Lassassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам) - Страница 75
Tel était le second clou de la pièce sensationnelle que représentait le Théâtre Ornano.
Rose Coutureau était descendue et, devisant sans cesse avec Beaumôme, elle attendait le moment de paraître en scène. Il ne restait plus qu’un tableau avant celui de l’échafaud, c’était le Tribunal révolutionnaire, au cours duquel la femme Capet allait avoir à répondre des accusations portées contre elle. Rose Coutureau, d’ordinaire, aimait beaucoup cette scène, où elle était fréquemment applaudie comme artiste, cependant que la foule houleuse huait le personnage qu’elle interprétait. Toutefois, ce soir-là, elle était bien trop préoccupée, bien trop émue pour prêter attention à son art.
Ses soucis personnels retenaient tout son esprit et Rose Coutureau éprouvait de plus en plus une angoisse secrète. Elle se sentait environnée de dangers, de mystère, et bien que Beaumôme, qui commençait à être alarmé lui aussi par l’attitude angoissée de sa maîtresse, fît l’impossible pour la rassurer, elle avait peur, très peur, peur de rien, peur de tout, peur de l’inconnu, de l’avenir, du présent.
— Je ne sais pas ce que j’ai, disait la jeune fille, mais il me semble qu’il va m’arriver quelque chose d’effroyable. J’ai peur…
— Mais de quoi, voyons ? disait Beaumôme. T’as rien à craindre.
Et, pour faire diversion, le jeune apache, qui semblait beaucoup aimer sa nouvelle maîtresse, essayait de plaisanter :
— C’est pas parce que tu vas être zigouillée au dernier tableau dans le rôle de Marie-Antoinette, que t’as besoin d’avoir la trouille. C’est du carton. La « veuve » est pas méchante, quoi. T’as déjà eu affaire à elle tous ces derniers soirs. Elle t’a pas fait de bobo.
Rose Coutureau sourit gentiment à son amant ; évidemment la jeune artiste ne pensait pas même au rôle tragique qu’elle interprétait et les plaisanteries de Beaumôme étaient tout à fait indifférentes à la reine Marie-Antoinette de la pièce. Elle n’y répondit même pas et se contenta de murmurer à l’oreille de son amant :
— C’est curieux, je trouve que ce type qui est venu juste pour remplacer Dick a un drôle d’air, il a des yeux effrayants. Cet espèce de Talma ne me revient pas du tout. Il a une tête qui me fait peur.
La guillotine était dressée au premier plan, et si l’on avait attendu quelques instants de plus qu’à l’ordinaire pour monter le décor, c’est parce que le vieil acteur qui remplaçait Dick avait voulu s’assurer lui-même des dispositions du « praticable » et de la mise en scène.
Il avait passé quelques instants seul sur le plateau à côté de la hideuse machine, merveilleusement reconstituée d’après les documents exacts de l’époque.
L’exécution faite devant le public était simulée avec un art parfait. L’artiste qui jouait le rôle de Marie-Antoinette devait en effet se laisser basculer sur la planche sinistre et se prendre le cou dans la lunette. Un éclair brillait alors au sommet de l’échafaud et on laissait tomber un cartonnage qui figurait le couperet fatal.
Le rôle du bourreau alors, ou pour mieux dire de l’acteur qui jouait Sanson, consistait à s’interposer entre le public et la guillotine afin de dissimuler par son corps celui de la victime. Il prenait d’ailleurs dans un panier une tête de carton et la levait au bout du bras pour montrer au peuple que justice était faite. Et c’est à ce moment que le rideau tombait.
On avait expliqué à Talma le jeu de scène de ce tableau et lui-même avait été vérifier l’échafaud.
Fantômas le bourreau, était allé changer de costume. Au moment où on levait le rideau, il se dissimula derrière un portant attendant son entrée.
Les apprêts du supplice, l’arrivée sur la scène de la charrette amenant la veuve Capet, prenaient environ dix bonnes minutes et le bourreau n’apparaissait pas tout de suite, il ne devait surgir de derrière le « praticable » qu’au moment où la reine s’approchait.
Comme toujours, l’apparition de la guillotine, placée en plein milieu de la scène, provoqua des murmures divers dans la salle véritablement empoignée par l’intérêt du spectacle.
C’est qu’il y avait là nombre de gens pour qui la vue de la sinistre machine était comme une indication, comme une menace. Savait-on jamais si quelque aventure fâcheuse ne vous amènerait pas un jour à subir pour de bon le supplice que l’on allait applaudir au théâtre ?
Cependant, un brouhaha se produisit dans les coulisses.
— Ah te voilà tout de même ! s’écria M. Rigou, qui, désormais sûr de son interprète, avait jugé inutile de retourner dans le trou du souffleur, et qui restait sur le plateau d’où, d’ailleurs, il pouvait envoyer les répliques, si besoin en était, aussi bien que de sa boîte. Te voilà ! s’écriait-il.
C’était Dick en effet qui, après ses péripéties, arrivait enfin. Il était onze heures trois quarts.
Le jeune artiste, pâle, défait, essoufflé, redoutant les pires événements, était arrivé au théâtre, convaincu que son absence avait déterminé des cataclysmes et qu’il allait trouver la salle mise au pillage par une foule exaspérée, les décors en morceaux, les artistes en fuite.
Au contraire, tout semblait s’être passé très normalement, et, comme d’ordinaire, à onze heures trois quarts, on montait la guillotine sur le « praticable » représentant l’échafaud.
M. Rigou jouit quelques instants de l’ébahissement du jeune artiste. Dick, en effet, écarquillait les yeux, ne trouvait pas une question à poser tant il était abasourdi, stupéfait. Il lâcha enfin :
— Vous m’avez donc doublé ?
— Oui, mon cher, répliqua Rigou qui, triomphalement ajoutait : « Et par Talma lui-même ! »
Le dernier tableau cependant était sur le point de s’achever. Les soldats avaient amené Marie-Antoinette au pied de l’échafaud. La salle était haletante et seule peut-être n’éprouvait aucune émotion celle qui était pourtant l’héroïne de ce terrible drame. Rose Coutureau qui montait automatiquement sur l’échafaud, ne se préoccupait pas du sinistre appareil sur lequel elle allait s’étendre dans un instant. Beaucoup plus prosaïquement, elle regarda dans la coulisse et elle fut fort surprise d’y apercevoir Dick, arrivé depuis quelques instants, se tenant immobile à côté du rideau. Elle pensa, un peu rassérénée, à l’idée que le spectacle allait finir :
— Qu’est-ce qu’il va prendre pour être arrivé si en retard.
Elle songeait en même temps :
— Encore dix minutes et c’est la fuite.
Elle souriait à Beaumôme qui, la main posée sur le fil destiné à manœuvrer le rideau, attendait l’instant propice pour signaler au public la fin du spectacle.
Rose était si peu à ce qu’elle faisait qu’elle entendit à peine la clameur soudaine qui s’éleva de la salle au moment où surgissait à côté d’elle l’acteur qui interprétait aux lieu et place de Dick, la dernière scène, celle de l’exécution.
Sanson, en effet, parut.
Si jusqu’alors le nouveau comédien qui jouait le rôle avait bouleversé la foule et surpris le public par ses attitudes et ses façons d’être, il déroutait désormais tout le monde.
Certes, il n’avait rien de classique ni de conforme à la tradition, ce bourreau qui montait sur l’échafaud pour exécuter Marie-Antoinette.
Il n’avait pas le costume du temps. Le bourreau en effet qui surgissait devant la foule était drapé entièrement dans un grand manteau rouge et son visage était dissimulé derrière une sorte de cagoule, rouge également.
Il était ganté de rouge. C’était effarant et l’on se demandait ce que cela voulait dire, mais les artistes cependant qui n’osaient interrompre et exécutaient leurs mouvements avec des gestes automatiques, précipitaient le dénouement.
Fantômas, dans le rôle de Sanson, s’avançait vers la guillotine. Le Maître de l’Effroi, fixement, regardait Rose Coutureau interprétant Marie-Antoinette, et, tandis que les acteurs figurant les aides la faisaient basculer sur la planche fatale, le faux Talma Junior murmurait entre ses dents, tandis qu’un sourire sarcastique effleurait ses lèvres :