Le mariage de Fantomas (Свадьба Фантомаса) - Страница 50
La foule rebroussa chemin, remonta sur le pont Caulaincourt, mais elle ne le quitta pas, anxieuse. Elle se penchait sur le parapet du pont, pour tâcher de savoir ce qui se passait dessous. Quelques téméraires montaient sur les grands Xde fer, pour être aux premières loges.
Au premier coup de revolver, deux inspecteurs de la Sûreté, Léon et Michel, car les deux collègues continuaient leur surveillance depuis de longues nuits, s’étaient précipités de la cachette dans laquelle ils se tenaient. À la lueur de la poudre enflammée, ils avaient vu d’où le coup partait. Celui-ci avait été tiré à faible distance de l’endroit où ils se trouvaient. Il provenait de l’avenue de l’Ouest. Vraisemblablement du voisinage immédiat du caveau appartenant à la famille de Gandia. Michel et Léon s’étaient précipités. Soudain, Léon poussa un hurlement.
— Quoi ? demanda Michel.
— Encore les vêtements du fantôme !
Interdit, Michel s’arrêta. Mais soudain, il fit un bond en avant et, à son tour, poussa un hurlement de stupéfaction.
— D’autres, s’écria-t-il, en voilà d’autres !
Léon ramassa l’extraordinaire dépouille noire que l’on retrouvait nouvelle chaque fois et identique cependant aux précédentes, après toutes les manifestations du spectre, et regarda abasourdi la trouvaille de Michel. C’était un grand pardessus jaune, à boutons de nacre, et une casquette rayée de rouge. Mais les effets étaient, à la hauteur du bras, tachés de sang, de sang tout frais, presque tiède encore. Les deux hommes considéraient leur nouvelle découverte avec stupéfaction. Michel leva les yeux et vit, suspendues aux balustrades du pont, des grappes humaines qui suivaient avec le plus vif intérêt les recherches effectuées par les policiers. Michel, furieux, criait aux agents demeurés sur le pont :
— Faites-moi circuler tout ce monde-là !
Mais c’est en vain que les sergents de ville transmettaient les ordres. Léon avisa une échelle étendue sur le trottoir de l’avenue de l’Ouest, il l’appuya contre le pont et, grâce à elle, remonta, suivi de Michel. Il passa à travers les Xde fer, parvint sur la chaussée et la foule, devant eux, s’écarta : soudain, à la vue des vêtements qu’ils rapportaient, un cri de stupeur :
— Les habits du cocher John ! s’était écrié Mort-Subite.
Depuis quelques instants déjà, l’infortuné Coquard en était pour ses objurgations. Il avait cru un moment qu’il allait décider Delphine Fargeaux à quitter son séjour mystérieux, ce lieu sinistre, mais brusquement, la jeune femme qui s’était laissé entraîner vers l’extrémité du pont, avait rebroussé chemin et semblait en proie à une inexprimable émotion :
— Ce n’est pas possible, avait-elle murmuré. Mais oui, c’est lui !
Et Delphine Fargeaux désignait à Coquard, que la chose intéressait peu, l’élégant personnage qu’elle avait remarqué le fameux soir de la Maison d’Or, l’homme au sourire séduisant : le baron Stolberg. Delphine, le soir du fameux vol de la Maison d’Ors’était quasiment éprise de cet homme. Elle avait rêvé de sa silhouette martiale, de son attitude. Or, voici que par le plus grand des hasards elle le retrouvait sur le pont Caulaincourt, mêlé à la foule interlope qui grouillait, qui menait grand tapage autour de la trouvaille des agents de la Sûreté :
— Monsieur… commença Delphine Fargeaux.
Mais l’attention de ce dernier était captivée par une femme. Delphine Fargeaux la vit, et elle poussa un cri de colère.
Toute la clientèle de la Maison d’Or, décidément, semblait s’être donné rendez-vous ce soir-là sur le pont Caulaincourt. Et d’une voix qui tremblait, Delphine disait, désignant la personne à laquelle désormais s’adressait le baron Stolberg :
— La voleuse, l’Espagnole, la voleuse du restaurant !
Mais Delphine s’était tue. Elle chancela, poussée à droite, à gauche, obligée de reculer. Elle avait perdu de vue Coquard. Autour d’elle ce n’étaient que gens à mauvaise figure, à regards farouches. L’un d’eux, un grand diable qui venait de la bousculer, lui avait soufflé à l’oreille :
— Tâche de taire ta langue toi, et de cavaler d’ici et vivement, sans quoi…
Interdite, Delphine Fargeaux cherchait son interlocuteur, celui-ci avait disparu, mais un autre homme ajoutait :
— Et si jamais tu parles de l’affaire de la Maison d’Or, gare à ta peau.
Cependant, au milieu de la foule, le baron Stolberg – car c’était bien lui – venait d’apercevoir la Recuerda. Il avait entendu les propos tenus par Delphine Fargeaux, et ceux-ci n’avaient pas échappé d’ailleurs aux agents de la Sûreté qui se rapprochèrent de la Recuerda, et peut-être allaient-ils intervenir, quand l’Espagnole comprit ce dont il s’agissait ; elle eut peur, devint pâle. Un bras se passa sous le sien, un bras qui l’attirait. La Recuerda tout d’abord, résista, mais elle reconnut le baron Stolberg :
— Je vous emmène, fit-il à voix basse, vous n’avez pas un instant à perdre si vous ne voulez pas être arrêtée, venez.
— Mais qui êtes-vous ? Que voulez-vous ?
— Je veux votre bien, répondit le baron, qui ajouta : qui je suis ? regardez :
Et en même temps, l’homme du monde faisait miroiter sous les yeux de l’Espagnole la bague qu’il portait à l’auriculaire : c’était l’anneau qu’elle avait passé au doigt de ce personnage, à la Maison d’Or.
Interdite, troublée par les extraordinaires événements qui se succédaient sans qu’elle y comprît grand-chose, la Recuerda se laissa entraîner par le baron Stolberg. Tous deux firent quelques pas à pied, rapidement, puis, à un signe de son compagnon, une automobile de grand luxe surgit devant eux, le baron y fit monter la Recuerda.
— Où sommes-nous ? demanda l’Espagnole de sa voix redevenue calme.
La Recuerda s’était laissé conduire, et l’automobile avait roulé longtemps, puis s’était arrêtée dans une rue, ou pour mieux dire un boulevard fort large, mais très désert. Elle avait suivi son mystérieux ravisseur sous une voûte sombre, monté avec lui un escalier, et elle se trouvait à présent dans un petit salon tout garni d’épaisses tentures, meublé avec confort et goût.
Depuis le départ, le compagnon de la Recuerda n’avait pas prononcé une parole. L’Espagnole reprit, avec une nuance d’impatience :
— Où sommes-nous ? Je veux savoir.
Enfin, le baron Stolberg, se rapprochant d’elle et la fixant d’un air singulier, déclara :
— Vous êtes ici chez moi, dans mon appartement, à l’entresol. J’habite boulevard Malesherbes. Cette pièce est délicieuse, car on y est tranquille. Tout y est calfeutré de tous côtés. Il est impossible que le moindre bruit puisse être entendu de l’extérieur.
Que signifiaient ces étranges paroles ? Pourquoi cet homme insistait-il sur les qualités particulières de son appartement ? Soudain, elle tressaillit. Elle venait de regarder la main gauche de son hôte, et il lui semblait que celle-ci était tachée de sang.
— Vous êtes blessé ?
Le baron Stolberg, instinctivement, dissimulait son bras sous l’un des pans de son habit.
— Ce n’est rien, fit-il, ou peu de chose, c’est tout à l’heure évidemment.
La Recuerda, déjà, avait rapproché la blessure de cet homme des taches de sang que l’on avait remarquées quelques instants auparavant sur le pardessus jaune du cocher John.
Qu’était-il devenu celui-là ? Comment se faisait-il qu’on ne l’avait point retrouvé dans le cimetière ?
Plus elle réfléchissait, plus la Recuerda sentait grandir ses appréhensions. Elle se rendait compte que, depuis quelques jours, depuis quelques heures surtout, elle se débattait au milieu de choses incompréhensibles. Son interlocuteur, qui demeurait immobile devant elle, soudain l’interpella en souriant :
— Oh, oh, fit-il, d’une voix aimable, je ne m’attendais certes pas à un aussi gracieux spectacle. Continuez, je vous prie.
La Recuerda devint furieuse, et elle se rendait compte de ce qui lui valait ce compliment. La jeune femme, oubliant sans doute qu’elle n’était pas seule, venait de relever sa jupe et découvrait une jambe délicate, nerveuse, bien faite, moulée dans un élégant bas noir. Elle rougit, puis se redressant soudain, elle répliqua, alors que son interlocuteur lui demandait :