Lassassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам) - Страница 73

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Au parterre, cependant, deux hommes qui s’étaient rencontrés poussaient chacun une exclamation de surprise :

— La Carafe !

— Tête-de-Lard !

C’était la première fois que les deux apaches se rencontraient, depuis le fameux jour où ils avaient été si brutalement séparés l’un de l’autre, lorsque Fantômas leur avait joué le mauvais tour de les précipiter à la Seine.

On avait vaguement raconté dans les milieux interlopes que Tête-de-Lard avait été sauvé par la police, puis bouclé. Les mauvaises langues ajoutaient qu’il avait même servi d’indicateur. Aussi, pendant huit jours, avait-on proféré à son égard des menaces terribles, et décidé que l’on mettrait à mort cet ancien charcutier au visage gras, fuyant et peu net. Puis, nul n’ayant été arrêté, on était revenu sur cette opinion et d’autre part, Tête-de-Lard semblait avoir été réhabilité par Fantômas lui-même lorsque celui-ci lui avait manifesté ainsi qu’au Bedeau, sa confiance, en le faisant intervenir dans l’affaire de la grande Berthe. Dans un groupe, quelques apaches d’ailleurs, auxquels se joignaient désormais La Carafe et Tête-de-Lard, félicitaient la grande Berthe d’être sortie de prison. Bébé déclarait admiratif :

— Pour une combine épatante, c’en est une. T’as vraiment du talent, la môme. Mais qui c’est qui t’a aidée, et pourquoi qu’t’as fait sauver la Rose Coutureau de la taule ?

Mais la grande Berthe ne voulait donner aucun renseignement à ce sujet.

Le tapage, cependant, croissait dans la salle et, sur l’air des Lampions, la foule impatiente réclamait :

— Le rideau ! Le rideau !

Puis, le bruit peu à peu augmenta, devint un véritable vacarme. Ensuite, par enchantement, on se tut et les spectateurs, résignés, reprirent le cours de leur conversation.

Tout d’un coup, le silence se fit définitivement dans la salle, puis, brusquement, on applaudit frénétiquement :

Les trois coups venaient enfin d’être frappés. Il y eut un remue-ménage au parterre et aux galeries. Pendant cinq minutes, on se bouscula consciencieusement pour gagner sa place, puis tout se tut. Le rideau se levait.

***

Cependant, depuis trois quarts d’heure environ, l’affolement le plus complet, le désarroi le plus intense, régnaient dans la coulisse.

Toutes les cinq minutes, Beaumôme, préposé aux manœuvres du rideau, était venu de son air cafard et en se dandinant sur ses courtes jambes, demander à M. Rigou, régisseur général :

— C’est-y qu’on peut lever ?

Et, chaque fois, M. Rigou avait répondu sur un ton énervé :

— On ne peut pas. Dick n’est pas encore arrivé.

Beaumôme, indifférent, haussait les épaules, retournait à son poste, traînant ses espadrilles sur le plancher poussiéreux du théâtre.

Puis, il revenait encore au bout de quelques instants :

— C’est-y qu’on peut lever ?

Il obtenait la même réponse. À la troisième fois, il fit observer :

— Les types rouspètent dans la salle ! Sûr qu’ils vont tout casser.

M. Rigou serra les poings, leva les yeux au ciel, mais il ne pouvait donner l’ordre de lever le rideau, Dick, le principal interprète, n’était pas là.

Et M. Rigou qui assumait toutes les responsabilités, sentit le désespoir l’envahir.

On avait fait, ce soir-là, une si bonne recette, que, bien avant l’heure à laquelle devait commencer la représentation, la salle était comble, et c’est pourquoi, contrairement aux usages, M. Rigou avait pu venir dans les coulisses, avant la seconde partie du spectacle, alors qu’en temps ordinaire il restait au contrôle jusqu’à la fin du deuxième acte, pour surveiller la caisse qui vendait encore des places à des retardataires.

Les affaires du théâtre marchaient bien et, depuis quelques jours, on était tombé sur un excellent programme que certainement on pourrait faire tenir pendant toute une quinzaine.

La pièce principale s’appelait Les Amours du Bourreau ou L’Enfant de la Guillotine.C’était un drame sombre, en vingt-sept tableaux, de telle sorte que la moitié du temps se passait en entractes pour que l’on pût opérer les changements. Malgré ces inconvénients matériels, l’œuvre théâtrale, due à un professionnel du roman-feuilleton, remportait un vif succès.

Elle avait d’excellents interprètes, parmi lesquels le jeune acteur Dick, qui tenait superbement le rôle du bourreau Sanson.

Or, voici qu’il manquait, qu’il était absent sans avoir prévenu, sans que l’on sût pourquoi. Que fallait-il donc faire ? Pour rien au monde, M. Rigou n’aurait voulu rembourser les places, ce qui était d’ailleurs impossible, une partie de la recette ayant déjà été distribuée aux acteurs pour le règlement de leur semaine. Les artistes, habitués à ne s’émouvoir de rien, demeuraient silencieux et résignés, dans les coulisses, derrière les portants.

Dans un coin des coulisses, près du rideau, se trouvaient Beaumôme et Rose. Les deux amants s’entretenaient à voix basse, et, malgré les plaisanteries dont l’apache émaillait sa conversation, sa maîtresse demeurait sombre :

— Je suis sûre, murmurait Rose Coutureau, qu’il est arrivé quelque chose de fâcheux à mon vieux. Qu’est-ce qu’il a pu devenir, pourquoi n’est-il pas rentré ?

Beaumôme, qui se souciait fort peu du père Coutureau, essayait pourtant de la rassurer :

— Tu t’étais bien débinée toi-même, probable que le vieux en a profité pour aller faire la bombe. Il aime bien se soûler la figure, il a dû s’envoyer quelque muflée dans un bistrot des environs.

— Ça se pourrait, déclarait la gamine, mais ça m’étonne, car il tombait de sommeil le jour où je l’ai quitté. Pour qu’il soit sorti de la taule, faut qu’il se soit passé quelque chose de grave, il faut surtout, poursuivit-elle, qu’il y ait eu un événement extraordinaire, puisqu’il n’est pas encore là.

Et, de fait, le père Coutureau, tout comme l’acteur Dick, manquait au théâtre. Mais cela n’avait pas la même importance. Les artistes s’étaient passés du vieil habilleur, et la figuration aurait un chef de moins. Cela ne pouvait empêcher le spectacle de se dérouler normalement.

— C’est égal, j’ai peur, disait Rose Coutureau. Il se passe des choses, depuis quelques jours, qui me donnent de terribles émotions.

— Tu t’en fais une bile, dit Beaumôme. Faut-y que les femmes soient gourdes.

— Je sais ce que je sais, et d’ailleurs, tous ceux qui, comme nous, comme le père et moi, ont eu des rapports avec Fantômas, en tirent toujours des embêtements. Vois plutôt cette histoire de l’avenue Niel. Oh moi, je suis décidée ! Ça peut pas durer plus longtemps, et plutôt que de me retourner les sangs, nuit et jour dans la crainte d’être mêlée à ces affaires-là, j’irai plutôt casser le morceau à la police. Oui, dès demain, j’irai leur dire ce que j’ai vu, ce que je sais.

Tandis que Rose s’exprimait ainsi quelqu’un s’approchait du régisseur général.

— Pardon, monsieur ?

M. Rigou se retourna tout d’une pièce. Un vieil homme à l’allure minable, s’adressait à lui en hésitant. M. Rigou haussa les épaules, tourna les talons, et répondit, furieux :

— Il s’agit bien de vous ! Est-ce que tu crois, par hasard, que j’ai le temps de m’occuper de ça ? Quand je pense que mon premier rôle n’est toujours pas arrivé et que le troisième acte devrait être commencé depuis plus d’une demi-heure, j’ai autre chose à faire que de distribuer la figuration !

M. Rigou avait bien la mentalité des gens de théâtre, qui sont, à certains moments, très aimables, font des offres mirifiques et, tout à coup, sans raison, ont de grands airs affairés et semblent ignorer les gens qu’ils tutoyaient et appelaient leur cher ami deux minutes auparavant.

L’interrupteur que M. Rigou venait de rabrouer ne se tint pas pour battu cependant. Il se rapprocha du régisseur général :

— Je sais le rôle, déclara-t-il, tu n’as qu’à me le donner et je m’en vais le jouer !

M. Rigou regarda alors avec une certaine complaisance le mystérieux personnage aux allures de vieux comédien qui, ce jour même, à l’heure de l’apéritif, avait rencontré, au Café du Triangle, le régisseur général du Théâtre Ornano, dont il avait conquis la sympathie en faisant de très bonnes imitations des grands acteurs.

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