Lassassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам) - Страница 4

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Au moment où Bébé remontait vers la place Clichy, enveloppant dans un mouchoir son poignet teinté de rouge, un homme qui s’enfuyait l’aborda et, d’une voix haletante, lui murmura à l’oreille :

— Faudrait voir à te débiner rapidement et surtout à te nettoyer !

Bébé regarda son interlocuteur, celui-ci n’était autre que le mécanicien qui, quelques instants auparavant, avait conduit l’autobus 412, volontairement ou non, devant la devanture de l’établissement de crédit.

Celui-ci cependant poursuivait :

— Tu es tout à fait dégoûtant Bébé, tes vêtements sont couverts de saletés et tes cheveux remplis de cambouis !

L’apache, en apercevant le mécanicien qui lui parlait sur un ton de commandement, avait pris une attitude respectueuse pour lui répondre :

— Cela va bien, je m’en vais aller me nettoyer.

Le mécanicien s’éloigna. Il revint au bout d’une seconde et recommanda :

— Je ne veux pas que tu puisses jaspiner de toute la soirée, et pour t’empêcher de le faire, je t’ordonne d’aller prendre un bain dans le premier établissement que tu rencontreras.

— Entendu, fit Bébé, mais quand j’aurai fini, patron, qu’est-ce qu’il faudra faire ?

Les deux hommes avaient continué à marcher, s’éloignant rapidement de la place Clichy ; ils suivaient maintenant le boulevard des Batignolles, et, tout en causant, ils regardaient derrière eux pour s’assurer qu’ils n’étaient point suivis.

Le mystérieux mécanicien de l’autobus reprit :

— Quand tu seras sorti de ton bain, tu iras en prendre un autre, et quand le second sera fini, eh bien, mon cher Bébé, il faudra aller en prendre un troisième et ainsi de suite, jusqu’à la fermeture des boutiques, après quoi tu iras te coucher tout seul !

Bébé interloqué haussa les épaules imperceptiblement et se dit :

— Sûr, le patron est piqué ! Enfin, il faut faire ce qu’il veut, sans quoi la désobéissance avec lui fait toujours du vilain.

Cependant le mystérieux mécanicien de l’autobus que Bébé avait qualifié de « patron » s’éclipsait par une rue transversale, et Bébé, obéissant, se mit à chercher un établissement de bains conformément aux ordres qu’il avait reçus.

***

Quelques heures s’étaient écoulées et l’activité commençait à régner dans les bars interlopes ou les bouges innommables du quartier de la Chapelle. Dans l’assommoir dirigé rue de la Charbonnière par le père Korn [5], les apaches, à leur habitude, étaient nombreux et dégustaient à grand bruit les absinthes gommées et des mêlé-cass [6]. Ils étaient entourés de pierreuses au visage fardé qui, dans l’intervalle de leurs occupations professionnelles, venaient absorber des apéritifs avec leurs amis.

Soudain, la porte s’ouvrit, et ce fut dans l’établissement une clameur générale, des bravos, des approbations :

— Tiens, cria-t-on, voilà des revenants.

Deux personnages venaient en effet d’entrer dans l’assommoir et ils distribuèrent autour d’eux quelques cordiales poignées de main. C’était des apaches fort connus dans le quartier : Bec-de-Gaz et Œil-de-Bœuf.

Il y avait déjà quelques années, deux ou trois ans peut-être, qu’ils ne s’étaient pas montrés dans le cabaret du père Korn qui possédait toujours sa fameuse et terrifiante réputation et dans lequel la police faisait de si fréquentes incursions.

Bec-de-Gaz et Œil-de-Bœuf s’étaient rapprochés du comptoir et, comme s’ils l’avaient vu la veille, serraient cordialement la main au tenancier du bouge. Tandis qu’ils commandaient leurs absinthes, ils félicitaient le père Korn sur l’affluence toujours considérable de son établissement.

— N’empêche, ajouta Bec-de-Gaz, mon vieux père Korn, que tu commences à être déjeté, t’as plus de cheveux sur la tête et tu prends du ventre. C’est pas comme moi, toujours sec comme un coup de trique et mince comme un bâton de chaise.

Œil-de-Bœuf approuvait en souriant.

— Et puis, ajoutait-il, on est toujours là nous autres, avec du pèze plein les profondes.

Et, comme pour justifier cette affirmation, que le père Korn, d’un haussement d’épaules semblait mettre en doute, Œil-de-Bœuf fit tinter l’argent qui gonflait les poches de ses vêtements.

Les deux amis, après avoir vidé un premier verre sur le comptoir allaient s’installer au fond du bouge à une petite table et commandèrent de nouvelles consommations au garçon.

— Dis donc, recommanda Bec-de-Gaz, faudrait voir à nous servir vivement une assiette de cervelas et un saladier de rouge.

Œil-de-Bœuf rassura le garçon sur l’avenir réservé à cette commande somptueuse, en ajoutant :

— On a la dent ce soir, et il faut se caler les joues ! On est plein aux as et on raquera d’avance si tu veux.

Cette déclaration ne manquait pas de faire sensation dans le bouge. De nombreux consommateurs, qui avaient relevé la tête, considérèrent avec sympathie et admiration ces clients qui annonçaient somptueusement qu’ils étaient décidés à payer dès qu’on le leur demanderait, et des murmures flatteurs coururent dans l’assistance. Quelqu’un suggéra à mi-voix :

— Sûr que c’est des aminches qui viennent de faire un bon coup.

Bec-de-Gaz avait entendu, il lança un coup de pied dans les tibias de son compagnon :

— Espèce de tourte, fit-il, t’as pas besoin de raconter comme ça au monde, que nous avons de la galette ! Ça donne des soupçons et si jamais le patron le savait, qu’est-ce qu’il te casserait !

Œil-de-Bœuf, malgré sa belle assurance, rougit jusqu’à la racine des cheveux.

Évidemment, ce que venait de lui dire Bec-de-Gaz l’impressionnait. Il suffisait donc d’évoquer auprès de ces deux apaches la mémoire du mystérieux patron pour qu’aussitôt l’on prît peur ?

Quel pouvait donc bien être cet homme ?

Cependant la déclaration d’Œil-de-Bœuf avait produit son effet, des pierreuses qui erraient dans le bar se rapprochaient des consommateurs, leur adressant des œillades prometteuses. L’une d’elles, plus hardie que les autres, vint s’installer sur la banquette à côté de Bec-de-Gaz :

— Tu paies quelque chose ? interrogea-t-elle.

Mais l’apache la repoussa durement.

***

Bébé, était au bain conformément aux instructions reçues, tandis qu’Œil-de-Bœuf et Bec-de-Gaz, quittant précipitamment la place Clichy, étaient venus boire à l’assommoir de la rue de la Charbonnière.

Un autre de ceux qui s’étaient trouvés dans l’autobus au moment de l’accident, avait pris une troisième direction.

C’était Beaumôme, personnage équivoque et suspect, lui aussi, mais qui avait meilleure apparence, par sa tenue extérieure, que ses acolytes.

Beaumôme, en grand seigneur, avait avisé, place Clichy, un taxi-automobile dans lequel il était monté quelques instants après l’accident de l’autobus. Il s’était fait conduire avenue Malakoff, au Skating.

Beaumôme paya son entrée, loua des patins. À peine était-il sur la piste de bois, commençant à y évoluer, qu’une jeune femme, fort élégante, se rapprochait de lui.

— Ah, par exemple, lui fit celle-ci, je ne te croyais pas à Paris !

Beaumôme ne répondit rien. Il se contenta de serrer dans la sienne la main que lui tendait la jeune femme, et lui dit :

— Bonjour Adèle, je t’emmène dîner ce soir, si cela peut te faire plaisir.

Il faut croire que la demi-mondaine n’était pas habituée à une telle amabilité de la part de son interlocuteur, car après avoir ouvert des yeux tout ronds, elle déclara en riant :

— Cela, par exemple, c’est plus fort que de jouer au bouchon ! T’as donc fait un héritage, Beaumôme, pour être aimable avec les femmes ?

Énigmatique, l’individu haussait les épaules, puis mettant un doigt sur ses lèvres, il recommanda :

— T’occupe pas de cela Adèle, ne t’inquiète pas de savoir d’où vient l’argent. Il faut prendre la vie comme elle se présente, et du moment que je suis riche, savoir en profiter.

***

Quant au mystérieux mécanicien qui semblait avoir été l’organisateur en chef, après avoir quitté l’apache Bébé boulevard des Batignolles, en lui recommandant d’aller prendre une succession de bains, puis de rentrer se coucher, il était simplement descendu dans le métro.

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