Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель) - Страница 14
***
— De sorte, cher monsieur Chambérieux, de sorte que la bijouterie n’est pour vous qu’un prétexte à petites opérations financières ? Et le célibat qu’un moyen de posséder toutes les femmes qui vous font plaisir ? Hé hé, on ne s’embête pas en province.
Après avoir multiplié les courses et les démarches, Fandor était arrivé à joindre au Mans, le bijoutier Chambérieux. Il l’avait trouvé aplati, affalé, sur une chaise, derrière une petite table surchargée de soucoupes, au café du Grüber, place de la République, au Mans. Et Fandor avait immédiatement deviné, découvrant là celui qu’il cherchait, qu’il était fort possible que M. Chambérieux en effet connût « quelque petite femme… ».
— Chambérieux est au Grüber, s’était dit Fandor, ce doit être un farceur. Il se pourrait fort bien que j’aie touché juste en écrivant : « Cherchez la femme ».
Partant de ce principe, Jérôme Fandor qui connaissait à fond l’art de se rendre sympathique, avait trouvé immédiatement le moyen de devenir l’intime de Chambérieux. Il y avait toutes les raisons du monde pour que le gros bijoutier fît un mauvais accueil à Jérôme Fandor, mais Jérôme Fandor le salua, l’aborda avec une face si aimable, un sourire si prenant, une poignée de main d’une rondeur si parfaite, que Chambérieux tout de suite, se sentit en confiance. D’ailleurs, Fandor affectait de traiter le gros homme comme un esprit fort, dégagé de toutes les petitesses provinciales.
— Parbleu, disait le journaliste, qui venait de se présenter, je ne m’excuse pas d’avoir insinué que vous aviez une maîtresse ? Vous devez vous en moquer ? On n’est pas de bois, n’est-il pas vrai ? et même j’imagine bien que vous me ferez faire connaissance avec votre petite amie.
Ébouriffé par le bagout du reporter, Chambérieux s’était mal défendu.
— Enfin. C’est-à-dire. Mon Dieu…
Il avait bégayé quelques commencements de phrase, puis soudain, il s’était décidé, et tapant sur l’épaule de Fandor :
— Bien entendu, avait répondu Chambérieux, je vous présenterai quand vous voudrez. C’est une petite chanteuse, elle s’appelle Chonchon. Actuellement je l’ai fait engager à l’ Alcazar, mais je pense à lui faire abandonner les planches.
— Il y a longtemps que vous êtes avec elle ?
— Oui et non, deux ans. Seulement, ce que je me demande, cher monsieur Fandor, c’est comment vous avez pu savoir que j’avais une maîtresse ?
— On sait tout, dans notre métier.
— Vous comprenez, un quart de million, ça ne se trouve pas dans un cachet de quinine. Et puis maintenant, tout le monde sait, ici, après votre article, que j’ai une maîtresse. Ce que je cachais soigneusement.
— Naturellement.
— Et puis enfin, mon cher Fandor, toutes ces histoires-là, ça ne vaut rien pour mon négoce.
— La bijouterie ?
— Oh, ce n’est qu’une corde à mon arc, c’est surtout avec les opérations de banque que je fais un peu d’argent.
L’orchestre du Grüberécorchait toujours des valses lentes, il était minuit et demie, heure très tardive pour une ville de province, on rentrait les tables à l’intérieur du café, que Jérôme Fandor et Chambérieux causaient toujours.
8 – A L’ALCAZAR, L’HEURE DE L’APÉRITIF
— Un bock à l’as.
Après avoir annoncé la commande, le garçon se rendait au comptoir.
— Diable, pensa le consommateur, je ne me suis pas attiré l’estime du garçon, j’ai demandé la consommation la moins chère. J’aurais dû prendre autre chose pour me faire bien voir. Enfin, je m’en vais tâcher de réparer ma sottise en le gratifiant d’un pourboire royal. Mon vieux Fandor, tu mettras cela sur ta note de frais, car, n’oublie pas que tu voyages en ce moment, pour le compte de ton journal.
Le journaliste heurta d’une pièce d’argent le bord de la soucoupe, de façon à attirer l’attention du garçon. Celui-ci, émergeant soudain de l’office, s’empressa de rentrer dans la salle, mais loin de se diriger vers le journaliste, il alla à la table voisine et s’enquit avec un air aimable et une intonation respectueuse, de la commande qu’allait lui donner un consommateur à peine assis.
Celui-ci l’interpella familièrement :
— Écoute ici, Boum-Voilà, j’ai une soif terrible et j’ai tellement chanté à la répétition qu’il faut me retaper les cordes vocales. Tu vas me servir une purée bien tassée.
— Vous pouvez être tranquille, monsieur Marius, vous allez être content.
Le consommateur, un habitué évidemment et un artiste, s’étala sur la banquette, lança son chapeau sur une chaise, puis en attendant la consommation demandée, apostropha Fandor :
— Ces gaillards-là, déclarait-il, en désignant le garçon qu’il avait surnommé Boum-Voilà, ne sont pas mauvais, mais il faut toujours les avoir à l’œil, c’est chapardeur, ficelle et compagnie.
Fandor laissa parler le cabotin, estimant que le ronron de ses paroles constituait un bercement très favorable aux réflexions qui lui venaient à l’esprit, de même qu’à l’élaboration du plan de campagne qu’il méditait.
Le journaliste, au lendemain de sa rencontre avec M. Chambérieux, avait décidé qu’il était intéressant de faire la connaissance de cette fameuse maîtresse dont le bijoutier manceau semblait faire si grand cas.
Toutefois, Fandor avait refusé de se faire présenter à Chonchon par son seigneur et maître, il estimait que mieux valait, pour se former une opinion sur la demoiselle, faire sa connaissance sans attirer sur soi une attention particulière. Et, Fandor, après avoir erré tout l’après-midi dans les rues désertes du Mans, était venu s’installer avec toutes les apparences d’un bon désœuvré, à l’ Alcazar, à l’heure de l’apéritif.
Fandor, depuis une bonne demi-heure qu’il était installé à l’ Alcazar, regardait avec insistance le grand portrait de couleur représentant la vedette de l’établissement : la célèbre Chonchon, corps souple, voluptueux, que surmontait une ravissante tête de poupée inexpressive mais jolie.
À la table de Fandor, après quelques hésitations, les deux petites artistes que M. Jules avait accusées d’avoir démoli le piano, étaient venues s’asseoir timidement, elles se posèrent sur l’extrémité de leurs chaises, et, soudain, feignant de s’apercevoir que la table était occupée, se levaient brusquement, lorgnant Fandor, en déclarant très haut, de façon que toute la galerie puisse avoir une haute idée de leur tact et de leur savoir-vivre :
— On vous demande pardon, monsieur, on n’avait pas remarqué que vous étiez là, nous allons nous mettre ailleurs pour ne pas vous déranger.
Mais, Fandor, galant homme, ne voulut pas laisser partir ces dames.
— Restez donc, mesdames, au contraire, et permettez-moi de vous offrir quelque chose.
Fandor, du reste, faisait une folie qui ne lui coûterait pas bien cher.
La porte, du fond de l’ Alcazar, s’était ouverte sous une violente poussée, et une petite femme blonde, boulotte, emmitouflée d’un boa à longues plumes, était entrée en coup de vent. Elle annonça son arrivée, en lançant d’une voix fraîche, mais stridente et commune, un tonitruant :
— Bonsoir la compagnie.
Puis, à petits pas précipités, tournant la tête à droite et à gauche, pour s’assurer que les rares personnes se trouvant dans la salle, l’avaient bien remarquée, la nouvelle venue gagna le pied de la scène en fredonnant des paroles stupides, sur un air d’une sinistre vulgarité.
— Et voilà, ajouta-t-elle, ponctuant la fin de son refrain, de ce commentaire, et voilà le truc avec lequel je les emballe tous les soirs.
Un jeune homme, aux vêtements râpés, au visage blafard, avait surgi de derrière le piano :
— Veux-tu répéter, Chonchon ? demanda-t-il.
Et, sans attendre la réponse, il s’installa au piano, plaqua quelques accords.
Chonchon commençait à chanter, sans se préoccuper le moins du monde de la mesure. Mais, le pianiste se garda bien d’en faire l’observation à une vedette aussi notable que Chonchon, et de toute la rapidité de ses doigts déliés et nerveux, il s’efforçait de la rattraper :