Lassassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам) - Страница 72
— Monsieur le commissaire, disait Dick, vos agent m’ont traité de satyre, mais je ne leur en veux pas. Vous voyez dans quel embarras je me trouve. Tout ce que je vous demande, c’est de me remettre en liberté le plus vite possible. Je me tiendrai demain après-midi à votre disposition si cela est nécessaire.
Dick avait des pièces d’identité, le secrétaire les examina, puis s’inclina :
— Vous êtes libre, monsieur. Vous êtes libre. Dépêchez-vous donc de partir à votre théâtre. Qu’est-ce qu’on joue donc à Ornano ?
— On joue : Les Amours du Bourreau ou L’Enfant de la Guillotineet je tiens le rôle de Sanson. Le vous enverrai des places.
Sur cette bonne promesse, une promesse que les acteurs font toujours sans y attacher la moindre importance, car ils n’en tiennent jamais compte, Dick sortit du poste et remonta dans un taxi-auto.
— Au Théâtre Ornano, hurla-t-il, à toute allure.
Et la voiture démarra, Dick, enfin, respira.
— Quelle soirée, jurait le jeune homme, bon Dieu, c’est à devenir fou…
Puis, il murmura soudain d’une voix très préoccupée, un peu anxieuse :
— Mais tout cela est étrange, vraiment, tout cela est bizarre. Ce serait à croire que…
Il n’acheva pas sa phrase.
Au Théâtre Ornano, à la porte de l’entrée des artistes, un figurant accueillit Dick d’une raillerie :
— Eh bien, monsieur Sanson, dit-il, vous voilà tout de même ? Ne vous pressez pas, vous savez. Non, ne vous pressez pas. Ça pourrait vous faire mal.
Dick ne répondit pas. Il monta l’étroit escalier qui conduisait au plateau, il le monta quatre à quatre.
24 – LE DERNIER TABLEAU
Cependant, une foule houleuse réclamait le lever du rideau. La salle de spectacle était bondée. C’était un samedi soir, et du rez-de-chaussée aux dernières galeries, les spectateurs étaient pressés les uns contre les autres, car le théâtre n’était pas très grand et devait contenir beaucoup de monde.
Toutes les places, même les meilleures, étaient fort étroites.
Tout ce monde-là, d’ailleurs, vociférait avec un bel ensemble. Depuis vingt minutes déjà la seconde partie du spectacle aurait dû être commencée, on attendait toujours. Que se passait-il donc ?
Du haut des galeries tombaient des exclamations ironiques, des ordres brutaux.
— Grouillez-vous ! De quoi qu’y retourne ? Au rideau ! Quand c’est qu’on commence ?
Quelques-uns, plus hardis que les autres, et fort au courant sans doute du personnel du théâtre, interpellaient directement le personnage qu’ils croyaient responsable de ce retard. Et comme on savait que c’était Beaumôme qui avait pour mission de lever le rideau, des amis connus ou inconnus l’apostrophaient des galeries, en disant :
— C’est-y qu’il a la cosse ? faudrait voir, Beaumôme, à en mettre un coup ! Probable qu’il a encore des bras neufs, ce soir !
Ces interjections semaient un peu de gaieté dans la salle. Le public bon enfant, comprenant qu’il devait se passer quelque chose d’anormal dans les coulisses, fit quelques instants de silence, puis le tapage reprit de plus belle.
La clientèle du Théâtre Ornanoétait très mêlée. À côté de petits commerçants, on apercevait des figures farouches d’apaches et de pierreuses. Et tout ce monde-là, qui cependant ne frayait jamais ensemble dans la vie courante, au théâtre liait connaissance, se faisait des amabilités.
Quelques personnages qui, au début de la soirée étaient passés les uns à côté des autres sans avoir l’air de se connaître, paraissaient peu à peu s’enhardir. On les entendait s’interpeller, ils se faisaient d’abord de petits signes hésitants et discrets, puis, peu à peu, s’accoutumant, voyant que l’énoncé de leurs noms ne provoquait aucun scandale, ils se parlaient à haute voix à travers la salle.
Et c’est ainsi que lorsqu’une voix cria d’une galerie :
— Ça va toujours, Bec-de-Gaz ?
On en entendit une autre répondre de la galerie d’en face :
— Eh oui, ça colle, Œil-de-Bœuf.
Quelques jeunes apprentis apaches se désignaient avec admiration et respect la silhouette massive du Bedeau venu tout seul au théâtre, et qui affectait plus que jamais un air sinistre et préoccupé.
— C’est vraiment un mec costaud. Il en a une dégaine épatante !
— Oui, j’crois ben que depuis que sa gonzesse a claqué, y n’en a jamais reluqué une autre.
Depuis les aventures de l’autobus et de la Banque de France, tous les complices de Fantômas s’étaient tenus tranquilles, ne se terrant pas dans un repaire ignoré, déroutant la police en ne se cachant pas.
Certes, les agents avaient arrêté quelques rôdeurs, et découvert dans les bouges des récidivistes, que bon gré mal gré on avait impliqué dans les affaires de la place Clichy et du quai de l’Hôtel-de-Ville. Mais en réalité, les véritables acteurs de ces deux drames tragiques n’avaient pas été découverts, et depuis que l’opinion publique s’était calmée, la police, impuissante à intervenir, relâchait sa surveillance. Les secrets d’ailleurs, étaient fort bien gardés dans la bande. Et si d’aventure des haines naissaient entre ceux qui la constituaient, les uns et les autres s’arrangeaient pour vider entre eux les querelles, mais nul n’aurait osé moucharder les camarades, dénoncer des faits aussi graves, sachant par expérience que si la justice décidait d’épargner l’indicateur, celui-ci serait certainement châtié par ceux qu’il aurait dénoncés.
Cependant, Œil-de-Bœuf qui s’ennuyait à sa place était venu rejoindre son inséparable ami Bec-de-Gaz.
Il le vit avec une femme et il interrogea en la désignant :
— C’est donc que tu te mets en ménage, Bec-de-Gaz ?
Mais le grand apache haussa les épaules :
— Tu l’as pas regardée la gonzesse, fit-il. C’est Adèle.
C’était Adèle en effet, et l’apache qui posait la question savait que l’ancienne bonne vivait avec Beaumôme.
Adèle avait un visage courroucé et, volontiers, elle profita de l’occasion pour faire connaître ses sentiments :
— Sûr que je ne voudrais pas de Bec-de-Gaz, déclara-t-elle. C’est bon pour être copains, mais pas pour autre chose. Quant à Beaumôme, j’y tiens pas plus que cela. D’ailleurs, c’est un salaud, et un lâcheur ! Un homme qui fait ce qu’il fait est capable de tout.
Œil-de-Bœuf et Bec-de-Gaz, avec des mines graves, approuvèrent la pierreuse. Ils savaient, en effet, ce que celle-ci reprochait à Beaumôme. N’avait-il pas eu pendant un certain temps deux maîtresses, elle et Rose Coutureau, et désormais ne préférait-il pas cette dernière à Adèle qui, pourtant, s’était dévouée ?
— Puisqu’y m’plaque, j’m’en fous, disait Adèle, J’vas prendre un autre homme, le Bedeau, par exemple qui, sans doute est un peu vieux, mais c’est un type sérieux, solide, et bien capable de défendre sa môme à l’occasion.
— Le Bedeau, déclara Bec-de-Gaz, il en a sa claque des gonzesses. Rapport à ce qu’il a toujours des embêtements avec elles. Rappelle-toi plutôt ce qui est arrivé quand il était avec Fleur-de-Rogue ?
— Oui, poursuivit Œil-de-Bœuf, sûrement que tu n’aurais rien à faire avec le Bedeau, et moi j’ai comme une idée que nous pourrions te proposer une bien meilleure combine.
Œil-de-Bœuf regarda Bec-de-Gaz, lequel devinant ce qu’il allait offrir à Adèle, l’approuva d’un hochement de tête.
Œil-de-Bœuf poursuivit :
— En somme, on est tous les deux, Bec-de-Gaz et Œil-de-Bœuf, de bons, de très bons copains. Comme qui dirait les deux doigts de la main, seulement ce qui nous manque, c’est une femme. Alors pourrait-on pas s’arranger pour vivre tous les trois en ménage ?
La proposition aussi nettement formulée, ne parut pas scandaliser outre mesure Adèle qui, décidément, tenait surtout à ne pas rester sur la mauvaise impression que produisait autour d’elle le lâchage de Beaumôme.
Et, pendant quelques instants, les trois interlocuteurs se mirent à étudier de très près ce projet.