Le mariage de Fantomas (Свадьба Фантомаса) - Страница 54
Dupont de l’Aube, ayant téléphoné à Juve, gagna la gare Saint-Lazare, s’installa dans un confortable wagon de première classe, et n’en descendit qu’à la gare de Passy. La nuit était véritablement superbe, de rares étoiles commençaient à briller au ciel, les réverbères clignotaient dans les allées désertes et majestueuses du Ranelagh. Dupont tira un bon cigare et, les mains derrière le dos, en flâneur, entreprit de rejoindre son domicile.
— Il est sept heures un quart, songea-t-il, j’ai à peu près pour une heure de travail à la maison. Je serai prêt à huit heures et demie, à neuf heures un quart je serai à la gare. J’y prendrai un rapide dîner au buffet et, ma foi, à dix heures trente je me coucherai dans mon wagon, tout tranquillement, pour être en temps opportun à Madrid et annoncer à cet excellent Fandor que ce n’est pas encore en Espagne qu’il devra quitter la vie.
Dupont de l’Aube, au sortir de la gare de Passy, avait donc pris par l’allée qui longe la voie de chemin de fer et s’infléchit ensuite sur la droite, traversant les fortifications pour se rendre aux lacs. Il y avait naturellement, à cette heure déjà tardive de la journée, très peu de passants, et Dupont de l’Aube n’apercevait guère sur les pelouses vertes qu’un groupe attardé d’hommes et de femmes qui, venant de dîner sur l’herbe, jouaient au ballon, les hommes en bras de chemise, les femmes secouant leurs jupes et tous faisant grand tapage et grand bruit.
— Ma foi, songeait encore Dupont de l’Aube, voilà des joueurs que j’admire. Au moins, ils sont venus faire dînette au moment où les pelouses ne sont pas encombrées.
Avançant toujours, Dupont de l’Aube, arriva bientôt au croisement du boulevard Suchet, dans lequel il allait tourner. Il avait encore dix minutes de marche et ne s’en plaignait pas, très satisfait qu’il était de humer en paix la bonne atmosphère de la soirée.
Or, comme il tournait sur le boulevard, le sénateur croisait trois individus à mine de rôdeurs qui, lui sembla-t-il, en le voyant, avaient brusquement tressailli, Dupont de l’Aube déjà se mettait sur la défensive, aimant peu cette rencontre en un endroit si désert, lorsque l’un des voyous, très poliment, prenait sa casquette à la main, et s’approchait de lui.
— Faites excuse, monsieur, on pourrait-y pas avoir du feu ?
— Voilà, mon ami, répondit le sénateur.
Et, obligeamment, ayant secoué la cendre de son havane, il tendait à l’éphèbe son cigare pour lui permettre de prendre du feu.
Or, tandis que le sénateur complaisamment tendait, son cigare au voyou, les deux acolytes de celui-ci qui, d’abord, étaient demeurés à quelque distance, se rapprochaient, et soudain, encadraient Dupont de l’Aube. Alors, la scène brusquement changea, avec une rapidité telle que le malheureux sénateur n’eut guère le temps de tenter la moindre défense.
Le voyou qui, soi-disant, cherchait à prendre du feu, lui passa un croc-en-jambe, l’envoya sur le sol et au même moment se jetant sur lui, déboutonnait son veston, plongeait ses mains dans ses poches, se redressa, prit la fuite, ayant soulagé Dupont de l’Aube de son portefeuille et du brevet d’extradition de Jérôme Fandor.
Or, l’agression avait été si soudaine que le vol n’avait prêté à aucune difficulté. Le sénateur était encore étendu sur le sol que déjà, après l’avoir à moitié étourdi d’un coup de pied, le voyou gagnait le large accompagné de ses deux acolytes, au comble de la joie.
Dupont de l’Aube, pourtant se releva aussitôt.
— Au secours, au voleur !
Il hurla des appels désespérés, et, courageux, se jeta à la poursuite de ceux qui venaient de le dépouiller. Par malheur, il n’était plus tout jeune. Il comprit vite qu’il s’essoufflerait avant les individus auxquels il donnait la chasse et que si du secours ne lui venait pas, infailliblement, ceux-ci lui échapperaient.
Toujours courant, Dupont de l’Aube hurla encore :
— À l’aide, au voleur, à l’assassin, arrêtez-les !
Or, derrière lui, il eut le réconfort d’entendre que l’on se précipitait, que des gens accouraient qui criaient eux aussi :
— Tenez bon, nous voilà !
Dupont de l’Aube tourna la tête, toute une foule s’ameutait sur ses pas, des jeunes gens qui le rattrapaient lestement, des femmes qui galopaient, éperdues.
— Les joueurs de ballon, pensa Dupont de l’Aube. Ah, sapristi, il faut qu’on les rejoigne…
On arrivait à sa hauteur, il tendait le bras dans la direction des fuyards :
— Vite, vite, là-bas, ils m’ont pris mon portefeuille. Il faut les pincer. Récompense !
Mais il n’eut pas besoin d’exciter le zèle de ceux qui venaient lui prêter main-forte, les joueurs faisaient merveille. Laissant Dupont de l’Aube courir, ils le dépassèrent, et, de toute la vigueur de leur jeunesse, s’élançaient en avant. Et dès lors, la poursuite changea de face.
Les trois voyous qui avaient attaqué Dupont de l’Aube comprenaient sans doute qu’ils allaient être rejoints, car, au lieu de continuer à s’enfuir, droit devant eux, le long du boulevard Suchet, ils firent un brusque crochet, traversèrent la chaussée, se dirigèrent vers les fortifications, dans l’espoir peut-être de disparaître à la faveur de l’ombre.
Mais ils avaient compté sans leurs poursuivants. Oh, ce ne fut pas long ! Dupont de l’Aube arrivait tout juste quelques secondes plus tard au moment où les trois voyous étaient proprement couchés sur l’herbe, solidement maintenus par les joueurs si opportunément arrivés.
Haletant, essoufflé, un vertige devant les yeux, Dupont de l’Aube s’arrêtait :
— Ah, les misérables ! commença-t-il.
Et il allait donner des explications, il allait remercier ses sauveteurs, lorsqu’une voix railleuse répliqua avec un épouvantable sang-froid.
— Monsieur Dupont de l’Aube, vous êtes décidément un bien fier imbécile.
Et à la minute même, avant que le sénateur ait eut le temps de la réflexion, les joueurs de ballon lâchèrent les trois voyous, se jetèrent sur Dupont de l’Aube avec des exclamations stupéfiantes :
— Ah, ce gros idiot, ce qu’on l’a eu.
— Eh, vieux porc. Tu vas perdre ta graisse à courir comme ça.
— Allez, pas de rouspétance, à genoux et tiens-toi tranquille.
Les revolvers brillèrent, les couteaux se levèrent menaçants. Dupont de l’Aube, de force, fut jeté sur le sol, contraint à se mettre à genoux. Le sénateur avait blêmi.
— Les misérables, sifflait-il, ces joueurs ont fait semblant de me secourir pour mieux m’attirer dans ce coin désert. Cette fois, je suis perdu.
Il avait peu de temps pour réfléchir, et même pour s’effrayer. De l’ombre, devant lui, une silhouette surgissait, une silhouette tragique, que Dupont de l’Aube, d’abord, ne reconnut pas. Celle d’un homme, grand, mince, élancé, dont le visage disparaissait sous une cagoule noire, entièrement vêtu d’un long maillot noir, ganté de noir, qui, les bras croisés, le toisait avec une tranquillité superbe.
— Dupont de l’Aube, déclara, sarcastique, l’apparition, j’ai l’honneur de me présenter à vous. Je me nomme Fantômas.
Les apaches qui entouraient le directeur de La Capitalesubitement avaient fait silence. Le nom, le terrible nom, résonnait dans la nuit, tragique, stupéfiant.
— Je suis Fantômas, répéta la voix.
Et Dupont de l’Aube eut un haut-le-corps en comprenant qu’il venait de tomber entre les mains du Génie du Crime, du Tortionnaire.
Fantômas, d’ailleurs, après avoir fait une courte pause, comme pour goûter à loisir l’émotion de son prisonnier, reprenait d’une voix sourde, et qui semblait menaçante :
— Je suis Fantômas, Dupont de l’Aube, et Fantômas vous ordonne de lui répondre. Qu’avez-vous dans votre portefeuille, auquel vous tenez particulièrement ?
— Rien, rien, bégaya le sénateur, lâchez-moi, rendez-le-moi, je vous donnerai ce que vous voudrez !
Mais, à ces mots, Fantômas éclata de rire :
— Quel imbécile et quel peureux, répéta-t-il.