Lassassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам) - Страница 83
Machinalement, l’Américaine, désireuse de connaître l’issue de l’aventure qu’elle avait provoquée, se pencha au dehors et fouilla l’obscurité de son regard inquiet. Sarah ne pouvait s’empêcher de songer :
— Cette femme est évidemment la maîtresse, tout au moins une des maîtresses de Dick. C’est indiscutable, c’est certain.
Et la jeune étrangère se sentait les yeux remplis de larmes.
Sans doute, la veille, lorsqu’elle était en tête-à-tête avec l’acteur et qu’elle s’efforçait de le décider à partir, immédiatement avec elle, elle avait fait la brave et prétendu qu’elle n’était aucunement jalouse, qu’elle ne redoutait rien, et que la concurrence d’une femme, quelle qu’elle fût, n’était pas faite pour l’inquiéter.
Mais en cela, Sarah s’avouait qu’elle avait exagéré, « bluffé », comme on disait dans son pays d’Amérique. Car, s’il est bon de ne pas montrer aux hommes que l’on tient à eux, à part soi, il est permis de reconnaître que l’on redoute à l’occasion la rouerie des autres femmes :
— Dick n’est pas libre, c’est sûr et il ne veut pas partir avec moi sans avoir rompu avec sa maîtresse. Que faire mon Dieu ? pensait la riche Américaine… je l’aime et je veux l’épouser.
Oh, elle n’était plus arrogante et positive la jeune et brillante Yankee !
C’était désormais simplement une femme, une pauvre femme, éperdue d’amour, qui ne savait que balbutier en pleurant :
— Dick, je vous aime, je veux que vous partiez avec moi.
La jeune fille referma sa fenêtre, car elle commençait à avoir froid, et rentra dans sa chambre à coucher. Elle demeura perplexe quelques instants.
Qu’allait-elle faire ?
Avait-on arrêté la mystérieuse personne qu’elle avait chassée de chez elle, ou avait-elle échappé à ses poursuivants ?
Tout d’abord, l’Américaine eut l’idée de sonner pour faire venir un domestique, puis elle y renonça, ne sachant que lui dire. Elle réfléchit ensuite qu’il valait mieux descendre elle-même au bureau, voir le directeur de l’hôtel et lui expliquer la situation.
Elle était terriblement anxieuse de savoir si, oui ou non, la fugitive avait été prise.
Mais un sentiment de pudeur et de délicatesse la retint. Il répugnait à Sarah de mettre ce gérant d’hôtel au courant de ses émotions et des préoccupations de sa vie privée.
Elle en était presque à regretter d’avoir fait un léger scandale, qui, peut-être avait déterminé l’arrestation de sa visiteuse.
Car, si tel était le cas, on allait évidemment venir lui demander des explications. Cette femme protesterait, exigerait d’être mise en liberté.
Que dirait Sarah ? Quels prétextes invoquerait-elle, soit pour s’excuser vis-à-vis de la femme, soit pour, au contraire, demander qu’on la maintienne en état d’arrestation ?
Plus elle y réfléchissait, plus la jeune fille déplorait son mouvement de nervosité, son acte irréfléchi.
Elle attendit longtemps, anxieuse et préoccupée, résolue désormais à ne pas descendre avant qu’on ne l’en priât.
Puis, au fur et à mesure que les minutes passaient, elle se prenait à espérer que la poursuite avait été vaine, et que l’inconnue s’était enfuie, sans avoir été rattrapée ; peut-être même les gens de l’hôtel n’avaient-ils pas jugé nécessaire de courir après elle ?
À onze heures et quart, Sarah Gordon se décida à se mettre au lit :
— Il n’y a rien, murmura-t-elle, et cette jeune femme s’est enfuie sans avoir été rattrapée, ma foi tant mieux.
Tandis qu’elle commençait à se dévêtir, l’Américaine remarqua ses malles déjà bouclées, toutes prêtes à être emportées.
— Hélas, dit-elle, je devais partir ce soir, partir avec Dick, et je suis encore là. Cette femme a tout de même obtenu ce qu’elle voulait, et, malgré moi, je suis restée. Mais je saurai lui montrer que j’ai de la volonté, et demain, oui demain, je serai loin d’ici.
Rien ne l’obligeait à partir, en réalité, et ce qu’elle désirait, c’était suivre Dick partout où il irait, mais il y avait des choses que l’on ne pouvait concéder. Sa résolution était prise. Sarah retournerait en Amérique, et d’ailleurs, en se couchant, la jeune fille pensait qu’après tout, cela valait peut-être mieux.
La jeune fille avait achevé sa toilette du soir, s’était couchée dans le grand lit de milieu qui occupait les deux tiers de la pièce, elle avait éteint les appliques électriques et ne conservait que la lueur falote d’une lampe en veilleuse. Et là, dans cette demi-obscurité, elle demeurait pensive, les yeux grands ouverts, incapable de s’endormir. Tout autour d’elle était silencieux. À peine percevait-on de temps à autre, très au loin, le roulement d’une voiture qui passait, ou alors le coup de sifflet d’une locomotive d’express qui déchirait la nuit. Et Sarah, peu à peu, commençait à s’assoupir.
Déjà, les contours de la pièce qu’elle occupait s’estompaient comme dans un rêve, devenaient flous et vagues, lorsque soudain, ses yeux s’écarquillèrent démesurément. Son regard se fixa sur la muraille en face d’elle, cependant que son cœur parut s’arrêter de battre :
— Qu’est-ce que c’est ? qui est là ? murmura la jeune fille.
Une vision stupéfiante apparaissait :
Il sembla à Sarah que les grands rideaux qui dissimulaient la porte de son cabinet de toilette venaient de s’agiter.
Puis, une ombre, une forme humaine, s’en détachait lentement, s’avançait vers elle, semblant glisser sur le sol.
Était-ce un homme ou une femme ? L’apparition était difficile à définir, car elle ressortait en noir, sur fond sombre.
Et, cependant, faiblement éclairés par la lampe en veilleuse, les formes de cette ombre, peu à peu se précisaient.
Sarah distinguait le contour épais de deux robustes épaules, sur lesquelles était drapé un long manteau descendant jusqu’au sol. Entre ces deux épaules, il y avait l’esquisse d’une tête, mais d’une tête dont les traits étaient eux-mêmes voilés de noir.
Puis, Sarah, de plus en plus impressionnée, n’osant faire un mouvement, remarqua que, du côté droit de l’ombre, se détachait la forme d’un bras qui se tendait vers elle, et soudain, l’acier d’une arme brilla à la main également gantée de noir de l’apparition.
Sarah étouffa un cri, et brusquement, comme mue par un ressort, elle se dressa à demi dans son lit. Puis elle voulut se lever, fuir, chasser de sa vue le fantôme effroyable. Mais un ordre formel l’immobilisa sur place, au milieu de sa couche.
— Pas un mot, pas un geste, ou c’est la mort !
Et Sarah entendit le claquement sec d’un revolver.
Son sang se glaça dans ses veines, mais elle crut comprendre ce qui lui arrivait : elle allait être victime d’une agression, et, à la tenue terrifiante du personnage qui se présentait devant elle, elle pensait reconnaître quelqu’un de ces hardis voleurs, de ces audacieux bandits que l’on connaît et que l’on redoute sous le nom de « rats d’hôtel ».
Oui, il n’y avait pas de doute, c’était un rat d’hôtel qui venait de la surprendre, qui, vraisemblablement, allait la dépouiller. Sarah, malgré sa terreur subite, conservait néanmoins son sang-froid. N’était-elle pas Américaine, et de ce fait, moins pusillanime que les autres femmes ?
Elle essaya de se raisonner :
— Les rats d’hôtel, pensa-t-elle, ne tuent que lorsqu’ils y sont obligés par les cris ou la défense de leurs adversaires. Ce qu’ils veulent, ce sont des bijoux, de l’argent, et si on les laisse voler, ils s’en vont sans faire de mal.
C’était du moins l’idée que Sarah s’efforçait de faire pénétrer dans son esprit. Obéissant aux ordres qui lui avaient été intimés, elle ne fit pas un geste. Toutefois, lorsqu’elle put enfin refréner le claquement de ses dents, elle balbutia :
— Si vous voulez de l’argent, des bijoux, prenez-en et partez. Là, à droite, dans le petit coffret, sont mes bagues, mon collier.
Mais, elle fut interrompue par un ricanement diabolique et strident.
Et la voix du mystérieux personnage qui se trouvait devant elle, la menaçant toujours de son revolver, retentit de nouveau :