Lassassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам) - Страница 76
— Ma vengeance commence. D’abord celle-là, les autres après.
Fantômas arrivait près de la guillotine. Comme un bourreau véritable, le Maître de l’Effroi faisait tomber le couperet de l’instrument de supplice.
Quelques secondes passèrent. Puis soudain des hurlements effroyables retentirent de toutes parts.
Les artistes qui entouraient la guillotine avaient distraitement regardé la scène à laquelle ils étaient accoutumés, mais au bout d’un quart de seconde les uns après les autres avaient compris ce qu’ils venaient de voir malgré eux. Et voici que, tandis que certains poussaient des cris épouvantables, d’autres s’évanouissaient, s’enfuyaient en courant. Dans la salle on applaudissait à tout rompre.
— Ce que c’est bien imité, disait-on.
Puis cet enthousiasme brusquement se changea en terreur et une panique indescriptible éclatait dans l’assistance.
— Du sang, du vrai sang, hurlèrent les spectateurs des premiers rangs.
Il n’y avait pas à en douter, ce n’était point une supercherie, ni un tour de passe-passe, et un sang noir giclait sur le plancher de la scène, jaillissant partout, éclaboussant aussi bien les figurants que les spectateurs. C’était du sang véritable, du sang humain.
La guillotine avait fonctionné pour de bon, et la tête de Rose Coutureau était réellement tombée, tranchée par le couperet du Bourreau Rouge, coupée par Fantômas.
25 – EN PLEIN MYSTÈRE
— Et alors Dick ?
— Alors, ma chère Sarah, après les divers incidents qui m’ont empêché, comme je viens de vous le dire, de me rendre au théâtre, j’ai fini cependant par y arriver et cela au moment fatal. Oui fatal, et si terrible, si effroyable, que je ne puis en évoquer le souvenir sans tressaillir, sans trembler, sans éprouver un frisson qui me parcourt le corps de la tête aux pieds et me secoue comme un arbuste tordu par la tempête.
Assurément, le jeune homme disait vrai. Car son aspect extérieur, sa pâleur et la contraction de ses traits, trahissaient son émotion sincère. Sarah Gordon qui le considérait avec calme, murmura :
— Remettez-vous Dick, reprenez vos esprits et dites les détails.
Le jeune homme, cependant, qui avait respiré profondément, s’efforçait de chasser de son esprit les sinistres pensées qui l’obsédaient, et il reprit :
— Je veux être net et clair dans mes explications. Au surplus, les choses qui se sont passées sont tellement effroyables et si compliquées que j’ai besoin de toute ma lucidité d’esprit. Comme je vous le disais, Sarah, arrivé depuis quelques instants au théâtre et très heureusement étonné de voir que l’on avait trouvé à me remplacer, je regardais, dissimulé dans la coulisse, le jeu de l’acteur qui me doublait. C’était la scène terrible, à l’issue de laquelle le bourreau fait le simulacre d’exécuter la reine. Je savais le grand effet que l’on pouvait tirer de cette scène et, avec une certaine curiosité professionnelle, j’observais avec attention la façon de procéder de mon remplaçant. C’est alors, Sarah, que j’ai vu l’affreuse chose. Elle n’a duré qu’un instant. Mais c’était encore trop long pour que je ne puisse en remarquer tous les détails. Conformément à la mise en scène réglée à l’entracte, deux de nos camarades qui jouaient les rôles d’aides du bourreau s’étaient emparés de la future victime et l’avaient jetée sur la bascule fatale. C’est à ce moment, alors, qu’a surgi l’acteur que l’on a prétendu s’appeler Talma et qui n’est autre que le plus sinistre bandit que la terre ait jamais porté. J’ai vu, Sarah, cette scène épouvantable : l’acteur vêtu de rouge, drapé contrairement à la tradition dans un grand manteau rouge qui l’enveloppait des pieds à la tête, faire jouer le déclic de la guillotine. Mais on a entendu aussitôt un bruit sec et sourd, un bruit anormal. D’ordinaire, en effet, le coutelas était un coutelas de carton incapable de faire le moindre mal. Cette fois, on lui avait certainement substitué un véritable couperet, et alors, j’ai entendu nettement le bruit du glaive lourd, glissant dans les rainures de la guillotine. J’ai entendu le coup sec du tranchant s’abattant sur la nuque de la malheureuse Rose Coutureau. Sa tête est tombée lourdement dans le panier, le sang a fusé de toutes parts. Ah, cette vision était si effroyable que j’ai senti venir l’instant où j’allais devenir fou ! On comprit au bout de quelques secondes, sur la scène d’abord, et dans la salle ensuite, l’effroyable drame réel qui venait de se passer, et les applaudissements du début se transformèrent en hurlements d’épouvante.
— Mon Dieu, qu’avez-vous fait alors, mon ami ?
— Qu’auriez-vous fait à ma place ? poursuivit Dick. L’événement était si surprenant, si inattendu, que d’abord je suis demeuré abasourdi. Mon cerveau se refusait à comprendre et ma raison niait ce que mes yeux avaient vu. Puis, brusquement je me suis saisi de mon revolver et, avisant la silhouette rouge du criminel qui s’enfuyait, j’ai déchargé sur lui par deux fois mon arme. Hélas, Sarah, il parvint à s’enfuir avec une agilité surprenante. Ce monstre, bondissant dans les couloirs, s’est frayé un passage à coups de pied, à coups de poing, il a disparu.
« Mais, conclut l’acteur dont le front se rembrunissait, ce n’est que partie remise, croyez-le bien ! J’ai vu son regard d’acier. Sa silhouette affreuse est désormais gravée pour toujours dans mon esprit. Je l’ai reconnu et le reconnaîtrai entre tous : ce sinistre criminel n’est autre que Fantômas.
— Fantômas ? comment le savez-vous ? J’ignorais que vous le connaissiez déjà ?
— Je le sais, poursuivit Dick, je suis sûr que c’est lui.
— Avez-vous donc, pour affirmer toutes ces choses, des arguments bien certains ?
— Peut-être… affirma Dick.
Il y eut un silence pendant lequel les deux interlocuteurs demeuraient immobiles, absorbés tous deux, semblait-il, par de profondes pensées. Ce fut Sarah qui, la première, reprit l’entretien interrompu :
— C’est un terrible malheur, en effet, déclara-t-elle de sa voix calme et pondérée, et malheureusement nous n’y pouvons rien. Si cette malheureuse Rose Coutureau est morte, nous ne la ressusciterons pas.
— Sans doute, reconnut Dick, mais nous la vengerons.
Sarah haussa les épaules :
— Qu’en savez-vous, fit-elle, et que vous importe au fond ? Vous venez de vivre, mon cher ami, un cauchemar affreux, le mieux est encore d’oublier.
Et la jolie Américaine sourit à l’acteur et lui tendit la main.
— Tenez, fit-elle doucement, je vous autorise à la baiser.
Dick s’agenouilla devant la jeune fille, il prit ses doigts fuselés dans les siens, les serra tendrement :
— Merci, murmura-t-il, merci Sarah !
Puis il ajouta d’une voix pénétrée :
— C’est la première fois que vous m’accordez une faveur semblable. Ah, Sarah !
Depuis une quinzaine de jours, l’étrange et riche Américaine dont la présence à Paris et l’existence fastueuse intriguaient tant de gens, était venue s’installer au Lac-Palaceà Enghien. Elle avait brusquement quitté le Gigantic Hôteloù elle occupait un appartement spacieux, dont toutes les fenêtres donnaient sur la place de la Concorde et elle était venue, avec les débuts du printemps, s’installer dans la gentille ville d’eau que les touristes et les joueurs commençaient à fréquenter.
Elle avait retenu le plus bel appartement de l’hôtel et s’était fait affecter un personnel de domestiques qui devait être uniquement à son service.
Depuis le matin même, on lui avait adjoint un majordome, dont la seule mission était de la servir à table et de recevoir les visiteurs qui se présentaient.
Depuis une heure, Sarah était en tête-à-tête avec Dick.
Le jeune artiste, tout vibrant encore d’émotion, tout troublé par le drame qui s’était produit la veille, avait achevé son récit d’une haleine. Mais Sarah semblait désireuse de le voir oublier ce qu’il venait de dire. Elle avait à l’entretenir de nombreux sujets, et, avec condescendance, lui laissait sa main dans les siennes.