Le Cadavre Geant (Гигантский кадавр) - Страница 77
Assurément,Mme Verdon se faisait, à ce moment précis,le même raisonnement que le policier, car Juve l’entenditdemander aussitôt après le départ du serviteur,d’une voix étrangement angoissée :
— MonsieurMarcus, que m’avez-vous donc raconté ? Vousprétendiez être dans la montagne, or voici que vousrevenez de Paris ?
— Hélas,c’est vrai, j’ai menti !… rétorqua lavoix de Marcus.
Et,dès lors, il y eut un long silence.
Juve,à l’intérieur de sa cabane, était furieuxde se voir mal renseigné.
— Sije pouvais les voir, pensait-il, si je pouvais comprendre, àleurs gestes, à leurs physionomies, leurs intentions et leursattitudes, je suis sûr que je comprendrais ce qui se passe,alors que pour le moment je ne devine rien.
MaisJuve pressentait qu’il allait se passer quelque chose et,désormais, s’applaudissait d’avoir eu la patiencede rester à écouter les propos échangésau début de la conversation, et qu’il considéraitcomme étant sans importance.
Soudain,la curiosité de Juve se transforma en une profondestupéfaction.
Nettement,distinctement, le tuyau acoustique, si précieux dans lacirconstance, lui apportait jusqu’à l’oreille unmot, un nom que venait d’articuler le professeur Marcus.
Celui-ci,lentement, avait dit ce simple nom :
— Alice !…
Or,il semblait que ce gracieux prénom devait avoir une extrêmeimportance, une extraordinaire signification.
Eneffet, à peine Marcus avait-il dit : « Alice »,que Mme Verdon rétorquait d’une voixétranglée :
— MonDieu ! mon Dieu ! Que venez-vous de dire ? Pourquoiprononcez-vous ce mot ? Que signifie, monsieur ?…
Maisle professeur Marcus, d’une voix insinuante et douce,continuait, pour la plus grande satisfaction de Juve, qui ne perdaitpas un mot de ces paroles :
— Madame,disait-il, je vous ai peut-être trompé tout àl’heure, en vous disant que j’étais allédans la montagne, tandis qu’en réalité je metrouvais à Paris. J’ai dû faire ce voyageuniquement pour des motifs graves que vous connaîtrez bientôt.Je tenais à vous le cacher, pour des motifs graves également,car il est des émotions que je dois vous épargner !
— Monsieur !…Monsieur ! interrompait la vieille dame, au nom du ciel,dites-le moi ! Pourquoi donc avez-vous dit ce nom :« Alice » ?
Mais,dès lors, d’une voix vibrante, le professeur Marcusrétorquait :
— Parceque c’est votre nom, madame ! Parce que vous êtesAlice, parce c’est toi, que je te reconnais ! Parce quequinze années passées dans la séparation la pluscruelle et dans l’ignorance l’un de l’autre n’ontpas suffi à me faire oublier ta personne adorée etchérie, la femme que j’aimais le plus au monde !
Etc’était alors madame Verdon qui poussait ce cri :
— ÉtienneRambert !
Dèslors, les propos échangés par les deux êtres quis’entretenaient, se croyant sans témoin, au premierétage de la maison mystérieuse, parvenaiententrecoupés, hachés, aux oreilles de Juve.
Endépit de l’incommodité de la position danslaquelle il se trouvait, Juve demeurait immobile, l’oreillecollée au tuyau acoustique.
Ilapprenait des choses phénoménales ; le hasardvenait de le mettre sur une piste véritablement insoupçonnée !
— Ily a quinze ans !… Oui, quinze ans déjà !…Dieu que le temps passe vite, et que pourtant les heures sont longuesà qui veut les compter !
C’étaitMme Verdon qui s’exprimait ainsi. Ellecontinuait d’une voix lente et douce, scandant les mots,cherchant ses phrases qui semblaient se forger avec peine dans soncerveau :
— Ily a quinze ans !… Oui… faisait-elle, j’étaisencore jeune alors, j’étais la femme la plus heureuse dumonde, et aimée d’Étienne Rambert mon mari, mèred’un petit garçon qui déjà devenait unjeune homme, de Charles Rambert…
» Puis,au cours d’un voyage que faisait mon époux dans lescolonies, où il avait de gros intérêts,j’apprenais tout d’un coup que les malheurs les pluseffrayants s’étaient abattus sur ma tête.
» Monmari ne donnait plus signe de vie, il ne répondait plus àmes lettres, à mes dépêches ; puis un jour,oh ! ce jour fatal que je n’oublierai jamais, quelqu’un,un imposteur, se présentait devant moi et me disait :
» — Madame,à dater de ce jour, Étienne Rambert c’est moi !
» — C’estvous ? m’écriai-je, vous êtes fou, vous êtesun misérable !
» L’hommerestait, s’imposait, l’homme était un monstre,qui, après s’être emparé de mon mari,l’avoir fait disparaître, prenait sa personnalité,sa place, jusque dans le coin le plus intime de son foyer. Oui, cethomme voulait me persuader, à moi, à moi-même,qu’il était mon époux, que j’étaissa femme, qu’il était le père de mon enfant !
» J’aiprotesté, je me suis plainte ; puis, peu à peuterrorisée par la menace perpétuelle de cet homme, j’aivoulu, au lieu de me révolter, essayer de ruser avec lui.
» J’aifeint d’admettre la fable ridicule qu’il avait imaginée,et j’ai joué la plus atroce comédie qu’ilsoit possible à une honnête femme de jouer…
» Toutcela, c’était pour mon enfant, pour Charles Rambert, etje me disais qu’un jour on parviendrait à démasquercet imposteur, à le confondre aux yeux de tous !
» J’avaistoutefois, par moments, des révoltes terribles, et dèslors, exaspérée, je lui criais ma haine, en mêmetemps que je clamais mon désespoir.
» Alors,monsieur, alors mon ami, il s’est passé quelque chose deplus affreux que tout ! Ce misérable, voyant qu’ilne parviendrait jamais à faire de moi la complice de sonépouvantable subterfuge, et redoutant que la vériténe parvînt à se faire jour, me faisait enfermer dans unemaison de santé, déclarant que j’étaisfolle, et prétendant que ma folie consistait à ne pasvouloir reconnaître mon mari !
» Etje suis restée dix ans… oui, dix ans au cabanon !et cent fois pour une, ma raison a failli sombrer, dans lapromiscuité des fous !
Degrosses gouttes de sueur perlaient au front de Juve, cependant qu’ilentendait ce récit.
Ceque disait cette mystérieuse Mme Verdon, quivenait de reconnaître qu’elle s’appelait en réalitéAlice Rambert, n’était pas inconnu du policier.
Il yavait longtemps, quinze ans, que Juve avait été mis aucourant d’une semblable histoire ?
Certes,il n’avait jamais entendu parler de cette Mme Rambert,mais il avait connu, fort bien connu, l’enfant dont elledéplorait la perte.
Or,cet enfant, Charles Rambert, il vivait, il vivait toujours.
Juvele savait mieux que personne, Juve l’avait adopté, faitsien, il était devenu le compagnon de lutte de l’inspecteur,il avait avec lui vécu son existence aventureuse ; cetenfant, ce Charles Rambert, c’était JérômeFandor !…
Ainsidonc, Mme Verdon se trouvait être la mèrede Fandor, mais Juve était si abasourdi, si stupéfaitde ce qu’il apprenait qu’à deux ou trois reprises,haletant d’émotion, il poussait des cris inarticulés !
Juvecomprenait aussi ce que venait de dire la malheureuse femme àpropos de l’imposteur.
Etle policier blêmissait de rage, car il savait, il comprenait :l’homme qui avait dupé la malheureuse Mme Rambert,l’homme qui était venu la retrouver chez elle àbrûle-pourpoint, pour lui dire : « Je suisvotre mari », et qui, voyant qu’elle ne voulait pasadmettre cette fable, l’avait fait enfermer comme folle, cethomme-là, ce monstre, cet imposteur, c’étaitencore, comme toujours, le Génie du crime, le Maître del’effroi :
Fantômas !…Fantômas !… Fantômas !…
Juve,sans s’en rendre compte, avait quitté l’embouchuredu tuyau à laquelle jusqu’alors son oreille étaitrestée collée.
Ils’accroupissait au fond de la cabane de planches, se comprimaitla tête dans ses mains.
— Maisalors, se disait-il, le professeur Marcus se trouve en présenceactuellement de Mme Verdon, du moins de Mme Rambert ?L’homme qui l’appelle Alice et lui prodigue les plustendres paroles, serait donc son véritable mari, ÉtienneRambert, le père de Jérôme Fandor ?