Lassassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам) - Страница 16
— Allons, monologua M. Tissot, considérant la petite clef brillante, j’ai toujours ma clef, moi, et c’est l’essentiel. Roquevaire se débrouillera après tout et Châtel-Gérard aussi.
M. Tissot tira sa montre, s’étonna que sa femme ne fût point encore rentrée des courses matinales qu’elle avait été faire sans doute lorsque, avec une brusquerie incompréhensible, la porte de son cabinet s’ouvrit, poussée par le valet de chambre effaré :
— Monsieur, monsieur ! appelait le serviteur.
— Qu’est-ce qu’il y a ?
Il y a des tons de voix auxquels on ne se trompe pas, et le valet de chambre avait parlé de telle façon que M. Tissot pressentit une mauvaise nouvelle.
— Qu’est-ce qu’il y a, Jean ? Qu’est-ce qui vous prend ?
— Monsieur, répondait le domestique qui tremblait de tous ses membres, monsieur, je n’ose pas dire à monsieur.
— Quoi donc ? mais parlez donc nom d’un chien !
— Il y a, monsieur, il y a un agent.
— Un agent ? Il y a un agent qui veut me voir ? Mais répondez-moi donc !
— C’est un accident, monsieur.
— Mon Dieu, un accident ? À qui ?
Derrière le valet de chambre qui se troublait, qui bégayait, qui n’osait pas répondre, planté au milieu du salon, M. Tissot aperçut un gardien de la paix.
Il fut sur lui en une seconde.
— Qu’est-ce qu’il y a, agent ? Quel accident ?
— Mon Dieu, monsieur, il ne faut pas vous mettre dans des états. Enfin c’est deux jambes cassées, voilà tout. Aussi avec ces maudits taxi-autos. Enfin, monsieur, elle en réchappera peut-être.
— Elle ? qui ? Ma femme ?
— Oui, monsieur, votre « dame ». Elle vient d’être renversée par un taxi-auto près du Louvre. Nous l’avons amenée dans une ambulance.
M. Tissot n’entendait plus. Bousculant l’agent au passage, il courait comme un fou à travers le salon, arrivait dans la galerie juste à temps pour apercevoir, derrière les femmes de chambre qui couraient affolées portant des piles de draps, la silhouette d’un infirmier vêtu de blanc qu’il agrippait au passage.
— Ma femme ? râla le malheureux. Où est-elle ?
L’homme se dégagea :
— Soyez calme, monsieur, recommanda-t-il. M me Tissot est en bas dans l’ambulance, nous allons la monter.
Mais M. Tissot n’en écoutait pas davantage. Un vertige le prit.
— Quoi ? était-ce possible ? Sa femme venait d’être victime d’un accident ? Une ambulance était en bas, on allait la remonter blessée, morte peut-être.
Affolé, M. Tissot, une seconde resta immobile, puis, il aperçut les portes de la galerie ouvertes à deux battants, probablement pour faciliter le passage de la civière qu’on allait remonter.
— Ah mon Dieu ! gémissait le malheureux.
Et, tenant son front à deux mains, un rictus d’épouvante sur la physionomie, il courut à l’escalier. Il descendit aussi vite qu’il le put, pris du besoin de voir, de savoir, de connaître toute l’étendue de son malheur. Sur le trottoir de la rue des Pyramides, une foule stationnait, entourant la voiture d’ambulance municipale, encore hermétiquement close.
M. Tissot ne distinguait que la silhouette d’une infirmière assise au fond de la voiture, près d’un brancard sur lequel reposait le corps d’une femme, la tête entourée de linges sanglants.
— Marguerite ! hurla Tissot.
Mais au même moment s’étant penché sur la blessée, M. Tissot se rejeta en arrière.
— Mais ce n’est pas ma femme ! hurla-t-il. Ce n’est pas Marguerite !
Et comme il hurlait, une main gantée se posait sur son épaule. Tissot se retourna. Fendant la foule, écartant les curieux, une jeune femme venait d’arriver jusqu’à lui :
— Qu’est-ce que tu fais-là ? Pourquoi m’appelles-tu ? Que se passe-t-il ?
Alors M. Tissot ouvrit des yeux démesurés. Des sons rauques sortirent de sa gorge. Il perdit connaissance. C’était sa femme, c’était Marguerite qui venait de lui mettre la main sur l’épaule, Marguerite qui se portait le mieux du monde.
6 – LA CLEF VOLÉE
— Quoi c’est toi ? mais tu n’es donc pas blessée ?
— Blessée ? pourquoi ? Mais enfin, pourquoi veux-tu que je sois blessée ?
M. Tissot, petit à petit, reprit son sang-froid. Il revint vers l’ambulance, il se pencha sur la blessée.
— Je ne connais pas cette femme, dit-il à l’infirmière. Il y a certainement une erreur.
Et refermant la portière, M. Tissot rentra sous la voûte de l’immeuble, suivi par son épouse.
Or, au moment où M. Tissot traversait le trottoir, il apercevait précisément, débouchant du grand escalier, un infirmier accompagné du valet de chambre Jean.
On ouvrait la porte à deux battants, les hommes semblaient s’apprêter à transporter la blessée dans l’appartement de M. Tissot.
— Mon ami, déclara ce dernier en posant sa main sur l’épaule de l’infirmier, vous vous êtes trompé, je viens de voir la personne que vous amenez ici. Dieu merci, ce n’est pas ma femme, ma femme est saine et sauve.
La déclaration du censeur de la Banque, stupéfia littéralement l’infirmier :
— Comment la personne blessée n’est pas de la famille de monsieur ?
— Mais nullement.
— Pourtant dans son sac, au poste de police on a retrouvé une carte donnant l’adresse de la rue des Pyramides.
— Donnant mon adresse ?
— Non évidemment, répondait l’infirmier, les cartes de dames n’ont jamais l’adresse gravée, mais il y avait écrit au crayon « Rue des Pyramides ». C’est pourquoi, monsieur le commissaire a dit : « allez-y ». Enfin, il y a erreur.
M. Tissot avait mis la main à son gousset ; il tendit un louis à l’infirmier en guise de pourboire :
— Il y a erreur, mon ami. Conduisez cette pauvre femme à l’hôpital, je ne la connais nullement et ma foi je vous avoue que j’en suis heureux.
L’employé de l’Assistance publique ne put que saluer respectueusement le censeur de la banque. Il balbutia des excuses :
— Comme monsieur dit, c’est une erreur.
L’homme ajoutait encore quelques vagues paroles dont M. Tissot ne chercha pas à deviner le sens, tant il était pressé de rejoindre sa femme qui l’avait devancé à l’appartement. M. Tissot, après la violente secousse qu’il venait d’éprouver goûtait un véritable bonheur à rejoindre son épouse :
— Ah ma pauvre petite, disait-il, j’ai eu véritablement peur ! Dieu que j’ai souffert ces quelques minutes, tandis que je descendais de cet escalier et que je t’imaginais couchée dans le brancard de cette ambulance, meurtrie, blessée, morte peut-être !
— Mais enfin, dit M me Tissot, c’est abominable, une histoire pareille ! Il s’agit donc d’une confusion de nom, tu devrais, mon cher, passer au commissariat après déjeuner et savoir le fin mot de cette aventure.
— C’est évident, déclarait-il, il faut aller au fond de cette affaire, quand ce ne serait que pour faire un exemple et éviter que semblable chose ne puisse se renouveler.
L’heure du déjeuner toutefois, était depuis longtemps passée. M me Tissot avisa la pendule, et s’écria en riant :
— Mais nous sommes fous ! Deux heures et demie, bientôt ! Viens vite déjeuner. N’as-tu point conseil à la Banque ?
— Non, heureusement.
Et il ajouta en souriant :
— Il y en a une histoire à la Banque, tu sais ! Figure-toi que de Roquevaire a perdu sa clef.
— La clef des caves ?
— Oui, la clef des caves.
— Tu vas me raconter cela en déjeunant.
Or, il arriva qu’au moment même où M. Tissot pénétrait dans son cabinet de travail, le censeur de la Banque s’arrêta soudain fronçant les sourcils, ayant l’air fort inquiet.
— Ah çà, je suis fou ? murmura-t-il.
Puis, il ajouta toujours immobile à la même place :
— Décidément, toutes ces histoires finiront par tourner mal.
M. Tissot avança de trois pas, gagna sa bibliothèque, dont l’un des battants était simplement repoussé et non pas fermé.
— Quelle imprudence, dit-il, et pourtant j’aurais juré que j’avais moi-même…