Lassassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам) - Страница 5
Il en ressortait dix minutes après, place Pereire, puis s’arrêtait au N° 214 de l’avenue Niel.
— M me la Comtesse de Blangy ? demanda-t-il au concierge, en touchant poliment sa casquette.
La gardienne de la loge répondit :
— Rez-de-chaussée, à droite. Le service se fait par la cour.
Le mécanicien se garda de sonner à la grande entrée. Il traversa la cour puis frappa deux coups à la porte de la cuisine.
Il attendit quelques instants. Un bruit de pas précipités. Une femme lui ouvrit et poussa un cri de stupéfaction en l’apercevant.
Le mécanicien entra rapidement dans l’appartement dont la porte un instant entrebâillée se referma sur lui.
À la manière de quelqu’un qui est fort au courant de la disposition des lieux, le mécanicien, sans s’inquiéter de la personne qui était venue à sa rencontre, suivit le couloir obscur, traversa une galerie, entra dans un cabinet de toilette, et là, se dépouilla vivement de sa casquette et de sa veste de cuir.
— Ouf, ça y est ! proféra-t-il en poussant un soupir de lassitude cependant qu’il se laissait choir sur un fauteuil.
La personne qui était venue lui ouvrir l’avait suivi dans ce cabinet. C’était une grande femme à la silhouette majestueuse, à la tournure de princesse. Elle avait un visage aux traits fins, de grands yeux noirs l’illuminaient cependant que sur ses tempes s’épanouissaient de lourds bandeaux de cheveux roux, mêlés de quelques fils d’argent. Un instant elle considéra, d’un air plein d’angoisse, le mystérieux mécanicien qui s’était assis sur un moelleux fauteuil, et d’une voix tremblante, elle demanda :
— Qu’avez-vous encore fait, Fantômas ? J’ai peur !
— Lady Beltham, de votre part, cela ne m’étonne pas.
Les deux interlocuteurs demeurèrent silencieux un instant.
Ainsi donc, c’était lady Beltham qui, sous le nom de comtesse de Blangy, habitait ce rez-de-chaussée, 214, avenue Niel.
Le mystérieux et audacieux mécanicien de l’autobus qui avait conduit son véhicule dans la devanture du Comptoir National était Fantômas… Le génie du crime, le maître de l’effroi !
Les deux amants, les deux héros tragiques de tant d’aventures et de tant de drames, se trouvaient bien, en effet, réunis en tête-à-tête, ignorés de tous au fond de cette pièce élégante, discrète et confortable. Cependant, Fantômas répondait à l’interrogation angoissée de sa maîtresse :
— Eh bien, oui, fit-il, c’est moi, et je viens de réussir un coup extraordinaire.
En quelques mots alors, l’effroyable et téméraire bandit racontait à son auditrice la façon dont il s’était emparé de l’un des autobus qui stationnaient à Saint-Germain-des-Prés, un de ses complices faisant l’office du conducteur. En cours de route, il recueillait quelques-uns des leurs qui jouaient le rôle de voyageurs, puis Fantômas, pilotant la voiture, la précipitait à toute allure dans la devanture du Comptoir National.
La boutique était enfoncée et les complices de Fantômas, bien stylés au préalable, faisaient main basse sur toutes les sommes d’argent que l’accident avait éparpillées dans les bureaux.
Comme lady Beltham demeurait atterrée en écoutant ce récit, Fantômas conclut :
— Voyez-vous, lady Beltham, lorsque les gens sont décidés à agir, qu’ils ont de l’adresse et de l’audace, ils font ce qu’ils veulent dans Paris. Le coup a été excellent, j’ai là, sur moi, plusieurs centaines de milliers de francs.
Le bandit se leva, alla et vint dans la pièce, l’air triomphant. Lady Beltham, elle, s’était laissée choir sur un canapé, elle avait pâli, son visage exprimait une terreur profonde.
— Je ne sais pas, murmura-t-elle, où s’arrêtera votre témérité, mais je redoute, Fantômas, le jour fatal de l’échéance où vous serez pris et livré à la justice.
Le célèbre bandit, que l’on avait à juste titre qualifié d’insaisissable, rit de tout son cœur.
— Plaisantez-vous, lady Beltham ? s’écria-t-il. Supposez-vous que je puisse être jamais pris ? Ceci d’ailleurs n’est rien, une simple amusette en passant ! N’ai-je pas fait mieux déjà ? Et pour ne vous citer que ma plus récente opération n’ai-je pas réussi à me marier officiellement devant tout le monde il y a de cela quinze jours, en plein midi, à l’église de la Madeleine ? Ce jour-là, j’avais dans l’assistance des gens comme Juve et Fandor.
Lady Beltham leva les mains au ciel.
— Ah, Fantômas, murmura-t-elle, comment pouvez-vous évoquer sans frémir cette heure effroyable et cet acte insensé, qui d’ailleurs a coûté la vie, par votre faute, à la malheureuse Mercedes de Gandia ?
— Les bons paient pour les mauvais, dit Fantômas.
Puis il ajouta après un instant de silence :
— Vous verrez d’ailleurs du nouveau d’ici peu, lady Beltham. Je me sens animé d’une ardeur incroyable et mes projets sont tels que lorsqu’ils seront réalisés, ce qui ne tardera guère, ils bouleverseront l’univers.
***
Le secrétaire particulier de M. Havard s’approchait timidement du chef de la Sûreté ; il tenait une carte à la main :
— C’est quelqu’un, commença-t-il…
— Fichez-moi la paix ! cria M. Havard, cependant que le haut fonctionnaire bondissant de son fauteuil allait à un téléphone dont il décrochait rageusement le récepteur :
— Allô, allô ! hurla-t-il dans l’appareil. Envoyez-moi d’urgence les inspecteurs de la section centrale. D’urgence. Vous entendez ?
Il revint à son bureau, fouilla fiévreusement une liasse de documents :
— La cote 22 grommela-t-il, qu’a pu devenir la cote 22 ?
Son secrétaire qui s’était reculé se rapprocha de nouveau et balbutia d’une voix timide :
— Monsieur le Chef de la Sûreté, c’est quelqu’un…
— Sacré nom d’un chien, la cote 22 !
On frappait à la porte.
— Entrez, fit le chef de la Sûreté, furieux.
Trois hommes pénétrèrent dans le cabinet de M. Havard :
— Ah c’est vous, dit celui-ci. Eh bien, mes gaillards j’ai joliment besoin de vous ! Léon, Michel, Martin, il va s’agir de se débrouiller ! Naturellement, vous connaissez la nouvelle ?
— Le Comptoir National ? L’autobus ? demanda Michel.
— Parbleu, je viens d’être prévenu par le commissaire de police.
À ce moment, quelqu’un frappait encore à la porte du cabinet directorial et pénétrait sans attendre de réponse. C’était un quatrième inspecteur de la Sûreté : l’inspecteur Lévêque.
M. Havard courut à lui, lui arracha brusquement les documents qu’il tenait à la main, puis les ayant examinés d’un rapide coup d’œil, le chef de la Sûreté proféra, poussant un gros soupir :
— Ah, je m’en doutais, c’est encore vous qui aviez la cote 22.
— Monsieur le directeur, fit Lévêque, vous me l’avez donnée il y a une minute pour rechercher les fiches des anarchistes que vous soupçonnez avoir commis l’attentat du Comptoir National [7].
— Il s’agit bien d’anarchistes ! cria M. Havard. Voyons, mes enfants, c’est stupide ! Le vol du Comptoir National est signé, clair comme le jour. Parmi les papiers qui ont disparu, se trouvent ceux qui appartenaient, par suite de la mort de l’infante d’Espagne, au soi-disant baron Stolberg, mari de Mercedes de Gandia. Or, vous savez bien, les uns et les autres, que le baron Stolberg, c’est la dernière personnalité prise par Fantômas. Fantômas, encore, toujours lui !
M. Havard s’arrêtant de parler, courut à la fenêtre qui donnait sur la cour intérieure de la Préfecture.
Un vacarme assourdissant en montait, des pétarades qui évoquaient les écoles à feu de toute une batterie d’artillerie.
— D’où vient ce tapage ?
— Ce ne peut être que l’automobile de nos collègues Nalorgne et Pérouzin, dit Martin. Depuis qu’on les a chargés de ce service, ils sont toujours en train de réparer quelque chose, il faut croire…
— Il ne s’agit pas de cela, fit-il, mais bien de s’élancer à la poursuite du voleur de la banque et de ses complices. Car il y a naturellement des complices dans cette affaire.