Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель) - Страница 59

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— Avancez, ordonnait rudement Charles Pradier.

Puis, il ajoutait :

— Gendarmes, laissez-nous.

Les gendarmes se consultèrent du regard, surpris.

— Monsieur le juge d’instruction nous renvoie ?

— Oui. Vous pouvez disposer, gendarmes. J’entends interroger seul ces individus.

Les gendarmes sortirent, abasourdis.

Plus abasourdis encore, étaient les deux prévenus : l’Élève et Bébé.

Or, les deux apaches n’étaient pas entrés dans le cabinet du juge d’instruction qu’ils s’étaient aperçus du premier coup d’œil, que le magistrat n’était autre que Fantômas. Le sinistre bandit les avait appelés de sa voix naturelle, de la voix de Fantômas. Bébé, le premier, pourtant, avait retrouvé son sang-froid.

Comme l’Élève le regardait avec des yeux ronds, une mimique si affolée qu’elle devenait explicite, Bébé souffla :

— Tais-toi, la ferme, jase pas, c’est des mistoufles qui vont s’expliquer.

Puis, les gendarmes sortis, Bébé devinant qu’alors on pouvait parler sans hésiter, apostrophait le juge d’instruction :

— Des fois, faisait-il, j’en suis comme deux ronds de flan, c’est bien toi, Fantômas ?

Fantômas haussa les épaules :

— Naturellement.

Fantômas affectait une grande cordialité :

— Oui, je suis curieux à mes moments perdus. Tu ne savais pas. Bébé ?

— Ah mince alors, sûr que je ne m’en doutais pas. Mais sacré bon sang, si t’es le curieux, c’est toi qui as fait coffrer tout le monde hier ?

Et la voix de Bébé s’était faite menaçante.

Pour Fantômas, sans le moindre embarras, il avoua :

— Oui, c’est moi qui ai fait coffrer tout le monde. Ça n’a pas d’importance, puisque je suis à même, par ma situation, de faire relâcher qui bon me semble.

— Eh bien, conclut Bébé, tout ça c’est des affaires qui me donnent les foies. On sait jamais ce que tu trafiques, Fantômas. T’es un costaud. Mais t’es un costaud qui fait peur. Vingt dieux, tu dis que tu peux relâcher tout le monde ? Alors qu’est-ce que t’attends pour nous renvoyer à la liberté, l’Élève, moi et les autres ? tu t’imagines pas que nous nous amusons en prison ?

— Bien entendu, vous ne vous amusez pas en prison. Et moi, Bébé, crois-tu que je me plaise davantage à faire semblant d’être magistrat ?

— Rien ne t’y oblige ?

— Tu crois ?

— Enfin, reprenait l’apache, qu’est-ce que tu vas faire de nous ? Je me doute bien, Fantômas, que si tu nous as fait coffrer, y’a des raisons pour.

— Probable. Eh bien oui. Bébé, si je vous ai fait coffrer, tous, hier soir, en effet, y’a des raisons pour. Je vous savais, d’abord, sous la surveillance de la Sûreté. Donc, si je ne vous avais pas arrêtés, vous alliez l’être. Or, être arrêtés par moi cela n’avait guère d’importance, tandis qu’être arrêtés par d’autres.

— Ouais. Ça fait très bien. Mais en attendant, j’aimerais bien jouer la fille de l’air.

Fantômas se leva :

— Tu vas la jouer.

Le bandit marchant vers le grand placard qui ornait le fond de son cabinet, prit en effet des formules d’imprimés, des ordonnances de non-lieu. Il en signa deux, l’une au nom de Bébé, et l’autre au nom de l’Élève.

— Écoutez, reprenait Fantômas, toisant les deux hommes, voici assez longtemps que nous causons pour ne rien dire alors que les minutes pressent. Vous êtes en ce moment bouclés tous les deux ? Si je le voulais, vous resteriez bouclés. Vous auriez beau crier en effet que je suis Fantômas, vous pensez bien que personne ne vous croirait ! Donc, vous ne pouvez rien contre moi. Alors que je peux tout pour vous. Vous êtes bien de mon avis ?

Bébé inclina la tête, l’Élève qui sortait seulement de sa stupeur profonde, demanda brutalement :

— Pourquoi nous dis-tu cela ?

— Pour vous inviter à réfléchir. Eh bien, mes enfants, je vais vous remettre en liberté. Mais à une condition : vous allez vous charger, l’un et l’autre, d’une mission qui demande énergie et vigueur.

— Je vois ce que c’est. Un tour de passe-passe ?

Mais Fantômas l’interrompit :

— Tais-toi, Bébé. Tu ne vois pas du tout ce que c’est, et il ne s’agit pas d’un tour de passe-passe. C’est beaucoup plus grave.

— Du raisiné ?

— Du raisiné.

Puis Fantômas expliqua :

— Écoutez-moi, les gars. Quand je me suis tiré des pattes de la prison de Louvain, il y a eu quelqu’un qui m’intéresse, qui y est entré à ma place.

— Malgré lui ?

— Cela ne vous regarde pas. Cet individu dont je n’ai pas à vous dire le nom, tout le monde croit naturellement que c’est Fantômas. Bien. Ce faux Fantômas on va l’extrader. Le conduire ici à Saint-Calais. Il va crier mon imposture.

— Mais alors, nom de Dieu, Fantômas. Toi, qu’est-ce que tu vas devenir ?

— Il ne faut pas justement que le faux Fantômas soit conduit ici. C’est-à-dire que toi, Bébé, et toi, l’Élève, vous allez vous arranger pour faire échapper le bonhomme, que l’on veut extrader et amener ici. Vous allez vous arranger pour le faire échapper coûte que coûte. Peu importe que vous soyez arrêtés, pourvu que vous ne le soyez qu’après avoir tué cet individu.

— Il faudra qu’on le tue ?

— Oui.

— Vilaine commission, Fantômas.

— Allons donc. Tu ne réfléchis pas à ce que tu dis, Bébé, qu’est-ce que vous risquez ?

— Ce que nous risquons, tiens, tu es bon. Si on zigouille ton individu et que nous soyons faits, c’est notre tête que nous risquons. Ni plusse ni moinsse.

— Imbécile, tu ne vois pas plus loin que le bout de ton nez. Je te dis, moi, que vous ne risquez rien. Quand même vous seriez arrêtés après avoir tué l’individu que je vous signale, il n’en résulterait rien de fâcheux pour vous. Arrêtés, on vous reconduit ici. Tu me comprends Bébé, ici à Saint-Calais ? devant moi, qui, bien entendu, m’arrange pour vous remettre en liberté.

Profitant encore une fois de sa qualité de juge d’instruction, le bandit avait fini par convaincre les deux apaches de la nécessité qu’il existait pour eux d’exécuter ses ordres.

Et Fantômas avait si bien manœuvré, si bien mis en œuvre tous les éléments de persuasion qu’il pouvait tirer de sa situation de magistrat, qu’après une heure de causerie, Bébé, tout comme l’Élève, étaient décidés à tuer l’ex-détenu de Louvain.

Fantômas-Pradier, avait donc signé une première ordonnance de mise en liberté, permettant aux deux apaches de partir pour exécuter la mission dont il les chargeait.

***

Fantômas, pourtant, le soir même de cette extraordinaire journée où il avait appris que Juve allait être extradé et ramené à Saint-Calais, où il avait trouvé moyen de parer à ce terrible danger en organisant l’assassinat du policier avec l’aide de l’Élève et de Bébé, arrêtés par lui la veille et remis en liberté à cette fin, Fantômas était inquiet.

Aussi bien un étrange événement venait de le troubler.

Fantômas sortant de table – il était pensionnaire de l’ Hôtel Européen– avait été fort surpris en effet en se coiffant de son chapeau, de s’apercevoir que ce chapeau pris au portemanteau s’enfonçait sur sa tête jusqu’aux sourcils. Comment était-ce possible ?

Tout naturellement Fantômas avait imaginé d’abord qu’il s’était trompé de coiffure. Mais un examen rapide l’avait convaincu du contraire. Il n’y avait point d’autre chapeau accroché au portemanteau et, de plus, les initiales C. P. « Charles Pradier », qu’il lisait sur la coiffe, le convainquaient, qu’il avait bien pris son chapeau et non un autre. Mais pourquoi n’était-il plus à sa taille ? Brusquement Fantômas blêmit en comprenant la cause de ce mystère. Quand il avait adopté la personnalité du malheureux Pradier, tué par lui dans le wagon de marchandises, Fantômas avait troqué ses propres vêtements contre ceux que portent le magistrat. Il n’avait toutefois pas changé de chapeau, gardant sur sa tête une casquette de voyage. Plus tard, arrivé à Saint-Calais, il avait pris tout naturellement livraison des bagages du mort dont il avait trouvé un récépissé d’expédition dans le portefeuille du véritable Pradier.

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