Le mariage de Fantomas (Свадьба Фантомаса) - Страница 49

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— Vous voyez, vous autres, que j’avais raison. John s’y connaît sans doute, et il me croit, lui.

Sans répondre directement au fossoyeur, le faux cocher poursuivait, et cette fois il s’adressa directement à Barnabé, le fixant d’un regard singulier :

— On cite, dit-il, des morts qui sont revenus, et cela se produit surtout lorsque ceux-ci sont enterrés de façon irrégulière ou criminelle. Oui, dans ces cas-là, les morts s’arrachent au repos pour venir troubler la paix des vivants.

Barnabé se sentait devenir blême, il se cramponna au comptoir de zinc et commanda, d’une voix tonitruante, qu’il voulait empêcher de trembler :

— Eh là, le tôlier, verse-moi un autre verre de schnick et fous-moi quelque chose qui gratte. J’ai le gosier en pente et rugueux comme une passoire.

Cependant Barnabé ne pouvait se distraire des sombres pressentiments qui le hantaient, car il lui semblait que les paroles du cocher John le concernaient directement. Il se souvenait en effet avec angoisse que les premières apparitions du spectre avaient coïncidé avec l’ensevelissement du cercueil n° 7, de la fameuse bière où devait se trouver la dépouille mortelle de Mercédès de Gandia et dans laquelle il n’y avait eu que du sable.

Malgré ses appréhensions et l’ennui qu’il éprouvait à parler désormais d’un tel sujet, Barnabé allait poser au cocher John de nouvelles questions, lorsque l’attention fut soudain attirée par l’arrivée dans le cabaret d’une nouvelle cliente, d’une femme. Celle-ci ouvrit brusquement la porte et lança un joyeux :

— Bonsoir, m’sieu dames.

— La Recuerda ! s’écria-t-on.

C’était en effet l’Espagnole qui pénétrait dans le bouge, elle était animée, souriante, ses beaux yeux noirs étincelaient.

Mort-Subite s’approcha d’elle, lui tendit sa grosse main velue, qu’elle serra cordialement.

— Voilà longtemps qu’on ne t’avait vue !

La Choléra insinua :

— Je croyais que tu t’étais fait poisser par les flics.

D’autres approuvèrent en souriant.

— Vous êtes des imbéciles, cria la Recuerda, on ne m’a pas comme on veut. Pas plus les flics que les autres.

Et, avec désinvolture elle s’approcha du comptoir, commanda une grenadine au kirsch, en disant à la cantonade :

— Il s’en trouvera bien un parmi vous pour me payer ce que je bois.

Fantômas s’était reculé et désormais considérait la superbe fille avec une extrême attention. Il observait son front, aux reflets bruns, aux lignes élégantes, et constatait que chaque fois que la Recuerda s’animait, une veine qui le traversait en biais de haut en bas, se gonflait d’un sang bleu, faisant comme une balafre.

Fantômas songeait perplexe :

— Ce n’est pas possible. Ce n’est pas possible. Pourtant il faut que je sache. Mais il importe pour cela qu’on m’obéisse. Oui, je réussirai.

Fantômas, alors, se rapprocha de la Recuerda et lui jetant un regard en coulisse il annonça simplement :

— C’est moi qui paierai pour toi ce soir.

Le grand Bec-de-Gaz s’était levé, il vint près du comptoir et d’une voix railleuse :

— N’empêche que chacun peut bien faire des boniments, dit-il, mais que nul n’a le culot de s’approcher du cimetière.

La Recuerda répondit méprisante, hautaine :

— Parbleu, vous n’êtes pas des hommes, ni les uns ni les autres. Tous, vous avez les foies.

On ricana autour d’elle, mais nul ne releva le défi. Soudain, cependant, une voix dominait le murmure confus qui régnait dans la salle.

— Moi, je n’ai pas peur, avait affirmé quelqu’un.

Ce quelqu’un c’était Fantômas. Et il insista :

— Et si quelqu’un me met au défi, j’irai tout seul, et tout de suite encore.

La Recuerda le regarda d’un air satisfait. Mais incrédule, elle lui lança :

— Pas possible, tu blagues.

— Quelles sont les conditions ?

— Oh, moi, fit Mort-Subite, qui n’aimait guère les paris d’argent, tu sais, nous autres, on est fauché. S’il s’agit de sortir du pèze, moi, je ne marche pas.

Fantômas le regardait :

— Vous avez pourtant l’air cossus les uns et les autres et je crois que depuis quelques jours vous êtes tous pleins aux as.

Ces propos déterminèrent une certaine stupeur dans l’assistance. Le cocher John avait touché juste. Les apaches, en effet, avaient de l’argent qui leur provenait du vol à l’esbroufe, si merveilleusement organisé par la Recuerda à la Maison d’Or. Pourquoi John parlait-il de cela ? N’était-il pas plus ou moins policier ?

— Pour me récompenser de traverser le cimetière, expliqua John,  je ne  demande  qu’un baiser  de la Recuerda.

— Ça, s’écria la Choléra, c’est jeté ! Voilà un homme s qui sait la manière de s’adresser aux femmes.

On applaudissait à l’attitude du cocher John, cependant que la Recuerda, tout heureuse d’être l’objet d’une démarche aussi flatteuse, rougissait de satisfaction.

— Entendu, déclara-t-elle, que John tienne sa promesse et je tiendrai la mienne.

Dix minutes après, la bande des apaches qui venaient de quitter le Picolo, s’acheminait silencieusement par petits groupes en direction du cimetière. Ils traversèrent la rue Caulaincourt, puis descendirent la rue de Maistre, qui longe le mur du cimetière. C’est par ce mur que le cocher John avait décidé d’entrer dans le cimetière, il devait en sortir de l’autre côté du pont, tout à côté de l’avenue Rachel. Mais, au fur et à mesure que l’on se rapprochait du point de départ de l’expédition qu’allait tenter le parieur, celui-ci semblait plus hésitant, moins décidé.

Avait-il peur ? On le plaisanta. La Choléra, insinua, méchante :

— On dirait que tu trembles, le collignon ?

Mais Fantômas, qui peut-être, jouait la comédie de l’émotion ou alors était réellement préoccupé, se roidissant, répliqua brutalement à la Choléra :

— La peur ? Connais pas.

Puis, se détachant du groupe et s’élançant comme quelqu’un qui vient de prendre une résolution, il bondit vers le mur, s’accrocha à sa crête, en gymnaste consommé, pour disparaître de l’autre côté.

— Ça, déclara Mort-Subite, c’est chic, c’est bien fait.

Les apaches avaient rebroussé chemin. John leur avait donné rendez-vous à l’autre bout du cimetière.

Une crainte indéfinissable s’emparait d’eux. Il était sinistre, ce pont mal éclairé par quelques vacillantes lueurs de becs de gaz, il était désert aussi, silencieux, plein de mystère. Et puis, enfin, sous le pont s’étendait cette grande tache uniformément noire, que l’on savait être la demeure des morts.

Les femmes, instinctivement, s’étaient rapprochées. La Choléra avait pris le bras de la Recuerda. Bec-de-Gaz chantait d’une voix mal assurée. Mort-Subite sifflait, faux. Quant à Barnabé, il grommelait des paroles incompréhensibles. Et soudain, les apaches s’arrêtèrent interdits. Sous le pont, une détonation venait de retentir. On avait tiré un coup de feu. Un autre retentit.

La troupe interloquée des rôdeurs se mit à courir, mais elle dut rebrousser chemin presque aussitôt. Des gens surgissaient de toutes parts. De l’escalier de l’avenue Rachel, de devant l’hippodrome, du bas du pont. Il y avait là, assurément, des agents en bourgeois, puis aussi, quelques fêtards, des demi-mondaines empanachées, quelques jeunes gens légèrement avinés, sortant des cabarets de Montmartre. On se retrouvait, en fraternisant sur le pont, les uns et les autres sans souci de leur classe sociale, s’interrogeaient :

— Que s’est-il passé ?

— Delphine, murmurait un jeune homme, qui n’était autre que Coquard, allons-nous-en, venez.

Mais Delphine Fargeaux – car c’était elle qui venait encore de passer la soirée dans un restaurant de nuit en compagnie du courtier, son adorateur perpétuel – ne lui répondit pas, elle tenait à voir, à savoir ce qui se passait.

Cependant que l’on essayait de descendre pour gagner le cimetière, les agents s’étaient interposés :

— En arrière, ordonnaient-ils, et circulez vous autres !

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