Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель) - Страница 58

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— C’est égal, il est joliment fort, M. Pradier, notre nouveau juge d’instruction, pour avoir découvert si habilement les voleurs de ce pauvre Chambérieux et du marquis de Tergall.

25 – L’INCOMPRÉHENSIBLE MANŒUVRE

— Vous m’avez fait demander, monsieur le procureur ?

— Mon cher juge d’instruction, je vous ai fait demander, en effet, et j’imagine que vous ne m’en voudrez pas de vous avoir dérangé. J’ai une bonne nouvelle à vous apprendre.

Le juge d’instruction Pradier sourit d’un air entendu et regarda le procureur :

— Mon Dieu, qu’allez-vous donc m’annoncer ? Aurais-je obtenu mon changement ?

Pour mieux rire à son aise, déjà M. Anselme Roche s’était rejeté en arrière, dans son fauteuil :

— Hélas non, quand Saint-Calais vous tient, il vous tient bien, mon cher Pradier. Et ce n’est pas encore aujourd’hui ou demain, je le crains, que vous ou moi nous obtiendrons du Garde des Sceaux une nomination plus agréable pour ce qui est de la résidence.

À la vérité, depuis huit mois qu’il occupait avec distinction les fonctions de procureur général près le Tribunal de Saint-Calais, M. Anselme Roche, ce n’était un mystère pour personne, avait multiplié les démarches pour obtenir son changement. Certes, c’était un magistrat convaincu, un magistrat de la bonne souche, de la vieille école, qui adorait son métier, qui conduisait son Parquet avec une indiscutable habileté, mais cela ne l’empêchait pas de se déplaire à Saint-Calais. Les récriminations continuelles qu’il adressait à la petite ville, la trouvant triste, potinière, sale, éloignée de tout, n’avaient pas été déjà sans amuser Fantômas qui, jouant de plus en plus habilement son personnage de juge d’instruction, avait feint de penser tout à fait comme son chef hiérarchique et de désirer lui aussi un changement rapide.

— Ainsi, monsieur le procureur, cette bonne nouvelle dont vous avez à me faire part, ce n’est pas le déménagement ? Qu’est-ce donc ?

— Non, sans doute, ce n’en est pas un pour vous, mon cher juge d’instruction, mais c’est tout de même un changement de résidence pour une autre personne. Allons, je ne vous ferai pas languir. J’aime autant vous annoncer tout de suite que je viens d’être avisé par la Chancellerie que l’ordonnance d’extradition concernant Fantômas va être exécutée.

Charles Pradier bégaya des mots sans suite, dans une extraordinaire confusion de pensée :

— Décidément, on va extrader Fantômas ? C’est certain ? Ah monsieur le procureur, comme je suis heureux, comme je suis content.

Mais, en réalité, tandis qu’il affirmait à son chef hiérarchique qu’il était enchanté d’apprendre que l’extradition de Fantômas allait se faire, Charles Pradier, en lui-même, s’interrogeait.

On allait extrader Fantômas :

— L’ordonnance d’extradition est signée, se disait-il. Donc, on va extrader l’individu qui a pris ma place à Louvain. Cet individu c’est Juve. Donc on va ramener Juve en France, à Saint-Calais. On va me l’amener devant moi. Par conséquent, mon imposture va être découverte.

Maintes fois en effet depuis qu’il était devenu, par un coup du hasard, juge d’instruction à Saint-Calais, Fantômas avait entendu parler de la fameuse ordonnance d’extradition précédemment prise par M. Morel, premier juge chargé du dossier et renvoyée à Paris, pour approbation de la Chancellerie. Jusqu’alors, cependant, Pradier s’était toujours refusé, et pour cause, à en presser l’exécution. Il apprenait aujourd’hui que d’autres s’étaient occupés de l’extradition et qu’elle allait avoir lieu sans qu’il pût rien faire pour l’empêcher.

— Figurez-vous, continuait M. Roche, que j’imaginais moi-même qu’il y avait un obstacle quelconque, un obstacle diplomatique par exemple, à ce que nous puissions obtenir l’extradition de Fantômas. Cette affaire en effet traînait depuis si longtemps que je n’espérais plus guère la voir réglée. Or, ce matin, ce matin même, je viens d’être avisé par la Cour que l’extradition nous était accordée. Je savais bien, monsieur Pradier, que vous seriez heureux de l’apprendre au plus vite.

— Très heureux, en effet.

— En tout cas, mon cher Pradier, quoi qu’il en soit, je tiens à être le premier à vous féliciter de la marche actuelle des événements. L’autre jour, vous avez fait preuve d’un incontestable esprit d’à-propos en saisissant les diamants, si extraordinairement tombés sur le cercueil de ce pauvre marquis de Tergall. Hier, vous usiez d’un plus grand esprit d’à-propos encore en faisant arrêter les individus qui se trouvaient à ce bal d’aspect louche, et que, grâce à votre flair de magistrat instructeur, vous deviniez immédiatement comme compromis dans les affaires de Saint-Calais. Votre conduite est d’une habileté qui confond.

— Vous me comblez, monsieur le procureur, vous me comblez. Certes, je me félicite moi-même quand je pense qu’en ce moment sont déposés au greffe, d’une part, les bijoux volés à la marquise de Tergall, d’autre part, le portefeuille contenant deux cent cinquante mille francs, saisi hier. Mais enfin, monsieur le procureur, je n’oublie pas que tout cela n’est rien au prix de ce qui reste à faire. Sans doute, j’ai pu amener l’arrestation de quelques comparses, mais ce n’est pas suffisant : c’est Fantômas lui-même qu’il me faudrait pouvoir convaincre de crime.

— Plaignez-vous donc, on vous l’amène, Fantômas.

— C’est vrai, monsieur le procureur. Quand pensez-vous qu’il arrive ?

Le procureur général eut un geste de doute et d’hésitation.

— Je ne sais pas. Vous n’ignorez pas plus que moi, mon cher Pradier, que les délais, en pareil cas, dépendent de la distance. La distance s’évalue légalement en myriamètres. Combien y a-t-il de myriamètres d’ici à Louvain ? Je vous avoue que je n’en ai aucune idée. Mais j’imagine que les choses vont aller à toute vitesse. Ne soyez pas trop impatient. D’ici quatre ou cinq jours vous aurez Fantômas dans votre bureau.

Terrible, Charles Pradier étendit la main comme pour un serment solennel :

— Eh bien, mon cher procureur, je vous assure que quand j’aurai Fantômas dans mon cabinet, je trouverai bien moyen de lui faire confesser ses crimes.

Pradier regagna son cabinet. Il en avait à peine fermé la porte sur lui, il était à peine seul dans la petite pièce claire que, pressant son front entre ses mains, il songea :

— Certes, à l’heure actuelle rien ne m’empêche plus d’abandonner Saint-Calais. Certes, si je le veux, je n’ai actuellement qu’à prendre au greffe, sous un prétexte quelconque, les bijoux et l’argent qui y sont déposés, puis à m’en aller. Mais, en réalité, ce serait bien dommage d’être réduit à fuir ainsi alors que, si je peux quelque temps encore demeurer à mon poste, celle qui se croit ma sœur, Antoinette de Tergall, va me verser cinq cent mille francs. Non, je ne dois pas m’en aller encore. Je ne dois pas fuir. Ce n’est pas encore l’heure. C’est bien le diable, d’abord, si je ne peux pas inventer une ruse qui me permette de parer aux dangers que représente pour moi cette ordonnance d’extradition si malencontreusement signée…

Fermant les yeux, le bandit imaginait la scène extraordinaire qui allait immanquablement se dérouler s’il laissait l’extradition suivre son cours. À la prison, c’était Juve qui avait pris sa place, qui était Fantômas. C’était donc Juve qu’on allait amener à Saint-Calais.

— Parbleu, je n’ai pas le choix des moyens.

En même temps, il appuya sur un timbre, la concierge du tribunal accourut :

— Monsieur le juge m’appelle ? s’informa la brave femme.

— En effet, madame, veuillez porter cette ordonnance au gardien-chef de la prison.

— Bien, monsieur.

Fantômas-Pradier d’un paraphe appuyé signa l’ordonnance d’interrogatoire.

La concierge disparut pour aller la faire exécuter.

Quelques minutes plus tard, sous la conduite de deux gendarmes, on amenait dans le bureau du juge d’instruction deux prévenus qui faisaient piètre figure.

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