Le mariage de Fantomas (Свадьба Фантомаса) - Страница 51
— Que faites-vous donc ? que cherchez-vous ?
— Ce que je cherche ? déclara fièrement l’Espagnole, ma navaja.
Et, de sa jarretelle, la Recuerda détacha le long couteau à la lame fine, à l’acier bruni, à la pointe acérée. Son interlocuteur souriait toujours :
— Charmant spectacle, déclara-t-il, qui commençait très bien et qui finit fort mal. Vous avez une bien jolie jambe, et un fort vilain couteau. Que comptez-vous donc faire de ce dernier ?
Les yeux de la Recuerda brillèrent de colère :
— Ce que je compte faire ? répliqua-t-elle, me défendre au besoin, attaquer s’il le faut. D’ailleurs, il est temps que cela finisse. Je vous ai suivi avec confiance, vous m’avez tirée d’un mauvais pas, mais il importe maintenant que vous me fassiez connaître vos intentions et que je sache à qui j’ai affaire. Quel est votre nom ?
— Voilà qui est parlé, déclara le baron Stolberg, à qui l’attitude de l’Espagnole ne déplaisait certes pas. J’aime, poursuivit-il, les femmes courageuses comme vous, et j’imagine cependant que lorsque vous saurez mon nom vous regretterez peut-être de me l’avoir demandé.
— Je n’ai jamais eu peur, déclara la Recuerda. Vous pouvez vous nommer. Je ne broncherai pas.
Le baron murmura toujours souriant, et regardant fixement la Recuerda :
— Bien, très bien, parfait.
Et, changeant brusquement d’attitude, il recula d’un pas, d’un geste large, il dépouilla son visage de sa barbe, de sa chevelure. Dès lors, apparut un homme à la silhouette superbe et terrifiante, un être aux traits énergiques, au regard perçant, aux lèvres volontaires. La Recuerda s’était reculée, c’était là une silhouette qu’elle avait déjà eu l’occasion de voir, de contempler, d’admirer même, dans les circonstances les plus diverses, les plus tragiques. Tout dernièrement encore, à l’Escurial, n’avait-elle pas failli tuer Fantômas qui n’avait été sauvé de son arme que grâce à l’intervention de Jérôme Fandor ? L’Espagnole s’écria :
— Fantômas !
C’était, en effet, Fantômas. Le sinistre bandit foudroyait du regard la Recuerda :
— Vous avez voulu savoir qui j’étais. Vous voilà satisfaite et ne regrettez-vous rien ?
Fantômas s’arrêta de parler, car l’Espagnole avait dit la vérité quelques instants auparavant ; elle n’aurait pas peur, annonçait-elle, et en fait, elle n’était pas effrayée, son visage n’avait pas blêmi, ses traits n’étaient pas contractés.
— Non, dit-elle, je n’ai pas peur.
Fantômas s’approcha de la jeune femme. Il lui prit les mains, et la fixant les yeux dans les yeux, articula d’une voix douce :
— Vous êtes brave, la Recuerda, et jolie aussi.
L’Espagnole soutint ce regard sans trembler et elle répondit avec le sourire :
— Vous êtes terrible, Fantômas, mais vous êtes superbe aussi.
21 – L’ASSASSINAT DE BACKEFELDER
L’après-midi qui précédait cette tragique et bizarre soirée avait été très mouvementé au cimetière Montmartre. C’était jour férié, et profitant de la belle journée, les Parisiens y étaient venus en grand nombre.
Le gardien chef du cimetière et ses collègues étaient médiocrement satisfaits, lorsque s’écoulaient, comme ce jour-là, des après-midi de grande affluence. Sans savoir pourquoi, ils redoutaient la foule, craignaient les surprises, les événements inattendus. Et c’est pourquoi, lorsque approchait l’heure de la fermeture, ils s’adonnaient avec une activité fébrile et un remarquable enthousiasme à la chasse de ceux qui s’attardaient dans le cimetière, retenus par le souvenir des morts ou alors par de malsaines curiosités, ou bien encore simplement parce qu’ils étaient oisifs.
Les gardiens vidaient le cimetière avec soin. Ce jour-là, malgré les précautions des gardiens et leur minutieuse attention, quelqu’un avait échappé à leur surveillance. Un homme était entré avec la foule lorsque le cimetière était ouvert au public et, naturellement, il avait passé inaperçu. Toutefois, alors que le public, ayant reçu l’ordre de s’en aller, se retirait paisiblement, cet homme, évitant les gardiens, multipliant les précautions pour n’être pas remarqué d’eux, s’était arrangé pour rester dans le cimetière et, pour passer inaperçu à travers la ligne des employés chargés de faire dans la nécropole ce qu’ils appelaient, dans leur argot de métier, « le balai ».
Quiconque aurait surpris cet homme aurait été fort étonné de voir l’étrange besogne à laquelle il se livrait. L’individu, en effet, certain que les gardiens avaient quitté le cimetière, s’engageait fort paisiblement dans l’avenue de l’Ouest, longeant toutefois les caveaux afin de passer inaperçu si d’aventure quelqu’un, de loin ou de près, s’était avisé de regarder dans sa direction. Cet homme, soudain, s’arrêtait devant l’un des caveaux les plus somptueux et sur lequel l’attention, depuis quelque temps, avait été particulièrement attirée. L’inconnu, en effet, se trouvait devant la sépulture de la famille de Gandia.
Il tira de sa poche une clef, ouvrit la grille en fer forgé du tombeau et s’introduisit dans la petite crypte obscure qui constituait la transition entre le monde des vivants et l’empire des morts. Puis il referma la porte et demeura immobile dans l’ombre qui s’épaississait.
Deux hommes seulement auraient pu déclarer que cet individu aux allures suspectes ne pouvait être incriminé d’aucune culpabilité. Ces deux hommes eussent été Jérôme Fandor et Juve, car ils connaissaient la mystérieuse personne qui venait de se dissimuler dans le caveau de la famille de Gandia. Cet homme n’était autre, en effet, que l’Américain Backefelder.
Que faisait-il là ?
Backefelder n’avait-il pas manqué au rendez-vous que lui donnait l’Espagnole pour partir avec elle à la poursuite du bandit ?
Si Backefelder ne s’était pas trouvé là quand il le fallait, c’est qu’il s’occupait à ce moment d’aller sauver Juve et lorsqu’il était revenu du Château Noir, la Recuerda avait disparu. Où était-elle ? Il n’en savait rien.
L’Américain alors, n’était pas resté inactif. Il estimait qu’il avait lui aussi à élucider le mystère du pont Caulaincourt, auquel, pensait-il, Fantômas devait être mêlé.
C’est pourquoi ce soir-là, le riche Yankee, dissimulé dans le caveau de la famille Gandia, attendait les événements.
***
Au bout de quelques heures, Backefelder entendit un bruit de pas sur l’allée. Qui cela pouvait-il être ? Lentement, Backefelder entrouvrit la grille du caveau dans lequel il s’était dissimulé, passa la tête, puis le corps. Or, soudain au moment où il sortait du sépulcre, quelqu’un surgissait en face de lui. Une forme humaine, la silhouette d’un homme robuste, bien taillé. Au même moment, une détonation retentit et Backefelder sentit une balle lui frôler la joue.
— Sapristi, murmura-t-il, je l’échappe de peu.
Mais il ne se laissa pas intimider et, ajustant aussitôt son mystérieux adversaire il tirait presque à bout portant. Backefelder était fort ému, car au moment où il appuyait sur la détente de son arme, un scrupule lui vint. Il savait que le cimetière était gardé par la police. Avait-il tiré sur un agent ?
Backefelder, brusquement s’enfuit. Il courut à l’extrémité du cimetière, enjamba le mur, disparut dans la nuit, cependant qu’il entendait autour de lui des appels, des clameurs d’hommes également dissimulés sans doute dans le cimetière et que la double détonation avait fait sortir de leurs cachettes.
Backefelder ne savait pas si son coup de revolver avait porté, mais il le supposait, le redoutait presque. Au moment où il s’enfuyait, il avait en effet remarqué que la silhouette humaine qu’il avait visée faisait un brusque écart, puis un vêtement large, souple, clair s’écroulait sur le sol. Et de là à conclure qu’il avait blessé, peut-être tué même un homme, il n’y avait qu’un pas. Backefelder n’était pas poursuivi et désormais, hors du cimetière, il aurait pu s’éloigner, gagner son domicile sans être le moindrement inquiété. Mais un désir impérieux lui venait de savoir ce qui s’était passé, et remontant la rue de Maistre, l’Américain revint dans la direction du pont Caulaincourt.