Le mariage de Fantomas (Свадьба Фантомаса) - Страница 61
La petite méridionale cependant, timide et coquette à la fois, son premier émoi passé, se passionnait pour les faits dont elle venait d’être témoin.
— C’est inimaginable, songeait-elle, c’est du roman-feuilleton. Comme on n’en inventerait pas.
Et elle se faisait l’effet d’une héroïne.
Si Delphine Fargeaux, d’ailleurs, avait été atterrée par le crime qu’elle avait vu se commettre sous ses yeux, néanmoins elle n’en concevait pas un très vif chagrin.
Backefelder lui était complètement indifférent et somme toute, il ne lui était pas désagréable, bien au contraire, que la Recuerda fût une criminelle.
— Je préviendrai le baron, pensa Delphine, je lui dirai que la femme qu’il aime a assassiné. Quelle excellente occasion de m’imposer ainsi à son esprit, de me faire aimer de lui, qui est si beau garçon, si riche.
L’aventure de la Maison d’Orétait restée profondément gravée dans la mémoire de la Méridionale. Toujours romanesque, lorsque, plus tard, elle l’avait parfaitement reconnu sur le pont Caulaincourt alors qu’après l’attentat, il avait emmené la Recuerda, Delphine avait admiré ce geste du baron Stolberg sauvant l’Espagnole de la police.
Et depuis lors, Delphine, se passionnait pour cet homme, dont elle ne connaissait à vrai dire, que le nom et la demeure, mais que, par l’imagination, elle parait de toutes les qualités.
— Si je peux me faire aimer de Stolberg, se répétait Delphine ce soir-là, je deviens l’une des femmes les plus chics de Paris.
***
Toute la nuit, oubliant le drame dont elle venait d’être témoin, Delphine Fargeaux avait rêvé de Stolberg, si bien qu’elle s’éveilla le lendemain matin parfaitement décidée à tenter l’impossible pour rejoindre le grand seigneur russe et le prévenir des dangers qu’il courait.
— Je le préviendrai, je le sauverai. On aime toujours une femme qui vous sauve. Il m’aimera, c’est sûr !
En faisant sa toilette, elle décida d’aller trouver le baron Stolberg chez lui, puis elle se rendit compte que la démarche était déplacée, qu’on la prendrait pour une intrigante et qu’il valait mieux rencontrer le gentilhomme par hasard.
À une heure de l’après-midi, ayant parfaitement oublié de se rendre aux pompes funèbres, parée, pomponnée, habillée à ravir dans le plus seyant des petits costumes tailleur, coiffée d’un amour de jolie toque, Delphine sortait de chez elle, hélait un fiacre, jetait au cocher une adresse voisine de celle du baron Stolberg.
— Nous ne sommes pas pressés, fit-elle, allez tout doucement, cocher, vous stationnerez, n’est-ce pas, sans que je descende, et quand je frapperai au carreau, vous suivrez le monsieur que je vous indiquerai.
Le cocher, un vieil automédon qui avait acquis sur le siège une philosophie résignée, dévisageait d’un coup d’œil sa cliente, soupçonneux, redoutant qu’elle portât un bol de vitriol [15], puis, lui trouvant bonne mine et la voyant toute joyeuse, il se décidait à remonter sur son siège :
— Hue, Cocotte, on va peut-être bien encore faire la chambre d’hôtel.
Pendant qu’elle ruminait ses pensées, le fiacre de Delphine Fargeaux arrivait à quelques mètres de la demeure du baron Stolberg, vers quatre heures de l’après-midi. Il s’immobilisa le long du trottoir. Delphine, patiente comme toutes les femmes, tenace comme toutes les coquettes, n’eut garde d’en bouger. Elle demeura dans la voiture, invisible, et ne perdant pas de vue la porte par où, elle l’espérait bien, Stolberg allait sortir.
Si le plan de Delphine Fargeaux était parfait au cas où le baron russe viendrait à quitter son appartement, il était évidemment défectueux dans l’hypothèse possible que Stolberg ne sortirait pas. C’est précisément ce qui se passa : une heure, deux heures, trois heures passèrent, et à plus de sept heures du soir, le baron Stolberg n’était toujours pas sorti de chez lui et Delphine Fargeaux était toujours là, immobile à l’intérieur de son fiacre, cependant que son cocher, lassé d’attendre, ayant lu tous les journaux accumulés sous son siège, considérait avec inquiétude la marque de son taximètre, se demandant si la petite dame qui était sa cliente aurait véritablement de quoi solder le chiffre important qu’indiquait le compteur.
— M’est avis, madame, conseillait le digne automédon en ouvrant la portière et en se penchant vers sa cliente, que l’amoureux en question ne sortira pas aujourd’hui, vous feriez mieux de revenir demain.
— Mêlez-vous de ce qui vous regarde, je ne guette nullement un amoureux, et je sais que ce monsieur sortira.
Une seconde après, elle ajoutait, ce qui valait beaucoup mieux que toute espèce de raisonnement :
— D’ailleurs, si vous êtes inquiet du prix de votre stationnement, je ne demande pas mieux que de vous donner des arrhes.
Elle tendit au cocher une pièce d’or. Subitement radouci, il referma la portière avec un bon sourire :
— Oh moi, dit le cocher, la remarque que je vous en faisais, c’était par bonté d’âme, que je soie là ou ailleurs, je m’en fiche, et Cocotte non plus ne se plaint pas de se reposer un peu. À votre aise, ma petite dame. À votre aise. On attendra tant que vous voudrez.
Grimpé à nouveau sur son siège, l’homme s’enroulait confortablement dans ses couvertures et s’endormit.
Il sommeillait à peine depuis une vingtaine de minutes que des coups de parapluie le tiraient brusquement de son rêve.
— Avancez donc, criait Delphine Fargeaux. Suivez ce monsieur.
La porte de la demeure que Delphine Fargeaux surveillait anxieusement s’était en effet enfin ouverte devant le noble russe. Stolberg, en chapeau claque, en habit, avait traversé le trottoir, puis sauté dans un coupé de cercle [16], rangé depuis quelques instants.
Et dès lors, la poursuite, la poursuite qu’avait rêvée Delphine Fargeaux, qu’elle attendait avec une constance inépuisable depuis le commencement de l’après-midi, s’engagea.
Attelé d’un bon cheval, le coupé de cercle filait rapidement vers le centre. Le cocher du fiacre qui menait Delphine Fargeaux heureusement était un vieux cocher, il menait expertement, trouvait le moyen de se faufiler à travers les embarras de la circulation et de ne point perdre de vue la voiture qu’il poursuivait :
— Cocher, avait crié Delphine Fargeaux, il y a dix francs pour vous si nous ne perdons pas de vue ce coupé.
Et c’était Cocotte qui subissait le contrecoup de cette affaire alléchante ; fouettée de coups de fouet, elle payait amplement le repos qui lui avait été octroyé, et galopait sans arrêt.
Le coupé de cercle, après vingt minutes d’allure rapide, enfilait la rue Royale, tournait par les boulevards, gagnait la place de l’Opéra.
— Où va-t-il ? se demandait Delphine Fargeaux, si je suis bien renseignée, le cercle du baron est place de la Concorde, ce n’est donc pas là qu’il se rend.
Elle était fixée quelques instants plus tard : le coupé de cercle s’était arrêté net devant le café de la Paix.
— Dois-je stopper ? demanda le cocher de fiacre, retenant à son tour son cheval, et tout fier de ne point s’être laissé distancer.
— Oui.
À cet instant, Delphine s’était décidée.
Si Stolberg venait dîner à la Paix, elle y dînerait, elle aussi. Elle prendrait une table voisine, et parbleu, elle trouverait bien le moyen d’aborder le gentilhomme.
Triomphante, sourire aux lèvres, Delphine Fargeaux entra au grand restaurant dans un grand bruit de jupes froissées.
Stolberg s’était bien installé, mais il n’était pas seul, il avait rencontré trois amis, des cercleux, comme lui, il leur serra la main, s’assit à côté d’eux.
— Vite, maître d’hôtel, je suis pressé. Servez-moi en vingt minutes.
— Aux ordres de monsieur le baron. Si monsieur le baron veut faire son menu.
Si Stolberg dînait vite, Delphine Fargeaux fit en sorte de dîner plus vite encore. Hélas, le maître d’hôtel n’avait pas de monnaie. Trois minutes d’attente, pendant lesquelles le baron passait sa pelisse, prenait congé de ses amis, sortait du Café de la Paix.