Le mariage de Fantomas (Свадьба Фантомаса) - Страница 48
En même temps un homme corpulent, un Français assurément, s’élançait dans la cellule, courait à Jérôme Fandor, cependant que deux gardes civils qui accompagnaient ce visiteur croisaient la baïonnette à la porte du cachot.
— Vous, patron ? répétait Jérôme Fandor, riant d’un rire de fou et n’en croyant pas ses yeux.
Le personnage, cependant, semblait aussi étonné que l’était le journaliste.
— Mais c’est à devenir idiot, faisait-il, je ne comprends rien à tout cela. Comment, c’est vous ? Vous, Fandor, qui êtes le prisonnier de ces religieux. Ah çà, bon Dieu, comment vous trouvez-vous là ?
C’était tout simplement Dupont de l’Aube, le sénateur, propriétaire de La Capitale, directeur du journal, auquel Fandor collaborait depuis de longues années.
Dupont de l’Aube était, en effet, – Fandor s’en souvenait à la minute – ambassadeur officieux de France, près la Cour d’Espagne. Ce n’était point, à vrai dire, le résident officiel chargé à Madrid de représenter la France, mais c’était le négociateur habituel de tous les traités commerciaux entre la France et l’Espagne. Comment Dupont de l’Aube avait-il été prévenu de la captivité de Fandor ? Comment Fandor était-il prisonnier à l’Escurial ?
Les deux hommes, bien entendu, aussi surpris l’un que l’autre, aussi émus peut-être, s’interrogèrent tout d’abord, dans une extrême confusion.
Puis Fandor mit rapidement au courant du sort tragique qui lui était réservé le directeur de La Capitale.
— Tenez, concluait Fandor, je me fais l’effet, patron, d’une souris prise au piège. Voilà huit jours que j’agonise sous l’Escurial et quand vous êtes arrivé, je me croyais bel et bien perdu. Vous allez me tirer d’affaire, hein ?
Dupont de l’Aube, pour toute réponse haussa les épaules :
— Mais naturellement, mon cher Fandor. Votre captivité n’est plus qu’une question d’heures.
Et le patron de Fandor, mêlant ses explications de quelques reproches, relatifs à l’imprudence dont avait fait preuve le journaliste en entrant à l’Escurial alors que Fantômas rôdait dans les environs, contentait à son tour la curiosité du journaliste.
— Tenez, Fandor, disait-il, vous l’échappez belle, savez-vous ? la juridiction de l’Escurial est en effet extraordinaire. Les subtils religieux qui en ont le bénéfice jouissent d’un privilège monstrueux. Je ne savais pas du tout et je n’aurais jamais su qu’un Français gémissait dans ces geôles, si je n’avais pas reçu par téléphone une communication anonyme m’avertissant de la chose. Bien entendu, j’ai fait immédiatement une petite enquête et en vertu de ma puissance diplomatique, j’ai pu arriver jusqu’à vous. Mais c’est de la chance.
— Est-ce un homme ou une femme qui vous a prévenu ?
— Une femme, je crois.
Et ce fut une illumination :
— La Recuerda. C’est la Recuerda qui m’a sauvé !
Au surplus, Jérôme Fandor ne s’attarda pas à causer avec Dupont de l’Aube. Maintenant que l’espoir lui revenait au cœur, il se sentait pris d’une hâte extrême d’être définitivement tiré des prisons de l’Escurial :
— Dites donc, patron, déclarait familièrement Jérôme Fandor, je suppose que vous allez vous dépêcher, hein ? je moisis ici, moi, vous savez si j’y reste encore une semaine, je finirai par sentir le renfermé. Comment allez-vous procéder pour obtenir ma grâce ?
— Rassurez-vous, mon bon, si les moines de l’Escurial sont farouches, ils sont avares aussi. Je vais immédiatement retourner à Paris, je peux avoir, ce soir encore, le train de luxe. Demain matin je verrai le ministre des Affaires étrangères. Il y aura échange de dépêches diplomatiques avec Madrid dans la journée. Demain soir j’aurai votre brevet de grâce en poche. Après-demain soir, au plus tard, je viens vous chercher ici.
— Ça ne sera pas dommage. Ah le ciel pur, les petits oiseaux, la liberté. J’en ai rudement besoin !
Plus bas, mais avec une rage concentrée, Jérôme Fandor ajoutait :
— Et j’ai besoin aussi de me venger, de me venger, terriblement.
20 – POUR UN BAISER DE LA RECUERDA
Au carrefour de la rue Lepic et de la rue des Abbesses il y a un café borgne mal noté de la police. Il est toujours fréquenté par une population interlope et il est pour ainsi dire impossible d’obtenir sa fermeture à l’heure légale. Sans cesse, ce bouge déverse dans la soirée, sur le trottoir, des individus abominablement ivres, qui font du tapage et du scandale, ou encore des groupes de gens qui s’insultent et se battent, jouent du couteau, ou même du revolver. En un mot, ce cabaret est le rendez-vous notoire des rôdeurs et des apaches du quartier.
Le tenancier de ce bouge l’a intitulé modestement Au Picolo. Mais ce titre n’est pas limitatif, et le patron, qui se prétend connaisseur, assure vendre à sa clientèle, pour la modeste somme de deux sous, les crus les plus appréciés de la Bourgogne, de même que les meilleurs bordeaux.
Ce soir-là, dans la petite salle enfumée de l’établissement, une bande de filles et de rôdeurs entouraient un grand diable qui, aux trois quarts ivre, pérorait en titubant. D’une main il se cramponnait au comptoir de zinc, de l’autre il faisait des gestes plus ou moins appropriés à une terrifiante description.
— Il sort des flammes de sa bouche et de ses yeux, il a une langue lumineuse, et on le voit dans trente-six endroits à la fois. Rien que de regarder sa figure ça vous donne l’idée qu’on va crever sur place et quand il veut disparaître, il s’entoure d’une espèce de fumée impossible à respirer.
C’était Barnabé qui s’exprimait ainsi. Le fossoyeur du cimetière Montmartre prononçait ces paroles avec un accent convaincu, et l’on comprenait qu’il s’agissait là d’une vision fantastique, d’un spectacle extraordinaire, dont il avait peut-être été le témoin – nul en effet n’avait de doute à ce sujet. Depuis plus d’une heure, dans la salle basse du Picolo, on s’entretenait du formidable mystère qui épouvantait tout Paris, du fameux fantôme du pont Caulaincourt.
La Choléra, qui était dans la bande, ouvrait des yeux hagards et buvait littéralement les paroles de Barnabé.
— Il me fout le trac, cet homme-là, murmura-t-elle. Si j’avais seulement reluqué la moitié de ce fourbi qu’il raconte, sûrement que je serais tombée en digue-digue.
Mort-Subite haussa les épaules :
— Comment qu’y cherre dans le mastic [13] ? déclara-t-il d’un air méprisant.
Mais Barnabé persistait :
— Aussi sûr que je suis là, déclarait-il, j’ai vu ce que je te dis. C’est un truc à terrifier les plus, costauds, j’ai pas les foies d’ordinaire, les morts et les cadavres ça me connaît, mais les choses surnaturelles et incompréhensibles, vois-tu, ça me dépasse.
Quelqu’un intervint, un consommateur demeuré à l’écart et qui, jusque-là, avait silencieusement écouté la conversation des apaches et les propos de Barnabé. C’était un homme vêtu d’un grand manteau jaune et coiffé d’une casquette rayée, dont le visage rasé écarlate s’ornait de favoris roux. On le connaissait pour l’avoir vu quelquefois dans les établissements interlopes de Montmartre : on l’appelait le cocher John.
Fantômas, qui se cachait sous ce déguisement, aimait à errer dans les bouges, à surprendre les propos des apaches qui les fréquentaient, à connaître ainsi leurs intentions, leurs sentiments. Il était si merveilleusement grimé qu’il était assuré de n’être pas reconnu, même de ceux qui avaient pu le voir sous son aspect véritable. Il est vrai qu’ils étaient rares.
— Le fossoyeur a raison, fit-il, et les manifestations du spectre du pont Caulaincourt sont de plus en plus extraordinaires. Il faut y croire et s’en méfier. À maintes reprises, des événements graves, des cataclysmes ont été annoncés par des apparitions semblables, et personne n’en a retiré profit, bien au contraire.
Fantômas s’exprimait sur un ton de gravité solennelle, et ses paroles tombaient comme un glas au milieu d’une assistance qui se faisait spontanément attentive. Barnabé triomphait. Il eut un large sourire et après avoir bu de nouveaux verres d’alcool, d’un trait, comme c’était son habitude, il affirma de sa voix enrouée :