Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель) - Страница 65

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Tout en nourrissant ainsi de funestes projets, le faux magistrat arrivait au Palais de Justice, avait pénétré dans son cabinet.

— Monsieur le juge, déclara en se levant, le brave commis-greffier Croupan, ils sont arrivés, ils sont là.

— Ils sont là ? qui donc, expliquez-vous, que diable !

— Mais, je croyais que vous le saviez, monsieur Pradier, ce sont les bandits de l’autre jour que l’on a rattrapés, vous savez bien, ceux qui, la nuit dernière, ont fait évader Fantômas, mais qu’on a fort heureusement pu arrêter.

— Bon, nous allons procéder immédiatement à leur interrogatoire.

Quelques instants plus tard, dans le cabinet du juge instructeur, au milieu duquel Fantômas, s’étant composé un visage impassible, siégeait avec la dignité convenable, deux gendarmes introduisaient ceux qu’ils avaient arrêtés la nuit précédente.

Fantômas leva les yeux sur les représentants de l’autorité, leur désignait de la main deux sièges, pour y faire asseoir leurs prisonniers.

Il parcourut des yeux le procès-verbal rédigé par l’un des deux gendarmes et, ayant achevé sa lecture, il commença son interrogatoire…

— Je résume les faits, commença-t-il :

« Les gendarmes ici présents, qui avaient pour mission d’amener à Saint-Calais un détenu confié par la police belge aux autorités françaises, ont été victimes d’un guet-apens, d’une attaque au cours de laquelle ils ont laissé échapper l’individu confié à leur garde, lequel s’est sauvé et n’a pu être repris, individu que l’on désigne, d’ailleurs, sous le nom de Fantômas.

« … Par contre, les deux gendarmes ici présents, s’ils n’ont pas pu rattraper leur prisonnier, se sont emparés des deux complices qui l’ont fait évader, et ils ont amené lesdits complices à Saint-Calais. Ce sont ces deux hommes qui se trouvent désormais en notre présence, dans notre cabinet de juge d’instruction. »

Ayant achevé, Fantômas leva les yeux sur les deux gendarmes et les considéra ; c’était qu’en effet le sinistre bandit avait soudain le pressentiment très net que les visages de ces hommes ne lui étaient pas inconnus. Assurément, ces gendarmes n’étaient pas des gendarmes ordinaires. Il avait vu leurs yeux quelque part, dans d’autres circonstances, et cependant qu’il les examinait, Fantômas avait l’impression que les représentants de la maréchaussée le considéraient aussi avec une insistance étrange.

Cependant, grâce à la disposition de son bureau, le faux magistrat se trouvait placé à contre-jour, tandis qu’au contraire les gendarmes étaient éclairés en plein visage. Fantômas, d’ailleurs, ne redoutait pas d’être reconnu. Il avait une telle habileté dans l’art du maquillage que rien du juge Pradier qu’il incarnait en ce moment ne ressemblait de près ou de loin au personnage de Fantômas qu’il était en réalité. Les gendarmes, d’ailleurs, ne sourcillaient point.

Soudain, Fantômas fit un faux mouvement et renversa son encrier.

Le commis-greffier se précipitait, réparant en hâte le désordre que l’épanchement de l’encre avait déterminé sur le bureau. Fantômas, une seconde, avait failli manquer de sang-froid. Il avait enfin reconnu les deux gendarmes qui se trouvaient en face de lui. Cela, il en était sûr. Ces deux gendarmes n’étaient autres que les deux agents de la Sûreté Léon et Michel qui, quelques semaines auparavant, s’étaient si activement acharnés à sa poursuite depuis Bruxelles jusqu’à Nantes et qu’il n’avait pu dépister à partir de Saumur qu’en commettant le crime auquel il devait désormais d’occuper la place où aurait dû se trouver le vrai Pradier, son infortunée victime.

Fantômas se demandait avec anxiété pourquoi ces inspecteurs étaient déguisés en gendarmes, comment il se faisait que des hommes aussi habiles qu’eux avaient pu se laisser arracher leur prisonnier par des gaillards aussi médiocres que Bébé et l’Élève ? Léon et Michel n’avaient-ils pas volontairement libéré l’homme qu’on extradait de Louvain et, dès lors, une fois de plus, le bandit cherchait à deviner quel pouvait bien être cet homme ?

Très sérieusement, à ce moment, Fantômas, qui sentait que la situation se compliquait de plus en plus, songea à s’enfuir brusquement. Il avait presque peur, il avait l’impression de se trouver au centre d’un énorme filet invisible dont les mailles, peu à peu, se resserraient autour de lui. Partir, sans doute rien n’était plus facile, mais que devenir ? Comment vivre ?

Une heure auparavant, le bandit, harcelé par les menaces de Bec-de-Gaz et de la Toulouche, leur avait remis les quelques centaines de francs qu’il avait sur lui, il était sans argent. Certes, au greffe, les deux cent cinquante mille francs repris à Rosa étaient à sa disposition en tant que juge, mais quel prétexte invoquer pour se les faire délivrer à l’instant même ? Et, d’autre part, il y avait encore pour lui cinq cent mille francs à toucher le lendemain, les cinq cent mille francs de la marquise de Tergall. Avec les bijoux rendus par le cadavre de Ribonard, et qu’il pourrait également retirer du greffe s’il en avait le temps, Fantômas aurait un million à sa disposition ; dès lors, il pourrait fuir, mais il fallait gagner quelques heures, attendre le lendemain. Coûte que coûte, il fallait arriver au lendemain. En l’espace d’une seconde, Fantômas avait envisagé la situation. Certes, elle était compliquée, presque inextricable, mais désespérée, non. Après tout, il avait l’avantage.

Certes, il ne savait pas à quelle fin Léon et Michel s’étaient déguisés en gendarmes, mais il les avait reconnus, tandis que les inspecteurs de la Sûreté n’avaient pas découvert que le juge d’instruction devant lequel ils amenaient leurs piètres captures n’était autre que Fantômas. Et Fantômas, jouant avec plus d’aplomb encore son rôle de magistrat, commença l’interrogatoire, sans plus s’inquiéter désormais des policiers :

— Vos nom, prénoms, qualité, domicile ? demanda-t-il, jetant un regard sévère sur Bébé.

Le jeune apache n’était aucunement ému de se trouver en présence de ce juge dont il ne redoutait rien (car Bébé avait une confiance aveugle dans le sinistre bandit qui incarnait pour lui la divinité du crime). Et Bébé, fier de montrer à Fantômas qu’il savait, à l’occasion, se conduire en homme intelligent, répondit, avec un profond respect, comme s’il se fût agi d’un véritable magistrat :

— Monsieur le juge m’excusera, mais j’ai jamais eu de parents, et on ne me connaît pas sous un autre nom que celui de Bébé. Vous pouvez mettre ça sur votre papier. Quant à mon âge, il doit varier entre huit et soixante-quinze ans.

Fantômas, poursuivant la comédie, s’adressa aux gendarmes :

— Vous n’avez pas d’autres renseignements sur l’identité de cet individu ?

Michel répondit :

— Ma foi, non, monsieur le juge d’instruction, il doit dissimuler son nom, et nous ne le connaissons pas.

L’interrogatoire se poursuivit, très précis en apparence, mais en fait, très vague. Fantômas menait adroitement son enquête, ne faisant dire à Bébé et à l’Élève que des choses sans importance. Il brûlait toutefois de leur poser une question : Qu’était devenu le mystérieux prisonnier qu’ils avaient fait s’évader de la gare de Connerré ? Il était douteux qu’ils eussent réussi à le tuer comme Fantômas l’avait recommandé, mais peut-être savaient-ils quel était cet homme, et pouvaient-ils fournir à Fantômas, tout en ayant l’air de répondre au juge d’instruction, des renseignements intéressants.

— Bébé, interrogea le faux juge, l’acte que vous avez commis ne me paraît guère excusable. Connaissiez-vous donc le prisonnier qu’emmenaient les gendarmes, que vous avez osé vous porter à son secours et que vous avez entrepris de lui faciliter sa fuite ? Répondez sincèrement et il vous sera tenu compte de vos aveux.

— M’sieu le juge, répondit Bébé en affectant un air hypocrite, mais en clignant de l’œil du côté de Fantômas pour bien lui faire comprendre qu’il fallait faire attention à ce qu’il allait dire, monsieur le juge, je vas vous parler en toute sincérité. Voilà l’histoire. Depuis quelques jours, on attendait un copain qui devait finir de tirer son temps à la prison de Chartres et on se disait : Il va revenir dans la région parce qu’il sait que nous y sommes. Précisément, hier soir, on était aux environs de Connerré et on parlait de lui lorsque tout d’un coup l’Élève me dit comme ça : « Regarde donc, Bébé, on dirait que c’est Julot. » « Julot ? que je lui réponds, et où donc ? » L’Élève, alors, monsieur le juge, me désigne un groupe de trois personnes et je reconnais en effet l’une d’elles qui ressemblait à notre ami Julot. Précisément, cet homme était en train de se débattre entre deux individus qui le maintenaient. Nous autres, sans réfléchir plus loin, quand on a vu qu’ils étaient deux contre un, on s’est porté au secours de l’isolé, d’autant plus qu’on croyait que c’était Julot. Or, voilà t’y pas qu’une bataille est intervenue. Ces choses-là, ça arrive sans qu’on s’en rende compte. On n’a pas résisté longtemps, l’Élève et moi, car on s’est aperçu tout d’un coup que les deux adversaires qui tombaient sur nous, ou si vous aimez mieux, sur qui on était tombé, c’étaient messieurs les gendarmes. Ils nous ont d’ailleurs arrêtés, et voilà toute l’affaire.

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