Lassassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам) - Страница 74
C’était ce cabot qui avait prétendu s’appeler, à l’instar du grand ancêtre, tout simplement : Talma, mais Talma Junior.
— Tu as déjà vu jouer la pièce et tu connais le rôle de Dick ?
— Parfaitement !
— Rose Coutureau, et vous autres, les artistes de la scène du début, arrivez ici !
On s’empressa sur le plateau.
— Commencez à voix basse, dit-il, et voyez si le camarade peut tenir le rôle. Je lui enverrai les répliques, pour l’aider.
On commençait une première scène et, en l’espace de quelques instants, M. Rigou fut transfiguré :
— Mais c’est épatant ! cria-t-il. Mon cher Talma, tu connais le rôle aussi bien que Dick lui-même. Pourras-tu continuer comme ça jusqu’au bout ?
— Jusqu’au bout, je n’ai pas peur.
— Risquons le paquet ! dit M. Rigou.
Et aussitôt, se précipitant vers Beaumôme, il lui cria :
— Frappe les trois coups, mon vieux, et allons-y, au rideau !
Avec trente-cinq minutes de retard, le spectacle reprit, la dernière recommandation de M. Rigou avait été :
— Enchaînez vivement vos répliques, mes enfants, pour que nous puissions finir à l’heure.
Et les artistes, stimulés à l’idée qu’ils pourraient très probablement terminer à temps pour prendre leur métro, interprétaient leurs rôles respectifs avec entrain, ce qui donnait à la pièce une saveur toute nouvelle et du meilleur aloi.
Ce fut un long cri de surprise, des murmures étonnés dans la salle lorsque l’on vit apparaître le bourreau Sanson. Les habitués, en effet, connaissaient l’interprète du rôle : le jeune et beau comédien Dick, la coqueluche de toutes les femmes et l’artiste que les hommes n’osaient pas critiquer, tant il était notoirement adroit et remarquable.
Or, voici qu’un vieillard, ou tout comme, le remplaçait et instinctivement la foule se disposait à faire un mauvais accueil au comédien qui avait eu l’audace de se substituer à Dick, sans que l’on ait fait au préalable une annonce, sans qu’il se soit excusé de prendre une si grande liberté. Certes, la salle était mal disposée à l’égard du nouveau. On murmurait bien des : « Qu’est-ce que c’est que ce type-là ? Non mais, il en a du culot de vouloir remplacer Dick ! » et quelques pelures d’oranges vinrent même s’abattre sur la scène mais celui qui s’était donné pour Talma Junior plongea sur la foule son regard énergique cependant qu’avec netteté il débitait son rôle.
C’était quelqu’un que cet artiste et assurément s’il ne jouait pas de la même façon que Dick, il avait sa manière à lui de camper le personnage du bourreau, qu’il faisait terrible et redoutable rien que par les gestes et le ton.
M. Rigou, installé dans la boîte du souffleur et qui, tout en suivant attentivement le manuscrit, n’avait pas vu commencer le spectacle sans une certaine appréhension, se rassurait.
Lorsque le troisième acte fut terminé, une salve d’applaudissements consacra le succès définitif du comédien qui avait remplacé le beau Dick au pied levé.
Il fallut que Talma revienne saluer, et il le fit avec une humilité courtoise, une véritable aménité, s’inclinant jusqu’à terre, cependant que son regard perçant semblait fouiller dans le trou noir que, à ses yeux, représentait la salle.
Œil-de-Bœuf et Bec-de-Gaz n’avaient pas hésité à consacrer la gloire du comédien :
— Il est épatant, ce mec-là ! avaient-ils déclaré.
Et Adèle, oubliant soudain qu’elle venait de conclure une alliance quasi matrimoniale avec les deux amis, ajoutait, enthousiasmée :
— Tout vieux qu’il est, s’il voulait, ça ne lui coûterait pas cher !
Pendant l’entracte, on félicita le comédien sur le plateau.
— Tu as été sublime, déclarait le régisseur général avec conviction.
Mais Talma se déroba aux ovations et demanda à se reposer seul, à demeurer dans un angle obscur, pendant les quelques instants de loisir dont il bénéficiait. M. Rigou lui avait apporté le manuscrit, Talma junior repassait attentivement le texte de l’acte suivant.
Assurément, l’homme était grimé merveilleusement, doublement même. Non seulement il s’était fait la tête du bourreau de la Révolution, une tête un peu fantaisiste sans doute, mais encore sa silhouette de vieux comédien n’était que le plus audacieux des maquillages, que la plus formelle des contrefaçons. Car, en réalité, et c’était là une chose que tout le monde ignorait, c’était encore Fantômas qui se dissimulait sous ce nouveau déguisement.
Pourquoi l’homme terrible était-il là ?
Pourquoi assumait-il la dangereuse responsabilité d’interpréter le rôle d’un artiste aussi en vue que l’était Dick ? Et pourquoi, enfin, se trouvait-il que, par suite d’un hasard extraordinaire, ce dernier manquait précisément le jour où Fantômas réussissait à se faire embaucher au Théâtre Ornanocomme pour le remplacer au pied levé ? Mystérieuse coïncidence ou bien résolution étudiée du Maître de l’Effroi ?
Cependant, le spectacle continuait et le succès du vieux comédien s’affirmait.
La pièce était tragique au possible, très mouvementée aussi. Il y avait notamment, au cours de ce spectacle sensationnel, deux clous destinés à provoquer l’admiration des spectateurs et aussi à les faire frissonner :
Le premier qui avait lieu à la fin du quatrième acte, était une scène qui se passait au cours d’une assemblée populaire ; certains personnages y injuriaient le bourreau, lui reprochant d’exercer un métier aussi affreux. Et Sanson, grandiloquent et superbe, leur répondait victorieusement en faisant l’apologie de sa profession et en exaltant le bras qui servait la noble cause du Devoir et de la Nation ! Fantômas, dans le rôle du bourreau, était vraiment superbe, et lorsqu’il eut déclaré avec emphase :
— Je suis le bras vengeur de la Nation. C’est moi le grand jardinier rouge, dont la tâche sublime est de purger la France de toutes les mauvaises herbes gui empêchent la Liberté, l’Égalité, la Fraternité de régner sur le pays, ce fut une salve frénétique d’applaudissements.
Fantômas, acteur merveilleux, continuait de sa voix cinglante et terrible :
— Aristocrates infâmes, bourgeois poltrons et prêtres sournois, je les égalise tous. Pour en débarrasser le peuple, je les nivelle au ras des épaules.
Il y avait là une belle tirade, un superbe effet, et, chaque soir, lorsque Dick la déclamait, il remportait un grand succès. Lorsque ce fut le nouveau comédien qui vint à la proférer, lorsqu’on le vit s’avancer jusqu’au ras de la rampe, et, d’une voix énergique, déclamer les phrases sonores et ronflantes qui constituaient la plus belle page du rôle du bourreau Sanson, ce fut un enthousiasme indescriptible qui enleva la salle entière :
Cinq ou six fois de suite, il fallut relever le rideau pour que l’acteur pût venir saluer ; ce n’était pas un succès qu’il remportait, mais un triomphe.
Dans la coulisse, Rigou l’embrassa :
— Ce n’est pas deux francs, déclarait-il, mais c’est… cinquante sous que je te donnerai. Tu as été vraiment superbe, et tu peux être sûr que je te ferai une situation. T’es de la maison désormais ! Demain nous annoncerons par les affiches que Talma Junior vient de signer un engagement magnifique avec le Théâtre Ornano, qui lui fait un pont d’or.
Fantômas, impassible, reçut ces compliments sans prononcer un mot.
Cependant, Rose Coutureau descendait de sa loge où elle venait de se changer pour la troisième fois. La jeune artiste, au cours du spectacle, interprétait plusieurs rôles. Là, elle revenait dans le costume qui lui plaisait le mieux : il n’avait pourtant rien de bien sensationnel, ce costume. Rose ne portait pas de perruque poudrée, de robe à paniers, de petits souliers de satin comme elle faisait au début de la pièce. Elle était au contraire, simplement vêtue d’une jupe sombre et d’une chemisette de grosse toile. Ses cheveux étaient hâtivement noués et c’étaient ses cheveux réels, non point la perruque classique ; elle portait sur la tête un petit bonnet blanc, mais elle était heureuse et fière de cette simplicité même. Désormais, en effet, elle allait avoir un rôle sensationnel, tragique, terrible, poignant. C’était elle, en effet, qui faisait la souveraine. Le dernier tableau du spectacle représentait l’échafaud, l’exécution par le bourreau Sanson de Marie-Antoinette, ex-reine de France.