Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель) - Страница 68

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Le mécanicien qui, grimpé sur la machine, une machine de forme préhistorique, apparaissait de temps à autre avec un visage noir de charbon, couvert de sueur et complètement affolé, répondait à la cantonade :

— Ce qu’il y a, nom de Dieu ? Ah, saloperie, je voudrais bien le savoir. Il y a que l’admission au tiroir est bouchée. La vapeur ne passe plus. Cré nom d’un chien. Justement aujourd’hui le feu tire merveilleusement. Si la soupape ne marche pas, tout à l’heure ça va sauter.

À la déclaration de l’homme de l’art, naturellement un recul sensible se produisit parmi ceux qui entouraient la locomotive.

Les deux gendarmes eux-mêmes tirèrent Juve par la manche :

— Venez donc, proposaient-ils, venez, prisonnier. Si des fois…

Juve haussa les épaules :

— S’il y a danger d’explosion, continuait toujours avec calme l’extraordinaire policier, qui de plus en plus paraissait oublier sa situation de prisonnier, il faut faire le nécessaire, mécanicien. Ouvrez une sûreté.

Et le mécanicien, rageusement répondit :

— Y en a pas sur ces vieux chaudrons.

— Alors, ouvrez le sifflet.

— Pour qu’on ne s’entende plus ?

— Mettez un linge mouillé autour de l’ouverture, ou dévissez votre dôme.

Juve parlait avec une telle autorité que le mécanicien, brusquement, sortit de la chaudière où il était à demi enfoncé.

— Tiens, fit-il, vous avez raison. Ma foi, je n’y pensais pas. Vous êtes donc du métier ?

Puis, considérant Juve, le voyant entre deux gendarmes, le mécanicien sursautait :

— Ah bougre, c’est vous qui venez de parler ?

Juve montra ses menottes :

— Ne faites pas attention à cela, si mon conseil est bon, suivez-le.

Le mécanicien fit oui de la tête, il dévissa en effet à l’aide d’une énorme clé le haut du sifflet. La vapeur dès lors put s’échapper. L’accident n’était plus à craindre. Son travail fini, d’ailleurs, il se tourna encore vers Juve :

— Des fois, faisait-il, si vous êtes du métier, vous ne voyez pas comment qu’on pourrait enlever la plaque de garde du tiroir ? Moi je ne connais pas ces machines-là.

Très aimablement, Juve s’avança, après avoir d’un regard sollicité la permission des gendarmes qui, complètement abasourdis par le rôle que jouait leur prisonnier, n’osaient guère intervenir.

— C’est très simple, affirma Juve, et il ne faut pas vous énerver comme ça.

Le policier, toujours suivi des deux gendarmes, et maintenant regardé par tous avec une admiration un peu étonnée, s’approcha de la locomotive, désigna quelques écrous au mécanicien stupéfait :

— Dévissez cela, mon ami. Vous allez immédiatement pouvoir sortir votre tuyau d’admission.

Mais le mécanicien n’en voulait pas savoir plus long.

— Ça va, vous m’expliquerez après.

Juve, lui, ne put s’empêcher de sourire, tandis que l’homme exécutait le travail qu’il lui avait indiqué.

— Décidément, pensait le bon Juve, il est utile de savoir un peu de tout. Voici maintenant que pour m’être amusé jadis à étudier le fonctionnement des locomotives, je peux donner des indications à un mécanicien de chemin de fer.

Mais Juve, quelques minutes après fronçait les sourcils. La plaque de garde enlevée, le mécanisme du tiroir sous le presse-étoupe devenait visible. Et brusquement, le policier s’écriait :

— Ah çà, mais qu’est-ce qu’on y a mis dans votre machine ? Qu’est-ce que c’est que cet encrassement ? Elle est sabotée, votre locomotive, mon ami.

— Ma foi non, monsieur, elle n’est pas sabotée plus qu’une autre. Ce que vous voyez là, c’est de la chaux, tout simplement.

— De la chaux protestait Juve. Mais, bon Dieu vous êtes fou, pourquoi y a-t-il de la chaux dans vos bouilleurs ?

— Parce qu’il y en a dans l’eau du réservoir.

Après un instant de réflexion cependant, le policier sembla renoncer à comprendre comment il pouvait y avoir tant de chaux dans la tuyauterie de la locomotive. Une autre préoccupation lui vint à l’esprit. Au fur et à mesure que le mécanicien travaillait, la foule des voyageurs : braves paysans, petits fonctionnaires, humbles bourgeois, se rapprochait de plus en plus de la locomotive en panne. Or, la vapeur fusait, il y avait danger d’accident, de brûlures. Juve de nouveau intervint :

— Dites-moi, messieurs les gendarmes, fit-il en se retournant vers ses acolytes de plus en plus stupéfaits par la conduite de leur prisonnier, dites-moi, vous ne trouvez pas qu’il y a danger à laisser tous ces braves gens s’approcher ainsi ? Vous devriez les faire circuler.

Évidemment, il fallait le beau toupet de Juve pour que, menottes aux mains, il osât de la sorte, donner des instructions à ses gardes. Les gendarmes, pourtant, ne se formalisèrent pas.

— Vous avez raison, prisonnier.

Et, étendant le bras, ils firent reculer tout le monde, laissant toutefois Juve demeurer près de la locomotive. Le policier, alors, s’accroupit pour examiner, après le mécanicien, la tuyauterie de la locomotive. Il n’avait pas commencé d’inspecter le mécanisme, que brusquement, il éclata de rire :

— Eh bien, dit-il, je comprends que la vapeur ne passe pas, regardez dans ce tuyau, mécanicien, vous allez voir qu’il y a quelque chose qui le bouche hermétiquement.

Le mécanicien, deux minutes après, se rendait compte que l’observation du prisonnier était justifiée.

— Ça va, fit-il d’un air satisfait. Maintenant que l’on sait ce qui arrête la machine, y en a pas pour longtemps.

L’homme s’arma d’une tringle de fer, l’introduisit à force, gratta, fourgonna. Au bout de quelques instants, l’objet malencontreux qui s’étant engagé dans la tuyauterie avait occasionné la panne, tomba sur le ballast. Il n’y avait là rien que de très ordinaire, et pourtant, Juve n’eut pas plutôt aperçu, tombé sur le ballast, l’objet qui avait formé bouchon à la circulation de la vapeur, qu’il pâlit, qu’il poussa un juron :

— Ah crédibidsèque, qu’est-ce que cela veut dire ?

Et, en dépit des étincelles, des morceaux de charbon incandescents qui tombaient des grilles du foyer, en dépit des jets de vapeur qui fusaient, au risque de se brûler atrocement, Juve se précipita, s’engagea sous la locomotive, alla ramasser quelque chose de brillant, de rond, de plat qu’il examina avec des yeux et une mimique d’extrême surprise.

Juve toutefois n’avait pas encore eu le temps de se relever que les deux gendarmes rappelés au sentiment des choses, intervenaient :

— Prisonnier, qu’est-ce que vous avez ramassé ? Qu’est-ce que vous mettez dans votre poche ?

L’inspecteur de la Sûreté prit un ton d’autorité pour répondre :

— Venez à l’écart.

Domptés par son air sérieux, les deux gendarmes le suivirent à quelque distance, cependant que dans la foule les commentaires montaient. Il semblait extraordinaire que ce fût un prisonnier qui commandât de la sorte à ses gardiens.

— Qu’est-ce que vous avez ramassé ?

Juve froidement, avec un sourire extraordinaire, tendit aux gendarmes, une médaille d’argent :

— Ceci. Vous savez ce que c’est, gendarmes ?

— Ma foi non. Pas du tout.

— Eh bien, messieurs les gendarmes, c’est une médaille de magistrat, une médaille de juge d’instruction. Parfaitement. Et si vous voulez prendre la peine de lire l’inscription gravée, vous pourrez lire le nom suivant : Charles Pradier. Ce qui arrêtait la locomotive tout à l’heure, c’est tout bonnement la médaille de magistrat du juge d’instruction de Saint-Calais.

— Mais, qu’est-ce que cela veut dire ? commença le brigadier.

— C’est incompréhensible, affirma le simple gendarme.

Quarante minutes plus tard, le train en détresse, à deux kilomètres de Bessé était enfin refoulé jusqu’aux quais de la gare. Force avait bien été à la direction de la voie de prendre cette mesure, à peine d’interrompre complètement la circulation sur la ligne Bessé-Saint-Calais. Or, le convoi n’était pas plutôt arrivé en gare de Bessé-sur-Braye, définitivement, sans panne cette fois, grâce à une locomotive de secours, que Juve, nerveux, rageur, obtenait de ses deux gendarmes l’autorisation d’être conduit auprès du commissaire chargé de la surveillance de l’embranchement.

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