Le Cadavre Geant (Гигантский кадавр) - Страница 81
Ellese trouvait sur la large avenue plantée d’arbres quimène en droite ligne de Grenoble au pont de Clais, avenuefréquentée pendant le jour, mais fort déserte lesoir, dont l’obscurité s’aggrave du manque deréverbères, et de l’épaisseur des branchesd’arbres qui forment, au-dessus de la route, une épaissevoûte de verdure.
C’étaitsur ce chemin que courait le notaire Gauvin.
Ilallait sans chapeau, à perdre haleine, fuyant, avec uneémotion indicible, son propre domicile.
Lasurprise qu’il venait d’éprouver était eneffet véritablement extraordinaire. Et il l’avaitressentie avec d’autant plus de violence, que ses intentions,au moment où cette surprise s’était produite,étaient fort loin d’être pures.
Gauvin,en effet, ne méditait-il pas de s’enfuir àl’étranger avec les plis et les valeurs que certains deses clients les plus fortunés lui avaient confiés endépôt ?
Lejeune notaire avait calculé, en effet, que s’ilemportait ce jour-là les valeurs dont il avait la garde, ilétait à peu près certain de partir avec deuxmillions au bas mot.
Celaavait déterminé sa décision, étant donnéque par suite de sa conduite déréglée, lenotaire Gauvin voyait péricliter sans cesse son étude.
Or,Gauvin avait tout préparé pour sa fuite, il avait régléune indigne mise en scène, pour faire croire qu’il sedonnait la mort, et laisser entendre qu’il venait d’êtrevictime d’un vol audacieux, lorsque tout d’un coup, ils’était aperçu que ce vol qu’il imaginait,étant lui-même son propre voleur, quelqu’und’autre l’avait commis en réalité !
Cettefois, Gauvin n’éprouvait plus le désir de fairecroire qu’il s’était suicidé, et n’ayantpas d’argent il ne pouvait pas s’enfuir.
Ausurplus, où serait-il allé sans la fortune qu’ilconvoitait ?
Dèslors, le premier mouvement de stupeur passé, Gauvin avaitdécidé de s’en aller tout simplement porterplainte à la police et de faire connaître le vol dont ilétait la victime.
Or,au moment précis où il prenait cette décision,Gauvin qui était alors dans son cabinet, avait entendu desbruits suspects, il en concluait aussitôt que le voleur n’avaitpas encore quitté son domicile. Pris d’une terreursubite, en même temps que d’un vif espoir de s’enemparer, Gauvin était sorti de son bureau, fermant la porte àclé, et désormais, allait chercher du secours.
Lessergents de ville sont rares à Grenoble, cité paisible,bourgeoise, et Gauvin n’ignorait pas que le commissariat depolice auquel il aurait dû s’adresser, se trouvait àl’autre bout de la ville.
Lenotaire ne voulait pas s’y rendre, étant d’ailleursà peu près convaincu que, si rapide que fût lapolice, elle n’arriverait pas assez tôt pour s’emparerdu voleur.
Ilvalait donc mieux faire procéder à une enquêteminutieuse et tâcher de découvrir le coupable par desprocédés moins radicaux peut-être que ceuxrésultant de l’arrestation immédiate, mais plustechniques, plus scientifiques.
EtGauvin avait songé tout de suite de s’adresser àJuve, dont il connaissait, par les journaux, la présence àGrenoble.
Aubout de dix minutes d’une course affolée, le notairearrivait haletant au Modem Hôtel.
Sansse soucier de l’effarement qu’il causait au portier quivoyait soudain en face de lui cet homme sans chapeau, couvert desueur et de poussière, Gauvin lui demanda :
— Lenuméro de la chambre de Juve ?
— Le132, articula le gardien.
Ilallait ajouter quelque chose et prévenir Gauvin que cemonsieur n’était pas dans sa chambre, mais le notaireavait déjà bondi dans l’ascenseur !
Augroom chargé de la manœuvre, il donnait le numérode la chambre de Juve, et l’ascenseur le hissait en quelquessecondes jusqu’au quatrième étage.
Untableau de numéros de chambre, placé sur le palier,bien en évidence, indiquait à Gauvin de quel côtése trouvait le 132.
C’était,tout à l’extrémité d’un couloir, unepièce assez vaste occupant l’angle du bâtiment.
— SiJuve n’est pas là, pensait Gauvin, je l’attendraijusqu’à ce qu’il revienne.
Lenotaire, entendant un bruit de voix dans le voisinage, appela levalet de chambre dans le but de se faire annoncer.
Lebruit de voix continua, augmentant sans cesse d’ailleurs, maispersonne ne répondit à l’appel de Gauvin, quialla frapper à la porte de Juve et n’obtint point deréponse.
Gauvinrevint sur ses pas.
Onparlait dans la chambre voisine au 134, et instinctivement, lenotaire prêta l’oreille, stupéfait par les proposqu’il entendait échanger.
Ilregarda par la fente de la porte entrebâillée et aperçutdeux hommes l’un en face de l’autre qui s’apostrophaient.
L’und’eux était le garçon de l’étage etce domestique opposait de violentes dénégations àun homme vêtu d’une robe noire que Gauvin reconnaissaitêtre un religieux.
Or,ce religieux, d’une voix pressante, articulait, s’adressantau garçon d’hôtel :
— Alors,comme ça, mon ami, tu t’appelles Sulpice ? C’esttrès bien, tout le monde ne s’appelle pas Sulpice ;c’est un beau nom confit dans la dévotion. SaintSulpice, je ne connais que ça… Eh bien, puisque tut’appelles Sulpice, tu vas me rendre un service…
— Mafoi, monsieur l’abbé, répliquait le valet dechambre, je ne demande pas mieux, que s’agit-il donc de faire ?
L’hommeen robe noire protestait, grommelait entre ses dents :
— Sacrénom d’un chien, je t’ai déjà dit de ne pasm’appeler M. l’abbé. Je ne le suis pas, quediable !
— Entout cas, repartait le garçon, vous en avez l’apparence !
— Pasdu tout, pas du tout !… hurla son interlocuteur, et c’estjustement ce qui m’assomme. D’ailleurs, cela ne teregarde pas, que je sois ou non un abbé ; voilà unbillet de cinquante francs, avec lequel, mon ami Sulpice, tu vasdescendre jusqu’au premier magasin de nouveautés etm’acheter un costume civil. Civil… entends-tu bien ?Une veste, un gilet, une culotte… Je ne veux plus porter larobe…
Sulpicesemblait hésiter.
— Àcette heure-ci, les tailleurs sont fermés…
Soninterlocuteur insistait.
— Fais-lesouvrir, débrouille-toi !
— Pourquoin’y allez-vous pas vous-même ?
— Sion te le demande, tu répondras que tu n’en sais rien. Entout cas, l’essentiel c’est que tu fasses ma commission.
Ilétait évident que la proposition que faisait au garçond’hôtel son étrange voyageur ne le satisfaisaitpas outre mesure.
Sulpicese gratta le nez qu’il avait fort long, passa ses doigts osseuxdans sa chevelure rousse, puis, tremblant de tout son corps, ilprenait une décision formelle et grave. Il rétorquad’une voix sourde :
— Toutça, c’est des combinaisons qui ne sont pas claires ;vous n’êtes pas un prêtre et vous en portezl’habit, vous voulez qu’on vous achète desvêtements civils et vous n’osez pas aller vous leschercher vous-même… Je ne suis pas rassuré !Dans les hôtels, il vient toute sorte de gens, et peut-êtrebien que vous êtes un malfaiteur ou quelque criminel quicherche à dérouter la police. Moi, je vais vous direune bonne chose : reprenez vos cinquante francs, et je m’envais aller prévenir la police qu’elle ait à venirvous rendre visite !
Sulpicetournait les talons, se disposait à quitter la pièce,il poussa soudain un cri étouffé. Le voyageur àla robe noire s’était précipité vers lui,le prenait par le bras, l’obligeait à rebrousser chemin,à s’asseoir dans un fauteuil.
— Ausecours ! commença le domestique terrifié.
Maisle voyageur lui imposait silence, d’un geste énergique.
— Situ prononces une parole, si tu pousses un cri dorénavant,sinistre imbécile que tu es, je t’étrangle de mespropres mains !
» Etmaintenant que te voilà rassuré, écoute-moi !
» Jete défends d’aller chercher la police, pour cette bonneraison que j’en suis ou tout comme. Toutefois, il y a unpolicier que je t’autorise à faire venir ici, et aubesoin même je t’ordonne d’aller lui demander devenir. C’est mon voisin de chambre, c’est M. Juve,l’inspecteur de la Sûreté qui m’attend !
— Quivous attend ? répliqua Sulpice hébété.