Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель) - Страница 2

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— Voyez, répéta-t-il, estimez chaque pierre. Je vous préviens, en tout cas, que je ne descendrais pas au-dessous du prix de deux cent cinquante mille francs. J’ai besoin de cette somme et par conséquent…

— Bon, fit-il en se levant. Nous avons l’habitude de traiter ensemble, monsieur de Tergall, ce n’est pas la première fois que nous faisons affaire, nous agirons donc cartes sur table. Vous voulez deux cent cinquante mille francs ? Je vais vous dire si je puis vous les donner. Cela va me demander une dizaine de minutes. Ah, s’il vous plaît, où pourrais-je poser ces pierres ? il faut que je les sépare les unes des autres, et j’ai précisément apporté pour les étaler, un morceau de velours noir.

— Voulez-vous les étaler sur le lit ?

— Non, le jour ne serait pas bon.

— Sur une chaise ?

— Hum, ce serait bien petit.

— Attendez. Je vais débarrasser le marbre de cette commode, commença-t-il, et vous pourrez de la sorte… Au fait, ce n’est pas la peine ; nous allons ouvrir un tiroir, si vous le voulez bien, monsieur Chambérieux, vous pourrez y étaler votre velours, et y poser les bijoux.

— Et de la sorte, ils ne risqueront pas de tomber, monsieur de Tergall. Vous avez raison.

Chambérieux disposa les pièces de l’écrin à l’intérieur du tiroir de la commode, que le marquis passait une à une.

— Eh bien ?

Chambérieux était en train de songer qu’il allait faire une merveilleuse opération.

— Ma foi, monsieur le marquis, je suis fort hésitant. Deux cent cinquante mille francs. C’est votre dernier mot ?

— Mon dernier mot.

— Alors, nous allons dire que c’est une affaire conclue. Mais c’est bien pour vous faire plaisir. Deux cent cinquante mille francs, c’est une somme. Je ne dis pas que cet écrin ne les vaut pas, mais enfin je vais immobiliser un capital important, et dame…

— Bien, dit Tergall, vous avez l’argent, monsieur Chambérieux ?

— Je vais vous signer un chèque.

— Un chèque ? Non, je préférerais…

— Laissez-moi finir, je vais vous signer un chèque que vous allez toucher immédiatement.

— À Saint-Calais ?

— À Saint-Calais. J’ai fait envoyer, il y a huit jours, les fonds nécessaires à la Banque Roche.

— Mon Dieu, fit-il enfin, si les fonds sont disponibles et s’il ne doit pas y avoir de difficultés.

— Dites tout de suite que vous doutez de ma parole. Eh bien, calmez vos craintes, je vais rester dans cette chambre avec vos bijoux. Voici le chèque, allez le toucher immédiatement : je vous attends.

Maxime de Tergall, qui n’avait en réalité qu’une confiance très limitée en la parole de Chambérieux, prit son chapeau, glissa dans son portefeuille le chèque que lui avait tendu le bijoutier.

— Eh bien, puisque vous avez cette complaisance, monsieur, je cours à la Banque, je touche les fonds, et je reviens.

***

Vingt minutes après le départ du marquis de Tergall, Chambérieux, qui avait ramassé par terre le journal abandonné par son client, se mit à trouver le temps long.

Et comme il n’avait rien de mieux à faire, le bijoutier, indiscrètement, commença d’examiner les objets qui traînaient encore dans la chambre d’hôtel.

Son examen achevé, le bijoutier bâilla, lut pour la dixième fois, dans le journal qu’il tenait toujours à la main, le récit d’un assassinat.

Chambérieux, cinq minutes plus tard, se leva, alla considérer par la fenêtre l’aspect tranquille de la grand-place, puis tout naturellement revint vers la commode, désireux sans doute d’examiner encore les bijoux qu’il venait d’acheter.

Le bijoutier introduisit donc la clé dans la serrure du meuble, ouvrit le tiroir.

***

Maxime de Tergall sortit de la Banque et se dirigea vers l’ Hôtel Européen.

Or, le marquis avait à peine mis le pied dans la salle commune qu’il était profondément surpris par l’apparition de Chambérieux surgissant, apoplectique, de l’escalier.

— Eh bien ? cria le bijoutier, vous avez touché mon chèque ?

— Mais oui, pourquoi me demandez-vous cela ?

— Ah, monsieur le marquis, gémit l’hôtelier, M. Moutin, où avez-vous donc mis les bijoux ?

— Où ai-je mis les bijoux ? comprends pas, monsieur Moutin ?

Chambérieux s’avança vers lui, l’empoignant au collet et ne se contenant plus :

— Eh bien, je vais vous le dire, moi, cria-t-il, dans votre poche ! Vous les avez mis dans votre poche. Vous êtes une crapule. Rendez-moi mon argent !

D’une saccade, le jeune châtelain se débarrassa du bijoutier.

— Ah ça, vous devenez fou ? hurla-t-il à son tour, je ne sais ce qui me retient.

Mais M. Moutin s’interposa :

— Du calme, vous allez vous expliquer.

Et comme Chambérieux déboutonnait son faux col, M. Moutin ajouta :

— Figurez-vous, monsieur le marquis, qu’il y a dix minutes, en ouvrant le tiroir de la commode où paraît-il vous aviez enfermé vos bijoux, M. Chambérieux ne les a plus retrouvés, alors…

— Si ces bijoux ne sont plus dans le tiroir, parbleu, c’est que M. Chambérieux les en a retirés ?

Chambérieux suffoquait :

— Si les bijoux n’étaient plus dans le tiroir, dit-il, monsieur de Tergall, c’est que vous les avez subtilisés au moment ou vous vous en alliez. Vous avez touché mes deux cent cinquante mille francs. Je veux vos bijoux.

Le marquis de Tergall s’élança sur le commerçant. L’hôtelier perdant la tête, hurla :

— Allez chercher les gendarmes ! Allez chercher les gendarmes ! Ils vont se tuer !

2 – LE SECRET DU CONFESSEUR

— Mon cher Morel, disait le procureur, cela ne vous servirait à rien de vous lamenter. Les faits sont ce qu’ils sont et il convient de les prendre pour tels. D’après le rapport du lieutenant de gendarmerie que je viens de recevoir à la minute, il appert qu’un vol important a été commis à l’ Hôtel Européen. Ce vol, je vous le répète, paraît devoir être imputable, soit au bijoutier Chambérieux, soit au marquis de Tergall. Il faut tirer cette affaire au clair. Voici mon ordonnance, ou plutôt mon réquisitoire d’ouverture d’instruction. Allez.

Malheureusement, autant M. Anselme Roche était un esprit décidé, autant le juge était un esprit timoré.

— Mon Dieu, mon Dieu, monsieur Roche, répondit-il au procureur, comme c’est contrariant cette affaire, comme c’est contrariant. Quand je pense…

M. Roche ne voulut pas savoir ce que pouvait penser le juge d’instruction.

— Allez, allez, insista-t-il, dépêchez-vous, monsieur Morel.

Sur la place, déserte d’ordinaire, les groupes s’étaient rassemblés qui regardaient, avec l’intérêt passionné de gens avides de saisir la moindre distraction, la façade qui ne disait rien de l’hôtel où il s’était passé quelque chose.

M. Morel se sentit tout ragaillardi en constatant cette affluence.

— Montons dans la chambre du crime, proposa-t-il.

Le greffier arriva bientôt.

C’était un jeune homme maigre fort occupé à tirer de son greffe un maximum de rapport. Aussi bien, ancien clerc d’avoué, il ne cachait pas qu’il n’avait guère l’intention de demeurer toute sa vie à Saint-Calais. Greffier, magistrat, gendarmes, témoins, quelques minutes après, tout le monde était réuni dans la chambre

— Voyons, monsieur Chambérieux, demanda le magistrat instructeur, comment les choses se sont-elles passées ?

— De la façon la plus simple, monsieur le juge, répondit Chambérieux. Et d’ailleurs toute cette affaire est limpide. Nous avons fixé le prix de ces bijoux d’un commun accord, M. de Tergall et moi. J’ai payé M. de Tergall avec un chèque, M. de Tergall est parti le toucher. Il l’a touché. Avant de partir, M. de Tergall avait fait semblant d’enfermer les bijoux dans le tiroir.

Tergall déjà avait bondi.

— Monsieur le juge d’instruction ! hurla-t-il, je ne puis laisser passer de telles paroles. Je n’ai pas « fait semblant » d’enfermer ces bijoux. Je les ai effectivement placés dans ce tiroir. Par conséquent, s’ils n’y sont plus, c’est que la personne qui était dans cette chambre, la seule personne qui y était, les a pris.

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