Lassassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам) - Страница 66
La conversation, généralisée d’abord, s’était peu à peu orientée sur le Théâtre Ornano ; car, d’une façon courante, les gens ne parlent avec intérêt et abondance que des choses qui les concernent. On avait passé au crible de la médisance ceux des camarades qui, pour une raison ou une autre, avaient la malchance de n’être point présents.
Une vieille coquette qui jouait les duègnes au Théâtre Ornano, M me Marinette, après avoir lancé de provocantes œillades au nouveau venu, s’amusait, en minaudant, à faire quelques imitations de la jeune première.
Elle y remportait un grand succès. Mais celui-ci fut éclipsé et complètement oublié, lorsque le vieux comédien maquillé, s’avisa d’imiter à son tour le célèbre Dick dans le rôle qu’il interprétait depuis quelques jours.
C’était fait à la perfection. On s’esclaffa autour de lui. M. Rigou, enthousiasmé, lui prit les deux mains, les serra chaleureusement dans les siennes, et déclara :
— Ah mon cher ami, c’est vraiment superbe, je veux absolument que tu sois des nôtres !
Tout d’abord, le vieux comédien protesta, secoua négativement la tête, mais M. Rigou lui déclarait :
— Un talent comme le tien doit se produire à Paris. Comment t’appelles-tu ?
Ce fut un murmure d’admiration, lorsque l’artiste eut dit son nom. Comme le grand ancêtre, il s’appelait Talma [33]. Toutefois, pour s’en distinguer, il faisait suivre ce nom glorieux du qualificatif « Junior » qui s’accordait d’ailleurs assez mal avec sa silhouette.
— Talma, Talma, répétait M. Rigou de plus en plus enthousiasmé, même quand ce n’est que « Talma Junior », c’est superbe ! Je vois cela sur les affiches. On mettrait simplement J. Talma. C’est cela qui en ferait, un effet !
Il fit asseoir le vieux comédien près de lui, et cependant que par discrétion les autres personnes n’écoutaient pas, M. Rigou l’entretenait à voix basse :
— Tu m’as l’air de connaître la pièce que nous jouons en ce moment ?
— À peu près, fit le vieux comédien, surtout le commencement.
— Oh, il suffit toujours de connaître le début, le premier acte et voici pourquoi : pendant le premier je suis au contrôle pour la recette, par conséquent, les acteurs doivent savoir leur rôle, car je suis également le souffleur. Je n’arrive dans mon trou que pour le deuxième acte. Tu comprends la combinaison ? Chacun ne doit compter que sur sa mémoire pour le premier. Ensuite je suis là.
Il poursuivit tout bas :
— Je veux te faire doubler quelque chose. Viens ce soir au théâtre, on te trouvera un emploi.
Le vieux comédien semblait hésiter :
— C’est que, fit-il, j’ai précisément besoin d’argent en ce moment et j’ai des propositions avantageuses dans une grande maison du boulevard.
M. Rigou sentit la concurrence et son âme d’administrateur, car il était également administrateur, s’émut un instant, Toutefois l’artiste lui plaisait, il avait sûrement du talent et en outre ne s’appelait-il pas Talma ? Ce nom sur l’affiche ferait certainement recette.
M. Rigou n’hésita pas à faire un sacrifice et il déclara :
— Je veux t’avoir, tu nous es indispensable pour le Théâtre Ornano. Tiens, je ne te marchanderai pas. Ce sera deux francs par soir !
Le vieux comédien frappa dans la main de M. Rigou :
— C’est pour toi que je le fais, déclara-t-il, et c’est aussi pour l’art.
— Merci, dit M. Rigou d’une voix émue. Dès ce soir, je tâcherai de te donner quelque chose, même une panne [34], n’importe quoi, l’essentiel est que tu puisses paraître. D’ailleurs il y aura bien comme d’ordinaire quelques manquants dans la figuration.
— J’en suis sûr, proféra d’une voix étrange le vieux comédien, si bien que M. Rigou lui en fit la remarque :
— Pourquoi ? demanda-t-il.
Mais le vieux comédien s’était ressaisi :
— Je ne sais pas, une idée comme ça qui me passait par la tête.
La plupart des artistes voyant que la conversation mystérieuse se prolongeait, s’étaient éclipsés, laissant les soucoupes à M. Rigou. Celui-ci ne les régla pas, mais il dit au garçon :
— Mettez cela sur le compte.
Propos vague en réalité, et qui ne réjouissait pas le patron du Café du Triangle, car s’il existait réellement « un compte », c’était un compte anonyme, imprécisé, un compte qui ne serait peut-être jamais soldé.
Rigou serra la main de son nouveau pensionnaire :
— À tout à l’heure, Talma, déclara-t-il parlant haut et fort, à titre de publicité. À tout à l’heure à huit heures précises au Théâtre Ornano.
Sur le trottoir les deux hommes se séparèrent. Cependant que M. Rigou s’en allait tout joyeux, le personnage qui avait prétendu s’appeler Talma le suivait d’un regard sombre, puis, instinctivement, se palpait les poches.
Dans celle de droite, il sentait un rouleau de corde qu’il y avait placé quelques heures auparavant. Dans celle de gauche, à l’intérieur, était un objet lourd, plat, rigide : le couperet acheté par Bouzille.
22 – LA TÊTE DE FANTÔMAS
Rose Coutureau n’était pas une méchante fille. À peine était-elle partie de chez son père sans écouter les lamentations du brave homme, qui, de plus en plus effaré par la mystérieuse succession d’événements récents, voulait s’opposer au départ de la maîtresse de Beaumôme, qu’elle avait senti naître en elle un remords d’autant plus pressant que, somme toute, les affaires s’arrangeaient.
Rose, en effet, avait eu d’autant plus d’envie de reprendre la vie commune avec Beaumôme qu’elle s’était dit que si jamais le vol commis au préjudice de la comtesse de Blangy devait avoir des conséquences fâcheuses, c’était encore dans la société des apaches qu’elle avait le plus de chances de pouvoir échapper aux recherches de la police.
Or, personne ne parlait plus du vol.
La grande Berthe elle-même avait été remise en liberté, en raison du désistement et du retrait de la plainte de M me de Blangy, et si l’opinion s’occupait de la comtesse, c’était uniquement pour commenter sa mort affreuse d’une part, et l’extraordinaire habileté dont avait fait preuve Juve en l’expliquant.
Rassurée, grâce à tout cela, et de plus, voulant consoler son père qu’elle savait avoir désespéré en l’abandonnant, Rose Coutureau revint donc au domicile qu’elle avait quitté.
Mais là une surprise nouvelle l’attendait, une surprise qui la terrifiait : le père Coutureau avait disparu.
Rose, évidemment, ne pouvait pas se douter que son pauvre père était mort, tandis qu’il était aux mains de Fantômas. Toutefois, elle pressentait, se doutait presque que Fantômas ne devait pas être étranger à cette nouvelle disparition.
— Tout ça n’est pas clair, se disait-elle.
Et elle se lamentait encore, espérant toujours que le père Coutureau allait réapparaître d’un moment à l’autre, lorsqu’on frappa à la porte du petit logement.
Rose alla ouvrir. Elle se trouva en face d’un jeune homme qui se présenta lui-même avec une parfaite bonhomie :
— Ouvrez mademoiselle, ouvrez votre porte toute grande, ce n’est pas le diable qui vient vous voir, c’est tout bonnement Jérôme Fandor.
Le nom ne disait pas grand-chose à Rose Coutureau qui ne lisait que rarement le journal.
Toutefois, Fandor avait l’air si aimable, si bien disposé, qu’elle n’hésita pas davantage.
Rose Coutureau ouvrit la porte, qu’elle n’avait qu’entrebâillée jusqu’alors :
— Entrez, dit-elle. Qui venez-vous voir ici ?
— Dame, riposta Fandor, je crois bien que ce ne peut être que vous puisque votre père…
— Vous avez des nouvelles de mon père ?
On avait le matin même retrouvé le cadavre du père Coutureau jeté au bas du fossé des fortifications. Fandor le savait. Il comprit en une seconde que Rose Coutureau ignorait, au contraire, la mort tragique de son père.
— Non mademoiselle, déclara Fandor, je n’ai pas tout à fait des nouvelles de votre père, mais enfin je sais qu’il est tombé aux mains de Fantômas.