Comme de juste. Tu ne t’imagines pas mon vieux que je vais faire des cadeaux au proprio ?

— Et où est-ce qu’il est ton logement ? demandait Mort-Subite, est-ce que tu vas nous faire tirer la bricole pendant des kilomètres ? Ta concierge, elle va gueuler, ma vieille, quand on transportera ton mobilier à travers ses escaliers.

— T’occupe pas.

D’une voix un peu énervée, d’une voix de commandement presque, John, le cocher, hâtait les opérations. Il aidait Bec-de-Gaz à se charger d’une table, il confiait à Œil-de-Bœuf, tremblant sur ses jambes, le soin de descendre un paquet de hardes. Le cocher John fit un signe à Mort-Subite :

— Reste. Tous les deux nous allons nous charger de l’horloge.

— Eh bien mon colon, déclarait Mort-Subite, en s’essuyant le front, du revers de sa manche, elle est rien lourde ta toquante. Celui qui t’a vendu ça pour peser une demi-livre, il ne t’a pas volé ton argent. Ferais mieux d’acheter un bracelet.

— Allez, dépêchons-nous ! On ira boire un verre quand tout sera descendu.

Quelques instants plus tard, le déménagement en effet était complet. Tout ce qui avait orné le taudis du palefrenier, était entassé, empilé, sur la charrette à bras et John, en compagnie de ses copains, alla prendre un verre sur le comptoir, chez un mastroquet voisin.

— Alors quoi, déclarait le tenancier, vous quittez le quartier ? c’est dommage. Vous étiez une bonne pratique. Faudra revenir nous voir de temps en temps.

— Sûr et certain, affirma John, je viendrai encore par ici, rapport aux chevaux que je garde aux écuries.

Dehors, il était maintenant près de dix heures. Mort-Subite s’attela aux brancards de la charrette à bras, John et Bec-de-Gaz poussaient par derrière.

— Quand on déménage, bégayait cependant Œil-de-Bœuf, qui venait de boire deux mominettes [17] de suite, et ne semblait pas dans ce breuvage, retrouver une plus grande lucidité d’esprit, quand on déménage, là, vrai, c’est rigolo, c’est toujours qu’on emménage. On déménage, on emménage.

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