Le mariage de Fantomas (Свадьба Фантомаса) - Страница 62

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Delphine Fargeaux arriva tout juste sur le trottoir de la place de l’Opéra pour apercevoir l’étranger traversant la chaussée et se dirigeant vers l’Académie Nationale de Musique.

— Je n’ai pas de chance, se dit Delphine, s’il va réellement à l’Opéra ce soir, je ne pourrai pas le rejoindre, je ne suis pas assez bien mise pour prendre une place, et d’autre part, comment le retrouver à la sortie ?

Mais, après avoir trop espéré, elle désespérait trop vite. Stolberg, en effet, ayant franchi les balustrades de l’Opéra, ne se hâta point d’entrer. Il monta lentement quatre ou cinq marches, puis s’immobilisa, ayant l’air d’attendre, vérifiant l’heure à sa montre.

— C’est le moment de l’aborder, se dit Delphine.

Elle traversa le trottoir, monta les quelques marches qui devaient la conduire au baron. Celui-ci, d’ailleurs, l’aperçut avant qu’elle ait eu le temps de le saluer.

Stolberg, le claque à la main, s’inclinait devant la jeune femme :

— Madame, dit-il, d’une voix chaude et grave, je bénis la bonne fortune qui me fait vous apercevoir aujourd’hui, je ne suis certainement pas connu de vous, mais cependant, il y a de cela quelques jours, j’ai eu le plaisir de dîner près de vous et j’en ai gardé le souvenir d’une ravissante personne.

— Vous êtes galant, monsieur, répondit Delphine, c’est ce qui me donne le courage de vous demander deux minutes d’entretien ?

— Madame, ce n’est pas deux minutes que je voudrais vous accorder, mais toute ma vie. Hélas, je suis tenu ce soir à une obligation à laquelle je ne puis me soustraire. J’attends une amie.

Or, au moment même où le baron Stolberg s’excusait ainsi, cherchant quelque peu ses mots, une voix railleuse lui adressait la parole sur un ton cavalier :

— Mon cher, disait l’arrivante, j’allais m’excuser de venir en retard. Mais je vois que vous ne vous ennuyez pas. Vous n’êtes pas long à faire des conquêtes.

À peine s’était-elle retournée, que Delphine blêmit. Elle se jeta littéralement sur le baron :

— Sauvez-vous, sauvez-vous ! cria-t-elle. Vous ne connaissez pas cette femme, sans doute, elle vient assurément ici pour vous tuer, elle a tué un homme hier. Sauvez-vous, sauvez-vous !

Surpris par cette apostrophe, Nicolas Stolberg recula, tirant derrière lui Delphine Fargeaux qui l’avait pris par le bras :

— Ah çà, fit-il, vous êtes folle ?

Mais il n’eut pas le temps d’achever.

Au même moment, la Recuerda, car c’était la Recuerda que le baron Stolberg attendait et qui venait le rejoindre, pour aller avec lui à l’Opéra, bondit sur Delphine Fargeaux, prise d’une de ses terribles colères d’Espagnole.

— Vous êtes une misérable ! hurlait-elle et, par la Madone, si vous ne vous taisez pas…

Tandis que la Recuerda se jetait sur Delphine Fargeaux, celle-ci, croyant sa dernière heure venue, levait son parapluie et en assenait un coup sur le visage de son assaillante.

La Recuerda, en même temps, lâchant le réticule parsemé de pierreries qu’elle tenait à la main, sautait à la gorge de Delphine Fargeaux.

— Mon Dieu, je vous en prie, mesdames, mesdames ! Ah, c’est abominable, voyons, voyons !

Le baron Stolberg s’efforçait en vain de séparer les combattantes, la foule se rassemblait, s’ameutait, on arracha les deux femmes l’une à l’autre. Les marches de l’Opéra étaient noires de monde, on criait, on se bousculait. Il y avait là des femmes en grande toilette, en décolleté, que la foule bousculait impitoyablement. Des hommes en habit, en cravate blanche, qui jouaient des coudes, friands de scandale, espérant que quelqu’un de connu, un habitué du Foyer y était compromis.

Au centre de la foule houleuse, cependant, la Recuerda, solidement maintenue par deux jeunes gens qui l’avaient arrachée, cependant que deux autres messieurs tiraient Delphine Fargeaux de ses griffes, pâle de colère, la voix décomposée, appelait son cavalier servant :

— Baron, disait-elle, faites conduire cette femme au poste, il est inadmissible…

Et Delphine Fargeaux, de son côté, criait :

— Qu’on arrête cette femme, c’est abominable, elle a…

Et Delphine Fargeaux allait dire : « Elle a tué », lorsqu’elle s’interrompit net, ayant soudain rencontré le regard de Stolberg.

Alors que Delphine Fargeaux, terrifiée par le regard du baron Stolberg, se taisait, un groupe de sergents de ville arrivait, repoussant la foule, se frayant un passage de vive force.

— Au poste, au poste ! ordonnaient les agents, vous vous expliquerez devant le commissaire. Allons, venez, vous aussi, monsieur, vous êtes le témoin.

Ils encadrèrent les deux femmes, les jeunes gens qui s’étaient empressés de les séparer, ils poussèrent tout le monde, le baron Stolberg compris, vers le poste de police installé dans l’Opéra même, qui donne rue Halévy.

— Allons au poste, en effet, disait Stolberg. Le commissaire comprendra tout de suite que cet incident est seulement ridicule et il nous fera tous relâcher.

— Le commissaire de police n’est pas là, dit le brigadier, il ne passe au poste qu’à une heure du matin. Tout ça, ça n’est pas clair. En l’attendant, je vais tous vous mettre au violon. Ma foi, ça vous apprendra, les uns et les autres, tout gens chics que vous êtes, à vous conduire comme des voyous.

Et, superbe de dédain, merveilleux d’audace, sans s’inquiéter des protestations que son procédé inqualifiable soulevait de la part des personnages arrêtés, le brigadier, à peine arrivé au poste, fit en effet entrer les personnes qu’il venait d’appréhender dans le cachot où se trouvaient déjà une dizaine d’individus arrêtés pour tapage sur la voie publique dans la journée.

— Déplorable, dit le baron Stolberg, devenu très digne, ayant retrouvé tout son sang-froid. Messieurs, ajouta-t-il, en se tournant vers les quatre jeunes gens qui avaient été arrêtés en même temps que lui, alors qu’ils n’étaient pour rien dans les aventures de la soirée, messieurs, je vous fais toutes mes excuses pour la sotte affaire où vous voici compromis. Voulez-vous me permettre de vous demander vos noms ? Voici ma carte. J’irai demain, si l’on me relâche toutefois, vous présenter mes excuses.

Les autres jeunes gens riaient déjà, amusés par le pittoresque de leur arrestation et l’incompréhension des agents, et un échange de cartes eut lieu.

À l’intérieur du violon, cependant, Delphine Fargeaux et la Recuerda, soudain muettes l’une et l’autre, se contemplaient en silence, étonnées de l’attitude presque gouailleuse, infiniment calme en tout cas que venait d’adopter le baron Stolberg.

— Ma parole, pensait Delphine Fargeaux, je m’attends presque à ce qu’il dise qu’il ne nous connaît ni l’une ni l’autre.

À peine l’échange de cartes était-il terminé que Nicolas Stolberg, après avoir jeté un regard à la Recuerda, s’approchait de Delphine Fargeaux. Et c’est bas, qu’il murmurait à l’oreille de la coquette, cette phrase qui, soudain, la fit radieuse :

— Madame, excusez-moi de ne point pouvoir vous défendre comme je le voudrais, mon attitude doit vous paraître révoltante, croyez que je suis obligé d’agir comme je le fais. Dans quelques instants, d’ailleurs, nous allons être libres. Je vous en prie, veuillez me permettre de vous accompagner chez vous. J’ai à vous parler.

À peine avait-il dit ces mots qu’il s’inclinait, et, sans attendre de réponse, quittait Delphine Fargeaux pour s’approcher de la Recuerda :

— Ma chère, déclarait-il à l’Espagnole, qui le regardait avec surprise, cette petite Fargeaux est complètement folle. Il faut à tout prix qu’elle cesse de nous gêner. Tâchez d’être raisonnable. Tout à l’heure je partirai avec elle. Demain je vous verrai. J’ai à causer avec vous.

Il sourit en disant ces mots, puis salua. Et, deux minutes plus tard, Stolberg s’arrêtait, respirait profondément :

— Mais, sapristi, dit-il, cela sent terriblement le gaz, ici.

— Et comment qu’ça sent l’gaz ! Ça l’pue à plein nez !

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