Lassassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам) - Страница 8
— Naturellement, monologuait-il, ‘turellement que ça devait arriver ! Ah bien ça, c’est plutôt farce ! Je m’en va zyeuter le spectacle sans payer ma place. Seulement, qu’est-ce qu’ils peuvent bien fiche ici ? C’est tout à fait rigolo. Heureusement que je ne vais pas être reconnu.
Or, au moment même où l’individu semblait s’affirmer qu’il ne pouvait pas être reconnu, le conducteur le fixa de ses yeux ardents.
— Bouzille ! appela-t-il.
Le mendiant sursauta.
— Bon, voilà le café qui se gâte…
Mais tout de même, il s’empressa d’accourir :
— Qu’est-ce que vous voulez, mon bon monsieur ?
Or, en parlant, Bouzille, car c’était bien Bouzille, ce mendiant, l’inénarrable chemineau qui avait vécu tant de fantastiques aventures et promené sa perpétuelle bonne humeur au sein des pires catastrophes, Bouzille, pâlissait, blêmissait, prenait un air sérieux.
— Ah pardon, je ne vous avais pas reconnu, patron. Comment c’est vous, Fantômas ?
Fantômas qui portait la casquette des mécanos, la veste de cuir, Fantômas, dont les joues noires de cambouis étaient embroussaillées d’une fausse barbe mal faite, ne tressaillit même pas :
— Oui, c’est moi, Bouzille ! Que fais-tu là ?
— Mais je me promène, je regarde les oiseaux.
— Tu espionnes, Bouzille ?
— Et quoi donc, patron ?
La candeur de Bouzille était évidemment feinte et Fantômas ne s’y trompait pas. Pourtant telle était l’audace du bandit qu’il ne paraissait nullement ennuyé d’avoir été identifié par Bouzille et nullement inquiet de voir rôder autour de lui cet étrange personnage qui, certes, était connu dans la pègre, y était même estimé, apprécié, mais qui, enfin, s’était toujours refusé à entrer définitivement dans la bande dont s’entourait le terrifiant criminel.
— Bouzille, ordonna Fantômas, tu vas nous prêter la main.
— Ouais ? Et pourquoi faire ?
— Tu crieras.
— Je crierai ? demanda-t-il. Et quand ?
— Tu le verras bien.
Déjà, le redoutable conducteur de l’autobus avait fait le tour du véhicule, il inspectait le quai dans la direction de l’Hôtel de Ville.
— Attention, recommanda-t-il encore, et dépassant les mécaniciens qui faisaient toujours mine de s’affairer à la hauteur des roues arrière, il revint à l’intérieur de la voiture où était demeuré l’homme qui, quelques instants auparavant, se trouvait à côté de lui sur le siège.
— Tu es prêt, interrogea Fantômas ? Ton chapelet est disposé ?
— Vous bilez pas, patron. Oui mon chapelet est prêt, et j’ai même dans l’idée comme ça, que les prières vont faire du tapage.
Mais Fantômas n’écoutait plus. Dépassant l’arrière du véhicule, il avait rapidement remonté sur le trottoir et avisant Bouzille qui, accoudé au parapet s’inventait un jeu nouveau consistant à cracher le plus loin possible :
— Bouzille.
— Patron ?
— Vois-tu ces deux plombiers là-bas ?
— Oui, patron.
— Tu vas aller les trouver, tu leur diras de ma part : Attention !
Bouzille ouvrit les yeux ronds, gonfla les joues, tira de sa poche un mégot qu’il se mit à chiquer, puis les yeux toujours sur Fantômas, il questionna :
— Ce sont des aminches ?
— Va, répétait le bandit, dépêche-toi ! L’un est Tête-de-Lard, l’autre, c’est La Carafe.
Bouzille se décida.
Il se dirigea vers deux ouvriers vêtus de la veste bleue des plombiers, portant en bandoulière le sac de cuir et qui, survenus là depuis quelques minutes, ne semblaient même pas avoir regardé dans la direction de l’autobus.
Bouzille les considéra curieusement puis, les frôlant presque, renifla très haut et très fort pour attirer l’attention.
— Eh, murmura-t-il en même temps, voilà l’instant, gare la casse !
Cela fait, Bouzille sans s’arrêter auprès des deux hommes, continuait son chemin et semblait s’absorber dans la contemplation des partitions de musique étalées en désordre dans les casiers d’un bouquiniste.
Bouzille, d’ailleurs, paraissait s’amuser infiniment. Il avait été certes violemment ému en reconnaissant Fantômas et ses principaux complices auprès de l’autobus arrêté, mais, déjà le calme renaissait en son âme de philosophe.
— Moi, murmurait Bouzille, je suis comme Absalon, ou plutôt non comme un autre. Enfin. Je ne sais pas, je m’en lave les mains.
Bouzille interrompit ses réflexions pour prêter l’oreille à un dialogue engagé tout près de lui. Le bouquiniste jusqu’alors, sommeillait sur une chaise, attendant l’heure où, chaque soir, renonçant à la venue d’un hypothétique client, il se décidait à fermer ses boîtes ; or, une main s’était posée sur son épaule, un bonjour cordial l’avait réveillé.
— Comment allez-vous, père Cornélius ? Et les affaires ?
— Les affaires vont comme moi, très mal.
— Plaignez-vous donc, on vous installe l’électricité.
C’était cette dernière phrase qui avait attiré l’attention de Bouzille.
Celui qui la prononçait, un tout jeune homme au visage soigneusement rasé, à l’air intelligent, aux yeux vifs et remuants, l’accompagnait en effet d’un grand geste, désignant les deux plombiers, les deux soi-disant plombiers plutôt, auxquels Bouzille venait de communiquer l’avertissement de Fantômas.
— Vous avez vu, continuait l’inconnu, qu’est-ce que c’est que cela ?
— Je ne sais pas, ma foi.
Le jeune homme montrait alors les deux ouvriers qui déroulaient au travers du quai un long câble d’acier qui brillait à la lueur des réverbères que l’on commençait à allumer et qui apparaissait bien un câble électrique, en effet.
— Je ne sais pas, répondait le père Cornélius, je ne sais pas, mais je m’en moque, ce n’est toujours pas cela qui fera vendre ma musique.
Le brave homme paraissait en grande intimité avec celui qui l’entretenait, car il continuait d’un ton familier :
— Et vous, êtes-vous content du moment ? Devenez-vous millionnaire ?
— Pas très vite !
— Pourtant, vous avez bien du talent. Ah nom d’un chien !
Abandonnant sa chaise et s’étirant à la façon d’un homme qu’une longue immobilité a engourdi, le bouquiniste répétait avec conviction :
— Ah vous avez bien du talent ! Tenez, je me rappelle quand vous jouiez le fameux drame. Vous savez le crime…
Soudain, le bouquiniste éclata de rire :
— Tenez, figurez-vous une chose, reprenait-il. Depuis ce jour-là, je n’ai jamais mis les pieds dans un théâtre. Ah ! quand vous aurez des billets…
— Des billets, père Cornélius, tout le monde m’en demande. Hélas, je n’en ai pas beaucoup, et puis, je ne suis plus là-bas, j’ai changé de théâtre.
— Ah bah ! et où êtes-vous donc ?
— Au Théâtre Ornano.
— Oui, oui, je connais, à la Fourche de la rue Clignancourt, pas vrai ?
— Tout juste.
Le bouquiniste souleva sa calotte noire, gratta son crâne chauve, puis demanda :
— Dites donc, rappelez-moi donc votre nom ?
— Dick, père Cornélius.
— C’est vrai, monsieur Dick. Parbleu, je vous connais bien, mais j’oublie toujours comment vous vous appelez. Pourquoi diable que vous avez choisi ce nom-là ? C’est pas un nom de chrétien, c’est presque un nom de chien.
Or, à la remarque du bonhomme, le jeune homme avait éclaté de rire :
— C’est un nom anglais, père Cornélius, répondit-il, et je l’ai pris parce qu’il fait bien au théâtre ! Voyez-vous, quand on est acteur comme moi, la question du nom a une grande importance. Dick, cela se retient, cela sonne.
— Mais pourquoi n’avoir pas pris un nom français ?
— Affaire de mode, père Cornélius. Les Français prennent des noms anglais et les Anglais des noms français.
Tandis que le jeune acteur du Théâtre Ornanos’entretenait ainsi avec le père Cornélius, Bouzille, qui d’abord avait écouté avec intérêt leur conversation tant qu’elle avait eu trait à Tête-de-Lard et à La Carafe, les deux apaches amis de Fantômas, avait cessé d’y prêter la moindre attention.
Bouzille n’avait plus d’yeux que pour les gens de l’autobus qui demeuraient toujours groupés autour de leur véhicule, et aussi pour Tête-de-Lard et La Carafe qui, après avoir étendu sur le sol, au travers du quai, un long câble d’acier, éparpillaient maintenant en tous sens leur boîte à outils comme à la recherche d’instruments de travail.