Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель) - Страница 75
— Fort compliqué, en effet, monsieur le procureur.
Juve soudain s’arrêtait et prêtait l’oreille. Le haut magistrat qui s’entretenait avec lui écoutait également.
Dans les couloirs du Palais, tout au moins dans le couloir attenant au cabinet du procureur général, on entendait des bruits confus de voix, des pas qui allaient et venaient, et comme à cette heure d’ordinaire le Palais de Justice était désert, que même le concierge chargé du nettoyage des salles et des bureaux ne faisait jamais de bruit car, jusqu’à onze heures du matin, il se promenait en pantoufles, le haut magistrat éprouvait une véritable surprise.
— Quel est ce bruit ?
Le procureur ouvrit la porte, sortit dans le couloir et vit deux hommes qui parlementaient.
C’étaient le concierge du Palais et le sieur Jacquinet, gardien en chef de la prison.
M. Anselme Roche appela Jacquinet :
— Qu’est-ce qu’il y a ? Que voulez-vous ?
Le gardien s’approcha respectueusement, s’inclina devant le magistrat, puis répondit :
— Je demandais M. Pradier, monsieur le procureur général.
— M. Pradier ? reprit le magistrat, pourquoi donc ?
Le gardien, d’un air ennuyé, répliquait :
— Parce que j’avais à lui parler…
— À lui parler à cette heure-ci ? Est-ce donc bien urgent ?
— Oui, monsieur le procureur général.
— M. Pradier n’est pas là, il est parti, parti pour quelque temps même. Ne pouvez-vous pas me communiquer ce que vous aviez à lui dire ?
— Si, monsieur le procureur général, poursuivit le gardien chef, mais…
L’homme, en interrompant sa phrase, jetait autour de lui des regards inquiets. Le procureur comprit :
— Vous voulez être seul pour parler ? soit, venez dans mon cabinet.
Dans le bureau du procureur général, Jacquinet hésita encore à faire ses déclarations au magistrat, car il venait de s’apercevoir qu’une tierce personne qu’il ne connaissait pas se trouvait dans la pièce. Le procureur, prévenant tout scrupule, déclara :
— Vous pouvez parler devant monsieur, Jacquinet, je vous écoute.
— Eh bien, voilà, dit-il, M. Juve n’est pas rentré.
— Quoi ? fit le procureur général, abasourdi par cet incompréhensible préambule, et qui jetait les yeux précisément à ce moment sur Juve, qui n’avait pas bougé de son fauteuil.
Mais le gardien insista, précisa :
— Je lui ai ouvert sa cellule à minuit, comme c’était convenu et depuis…
Aux dernières paroles du gardien chef, Juve s’était levé brusquement, comme mû par un ressort. Le policier était devenu tout pâle ; quand au procureur général, il suffoquait.
— Expliquez-vous, précisez, que signifie cette histoire ?
L’excellent Jacquinet, lui aussi, devinait qu’il avait dû mal comprendre les ordres, ou qu’il avait commis quelque grosse bévue. Il se troublait de plus en plus, balbutiant d’inintelligibles paroles :
— Eh bien, fit-il, voici : hier matin, monsieur le procureur général, vous m’avez fait prévenir que j’aurais à exercer sur un détenu que l’on amènerait l’après-midi une surveillance toute spéciale, qu’il fallait à ce sujet m’entendre avec le juge d’instruction au sujet des précautions à prendre.
— C’est exact, reconnut le procureur qui, se tournant vers Juve, lui expliqua : nous attendions à ce moment l’arrivée du condamné de Louvain, vous savez qui je veux dire ?
Juve hocha la tête silencieusement, le gardien chef poursuivit :
— J’ai donc été trouver M. Pradier à trois heures de l’après-midi et il m’a dit ceci : « Alors comme ça, Jacquinet, c’est vous qui, en votre qualité de gardien chef, allez être chargé de la surveillance de l’individu extradé de la prison de Louvain, que les gendarmes amènent ici et qui sera sous les verrous dans une heure ou deux ?
« — Oui, monsieur le juge.
« — Savez-vous, m’a demandé alors M. Pradier, qui est ce prisonnier ?
« — Je lui cri répondu : « Oui, monsieur Pradier, je sais que c’est Fantômas. » « Bien, qu’il m’a dit alors, écoutez : vous croyez que c’est Fantômas ? Or, ce n’est pas lui, c’est un policier qui, provisoirement, a pris sa place pour des raisons que vous n’avez pas à connaître, et ce policier n’est autre que le célèbre inspecteur Juve. »
— Est-ce exact, monsieur le procureur général ?
— C’est exact, déclara le magistrat d’une voix tremblante, et M. Pradier ne vous a dit que la vérité jusqu’à présent.
Le gardien chef avait un soupir de satisfaction :
— Eh bien, tant mieux, fit-il, cela me plaît mieux, j’avais peur d’avoir fait une gaffe.
— Continuez, Jacquinet.
— Je continue, monsieur le Procureur… Pour lors, M. Pradier m’a dit : « L’extradé que l’on amène et qui passe aux yeux de tous pour être Fantômas, n’est donc autre que M. Juve. Comme il faut que tout le monde l’ignore, lorsque les gendarmes vous amèneront le détenu, vous le mettrez dans une cellule à part et vous le surveillerez en personne ; vous aurez l’air de faire la plus grande attention à ce prisonnier, car, je vous le répète, il faut que tout le monde soit convaincu que c’est bien Fantômas qui est enfermé sous votre garde. Toutefois, comme il s’agit de M. Juve, lorsque minuit sonneront, vous vous rendrez à sa cellule, vous lui ouvrirez la porte et vous le ferez sortir de la maison d’arrêt, et ceci dans le plus grand mystère, avec les plus grandes précautions. Il ne faut pas qu’on le voie, qu’on le sache, avez-vous bien saisi ? »
Sans doute, l’excellent gardien chef avait bien compris les subtiles recommandations du faux Pradier, et Juve et le procureur qui entendaient le gardien chef remémorer ces instructions de Fantômas avaient bien compris aussi.
Ah ! cette fois, l’audace du bandit et son habileté se manifestaient d’extraordinaire façon. Pourquoi diable le Roi du Crime avait-il donné un tel ordre au gardien de la prison ?
Oh, ce n’était pas difficile à comprendre, si l’on admettait pour un moment que Fantômas était l’homme des résolutions rapides, des décisions spontanées.
Lorsqu’il avait été pour ainsi dire cerné dans son cabinet, Fantômas s’était rendu compte que toute fuite était impossible, il avait compris que Juve, en allant chez le procureur, allait le démasquer et que d’un instant à l’autre on allait venir l’arrêter.
Or, Fantômas avait dû se demander ce qu’on ferait de lui si on l’appréhendait et conclure que vraisemblablement on l’enverrait en prison. Si donc il parvenait à s’échapper, ce ne pouvait être qu’après avoir passé par la prison.
Alors, une idée merveilleuse avait germé dans l’esprit du bandit. Il avait donné des ordres tels au gardien chef, qu’il avait réussi à se rendre plus libre en prison que partout ailleurs. Juve et le procureur comprenant enfin la ruse demeuraient consternés. Le procureur général se ressaisit et, s’adressant au gardien chef, il questionnait encore :
— Continuez donc, Jacquinet, dites-nous l’histoire jusqu’au bout, qu’avez-vous fait à minuit ?
Le gardien chef répliquait simplement :
— J’ai ouvert à M. Juve. Qu’auriez-vous fait à ma place ?
Juve, atterré, ne prononça pas une parole, il se serra la tête entre les mains. Le procureur général ne trouvait rien à dire non plus. Une pensée lui vint soudain et toute la rage qu’il contenait en lui-même jusqu’alors éclata :
— Mais, bougre d’imbécile, hurla-t-il en foudroyant du regard l’infortuné gardien qui reculait terrifié jusqu’au fond de la pièce, mais, bougre d’imbécile, vous ne vous êtes donc pas aperçu que le prisonnier que l’on vous a amené était le juge d’instruction avec lequel, une heure auparavant, vous veniez de vous entretenir ?
Le haut magistrat serait devenu subitement fou que Jacquinet ne l’aurait pas regardé avec plus d’ahurissement. Il écarquilla les yeux, stupéfait, ouvrit une bouche immense, resta quelques instants paralysé de stupeur.
Mais Jacquinet avait du bon sens et de la logique. Il se reprit, et, interrogeant à son tour, il observa :